Tribune

Compostage ou dissolution des corps : de nouveaux modes de sépulture ?

Alors qu'en France seules l'inhumation et la crémation sont autorisées, d'autres processus, parfois plus écologiques, comme l'aquamation ou la promession, existent déjà dans d'autres pays.
par François Michaud Nérard, membre du Conseil national des opérations funéraires, ancien directeur général de la SEM des Services funéraires de Paris
publié le 30 octobre 2019 à 15h32

Tribune. En France, seuls deux modes de sépulture sont autorisés, l'inhumation et la crémation. L'expression «mode de sépulture» s'entend au sens de la loi du 15 novembre 1887 qui dispose que «tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture». Ainsi par exemple, la cryogénisation – conservation des corps par congélation dans l'attente hypothétique de progrès de la médecine permettant de redonner vie au corps – est prohibée en France, comme l'a montré la jurisprudence (1). Le préfet est en droit de faire inhumer, éventuellement par force, des corps conservés cryogénisés – ce malgré les dernières volontés des défunts – pour respecter des considérations d'ordre et de santé publics.

Cette seule alternative, inhumation ou crémation, sera-t-elle immuable dans notre pays ? Certaines évolutions récentes dans le monde nous amènent à nous interroger. Ainsi, certains Etats canadiens, mais aussi la majorité des Etats américains ont autorisé l’aquamation, la réduction des corps en phase aqueuse, l’Etat de Washington est en passe de légaliser l’humusation, le compostage des corps et certains pays européens réfléchissent à ces pratiques. Ces nouvelles techniques doivent-elles nous effrayer ? Sont-elles une trop forte rupture par rapport à nos traditions ? Sont-elles perturbantes sur le plan anthropologique ?

Constatons tout d'abord que les modes de sépultures ont considérablement varié dans le temps. En France, la plus ancienne urne contenant des cendres de crémation, découverte en Alsace (2), date de plus de 2 000 ans avant J.-C. La crémation était le mode de sépulture noble dans les mondes grec et romain et était répandue en Gaulle. C'est un capitulaire de Charlemagne de 789 qui en amena l'interdiction jusqu'à la fin du XIXsiècle. Pendant presque toute cette période, hormis ceux des nobles et de certains membres du clergé, dans les villes, les corps étaient disposés dans des charniers comme celui des Innocents à Paris ou de l'Aître Saint-Maclou à Rouen. Les corps y étaient entassés les uns sur les autres, vaguement recouverts d'une mince couche de terre, la notion de sépulture individuelle n'existait pas et ces lieux étaient souvent des lieux de prostitution.

Décomposition à l’air libre

Cette variabilité est également géographique, avec dans le monde des rites funéraires parfois étranges pour nous comme les tours du silence des zoroastriens et des Parsis où le corps se décompose à l’air libre, livré aux charognards ou le retournement des morts à Madagascar. Mais même en Europe, les pratiques funéraires sont très diverses. Le taux de crémation est de 83 % en Suisse, il atteint plus de 90 % à Londres ou à Copenhague, mais il est à 0 % en Grèce. En Espagne, on dispose nombre de défunts dans des enfeus, sortes de petits immeubles faits de cases superposées soigneusement aérés, dotés de filtres à charbon actif et de fosses septiques ; grâce à des sachets de bactéries mis dans les cercueils, la décomposition du corps a lieu en une année et on peut ainsi rassembler les ossements obtenus pour réutiliser la case deux ans après l’inhumation. A l’inverse, en Italie, les corps étaient jusqu’à une date très récente, disposés dans des cercueils très étanches, disposés dans des enfeus imperméables à l’air, si bien que trente ans après, les corps sont à peine décomposés lorsque l’on procède à une exhumation.

Le modèle idéalisé de l’inhumation dans un cimetière comme celui du Père Lachaise à Paris ou de Loyasse à Lyon, n’est donc qu’une toute petite parenthèse dans l’histoire et une exception géographique. Nous ne devrions donc pas être fermés à de nouvelles techniques funéraires qui permettraient un véritable gain sur le plan écologique. Trois procédés sont actuellement envisagés : l’aquamation qui, en trois heures, dissout le corps avec un liquide fortement alcalin à environ 200 °C, dans une sorte de grosse «cocotte-minute» ; l’humusation qui est une sorte de compostage en une petite année des cadavres dans un lit de matériaux organiques (es ossements réduits sont ensuite pulvérisés) ; la promession, inventée dans le nord de l’Europe, qui consiste à refroidir le corps, le dessécher à basse température (lyophilisation) et enfin le transformer en deux dizaines de litres de poudre qui viendront engraisser le sol pour faire pousser un arbuste.

