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Jordanie : Amnesty dénonce la détention arbitraire des femmes qui désobéissent à leur tuteur ou ont des relations hors mariage

Le simple fait de quitter le domicile familial ou d’avoir des relations sexuelles en dehors des liens du mariage peut conduire les Jordaniennes en prison, selon un nouveau rapport de l’organisation de défense des droits de l’homme
Des Jordaniennes brandissent des pancartes en arabe sur lesquelles on peut lire « demandez vos droits » lors d’une manifestation à Amman, en 2012 (AFP)
Par Madeline Edwards à AMMAN, Jordanie

Une immigrée, employée de maison, séparée de force de son fils quatre mois après sa naissance. Une jeune femme détenue pendant six mois pour avoir vécu hors du domicile de son tuteur sans son approbation. D’autres jeunes femmes sommées d’effectuer des « tests de virginité » après avoir quitté le domicile familial. 

Voilà quelques exemples résumant les cas de centaines de femmes qui ont été confrontées à la dite « détention administrative » dans les prisons jordaniennes, souvent sans inculpation formelle, sur la base d’accusations de relations sexuelles hors mariage ou pour d’autres motifs perçus comme des vices, selon un nouveau rapport publié par Amnesty International mercredi. 

Cette pratique est ancienne, même si le rapport sorti mercredi apporte un éclairage nouveau et indispensable sur les femmes détenues en vertu de la législation jordanienne relative à l’état civil, alors même que le pays a adopté de nouvelles lois ces dernières années pour protéger le statut de la femme dans la société.

« Les hommes n’ont pas de tuteur, donc ils n’ont personne pour déposer plainte contre eux »

- Lauren Aarons, Amnesty International

Près de 150 femmes restent aujourd’hui en détention administrative, ont indiqué des responsables jordaniens aux chercheurs d’Amnesty. Plus de la moitié d’entre elles sont détenues car accusées de zina – relations sexuelles hors mariage – à la suite de plaintes déposées auprès des autorités locales par des membres de leur propre famille. 

Certaines sont détenues à la prison de Juweideh depuis « plus d’un an », a déclaré à Middle East Eye Lauren Aarons, directrice des recherches pour ce rapport. 

Juweideh est le plus grand établissement pénitentiaire pour femmes du pays. 

Face à la perspective de devoir rentrer au domicile familial après leur détention à Juweideh, des femmes ont confié leurs craintes aux chercheurs. Certaines rejettent purement et simplement cette idée, l’une allant jusqu’à affirmer aux chercheurs d’Amnesty International qu’elle « préfér[ait] épouser un dealer, tant qu’[elle] ne rentr[ait] pas au domicile familial », a cité Lauren Aarons à titre d’exemple. 

En vertu du code pénal jordanien, les relations sexuelles en dehors des liens du mariage sont interdites tant aux hommes qu’aux femmes, et si une plainte est déposée contre une personne suspecte, celle-ci encourt une peine d’un à trois ans d’emprisonnement. 

Mais en réalité, la législation relative à l’état civil, qui établit une « tutelle masculine » sur les femmes, les rend plus vulnérables à la détention. Le simple fait de quitter le domicile familial, d’avoir des relations sexuelles ou de tomber enceinte et accoucher sans être mariée peut avoir des conséquences.

La tutelle masculine « interdit à une femme célibataire de contracter légalement un mariage sans l’approbation de son tuteur », selon Amnesty International. Le tuteur est un parent masculin, généralement le père. 

Pour l’une des jeunes femmes interrogées par les chercheurs, ce tuteur était son oncle suite au décès de son père dans un accident de voiture. 

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« Depuis la mort de mon père, j’ai toujours eu des problèmes avec mon oncle », a confié à Amnesty International une jeune femme identifiée par le pseudonyme « Arwa ». 

Elle a alors décidé de vivre seule, en dehors du domicile de son oncle. Mais plus tard, l’un des oncles d’Arwa s’est rendu auprès des autorités, qui ont émis un mandat pour son arrestation. Ce mandat, a-t-elle appris, avait pour simple motif son « absence », le fait de vivre en dehors du domicile familial sans autorisation. 

Désormais en détention administrative et devant l’éventualité que son oncle paie sa caution pour la faire sortir et l’autorise à revenir vivre chez lui, elle a déclaré aux chercheurs d’Amnesty qu’elle préférait rester en prison. 

« Je veux vivre sans que mes oncles aient du pouvoir sur moi. »

Une autre détenue de Juweideh a raconté aux chercheurs qu’elle était tombée enceinte et avait tenté d’épouser le père de l’enfant, mais qu’elle était orpheline et n’avait pas de parent proche pouvant servir de « tuteur » pour approuver le mariage. 

Lorsqu’elle a accouché, « l’hôpital m’a demandé si j’étais mariée et j’ai répondu que non, alors ils ont appelé la police ». Le bébé lui a été enlevé, a-t-elle indiqué à Amnesty International. 

« Les hommes n’ont pas de tuteur, donc ils n’ont personne pour déposer plainte contre eux », a déclaré Aarons lors d’une conférence de presse à Amman mercredi. « Il y a ici un véritable déséquilibre, dans la façon dont c’est utilisé comme moyen de contrôle social des femmes. » 

Refuge

Des avancées ont néanmoins été réalisées ces dernières années. 

En 2017, les autorités jordaniennes ont supprimé un article du code pénal qui accordait des peines réduites aux accusés de « crimes d’honneur ». 

« Il n’y a aucune raison justifiant qu’une femme qui quitte le domicile familial […] doive finir en prison »

- Lauren Aarons, Amnesty International

La même année, le Parlement jordanien a abrogé une loi qui permettait aux violeurs d’échapper aux sanctions en épousant leur victime, une initiative saluée et qualifiée d’« historique » par les activistes pour les droits des femmes. 

Et l’année dernière, les autorités jordaniennes et une ONG locale ont ouvert Dar Amneh, un centre destiné à accueillir les femmes menacées de violences. 

Au moins 75 femmes ont résidé temporairement au refuge depuis qu’il a ouvert ses portes en 2018, dont certaines transférées après leur « détention administrative » à Juweideh. 

Ce centre est une alternative possible à la détention des femmes menacées en vertu du système jordanien de tutelle masculine, a déclaré mercredi Asma Khader, qui dirige Solidarity is Global Institute – une ONG jordanienne –, lors de la conférence de presse à Amman.

Cependant, des femmes continuent d’être placées en « détention administrative » malgré l’ouverture de Dar Amneh. 

Selon les données fournies à Amnesty International par les autorités jordaniennes, environ 1 259 détenues ont été libérées depuis le début de l’année 2019, mais la police continue de mettre des femmes en prison pour ces motifs.

« Cela ne devrait plus arriver », a déploré Aarons. « Il n’y a aucune raison justifiant qu’une femme qui quitte le domicile familial […] doive finir en prison. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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