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Quel que soit le procédé funéraire, traditionnel ou novateur, on parvient au même résultat : in fine, il ne subsiste du corps que les calcins, la partie calcaire des os. Ceux-ci se réduisent naturellement dans le sol ou sont ensuite pulvérisés en environ deux kilogrammes d'une sorte de sable, ce que l'on appelle les cendres. Le reste disparaît dans l'air sous forme de fumées ou de gaz, ou dans le sol sous forme de liquides. La principale différence entre ces divers processus est le temps pour parvenir à cet état ultime : plusieurs dizaines d'années dans le cas de l'inhumation du cercueil dans une terre glaiseuse, quelques années dans une terre sablonneuse et drainée ou un caveau ; une année dans un enfeu espagnol ou par humusation ; quelques heures pour la crémation, l'aquamation ou la promession.

Il faut bien en être conscient, quel que soit le processus, sa réalité est un désastre pour le corps : pourrir et se décomposer dans le sol sous des centaines de kilogrammes de terre, dans un lit de compost ou dans un caveau en béton, être brûlé à 850 °C dans un four, être lyophilisé, être dissous dans un liquide, rien de tout cela n’est vraiment réjouissant. Les rites funéraires religieux subliment cette transition matérielle en donnant une destinée à l’âme du défunt et fondent un espoir : la résurrection pour les religions monothéistes, la réincarnation pour les religions orientales, la fusion avec la nature pour les animistes… Les francs-maçons évoquent l’Orient éternel. Les non-croyants ne sont pas en reste et évoquent dans les cérémonies civiles l’inscription dans la mémoire et le grand cycle de la nature.

S'agissant du devenir physique du cadavre, dont la sinistre réalité pourrait être trop prégnante, l'humain recourt à la métaphore et au subterfuge. Dans le cadre de l'inhumation, le corps est censé «reposer dans sa dernière demeure» même si, dans la réalité, ce corps grouille d'une vie qui le dévore. Il est disposé sous une pierre tombale parfois ouvragée, parfois artistique et des fleurs emplissent l'air d'odeurs couvrant les effluves de la pourriture. Les partisans de la crémation voient dans le four, une «flamme purificatrice» et les cendres dispersées en pleine nature symbolisent le retour à la nature, la poussière qui retourne à la poussière. Les techniques nouvelles de sépulture peuvent être pareillement habillées de mots et idéalisées : l'aquamation serait le retour à la nature par l'eau, un des quatre éléments. L'humusation, le retour à notre état de nature dans un geste chargé de symbolisme écologique. La promession, la transformation en un engrais symbolisant le «grand cycle de la vie».

Désastre écologique

Une chose est sûre, devant l'urgence climatique qui se présente à nous, devant notre «maison qui brûle», nous ne pouvons ignorer le désastre écologique de certaines pratiques du business funéraire. Que des blocs de granit extraits dans le Tarn prennent le bateau pour y être façonnés en Chine et revenir en conteneurs sous forme de monuments funéraires bon marché est tout bonnement absurde.

Les cimetières, sont parfois les plus grands espaces verts d’une ville, comme c’est le cas du Père Lachaise à Paris. Ils sont le plus souvent ceints de murs opaques et entièrement minéralisés alors que ce pourrait être, avec tout le respect dû aux morts, des espaces végétalisés, havres de fraîcheur par temps de canicule, éléments de calme et de respiration dans un tissu urbain saturé, lieux de promenade chargés d’histoire et de la présence de ceux qui nous ont précédés.

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Les crématoriums ne sont pas parfaits sur le plan écologique, avec des rejets réels dans l’atmosphère, même si les filtrations obligatoires depuis 2018 ont amélioré les choses. Surtout, ils fonctionnent en France avec du gaz, une énergie non renouvelable. Anne Hidalgo et son adjointe aux espaces verts viennent par exemple de rejeter la solution beaucoup plus écologique d’appareils de crémations électriques fonctionnant à énergie renouvelable pour le futur crématorium de la porte de la Villette à Paris. D’évidence, il nous faut repenser ce que doivent devenir les cimetières et nos traditions funéraires. On ne peut écarter l’idée d’évaluer de nouveaux modes de sépulture plus écologiques, plus respectueux de l’éthique, tant le respect de l’environnement, un enjeu devenu tellement crucial pour l’humanité, doit être placé au cœur même de cette éthique.

François Michaud Nérard est l'auteur de la Révolution de la mort, Vuibert, 2007 et d'Une révolution rituelle, accompagner la crémation, L'Atelier, 2012. A paraître dès le 6 novembre : les Cimetières, que vont-ils devenir ? avec Gaëlle Clavandier, éditions Hermann.

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