Syrie/Kurdistan : «Envoyez-nous une force internationale pour nous sauver du génocide»

  • Portrait de çiçek Kobane diffusé sur la chaîne Ronahi./ Photo DDM, P.C. Portrait de çiçek Kobane diffusé sur la chaîne Ronahi./ Photo DDM, P.C.
    Portrait de çiçek Kobane diffusé sur la chaîne Ronahi./ Photo DDM, P.C.
Publié le , mis à jour
Pierre Challier

l'essentiel Au cœur de la bande d'une trentaine de kilomètres imposée par Ankara comme «zone de sécurité», Dirbasiyê vit les conséquences de l'invasion turque. Son maire témoigne.

Entre Serekaniyê (Ras al-Aïn en arabe), bombardée à l'ouest, et Qamishlo, à l'est, capitale de feue l'autonomie kurde du Nord-Est syrien, Dirbasiyê borde elle aussi la Turquie. Ce samedi à Erbil, son maire Mihned Sahlé est au téléphone… On devait le rencontrer jeudi dernier à la frontière irako-syrienne avec Pascal Troadec, maire adjoint de Grigny, commune de l'Essonne ayant noué un partenariat avec cette ville de 30 000 habitants et venu porter un message de solidarité aux Kurdes du Rojava. Un grain de sable diplomatique en a décidé autrement. Mais à l'autre bout de la ligne, le débit rapide de Mihned traduit toujours l'urgence à témoigner.

«Ici, les gens ont très très peur. Ils redoutent qu'il se passe à Dirbasiyê ce qui s'est passé à Serekaniyé et Afrin…», commence Mihned Sahlé. «Une partie de la population a quitté notre ville pour se réfugier dans des villages alentour, d'autres ont pris des tentes. Leur situation est catastrophique et ils pensent que du jour au lendemain l'armée turque et ses jihadistes vont les attaquer, ici.»

Des centaines de morts, 300 000 déplacés sur une population de 3 millions de Kurdes syriens dont plus de 12 000 sont déjà en Irak… «Les gens sont paniqués, certains qui ont fui vers la campagne dorment sous les tentes mais d'autres n'ont rien et dorment à la belle étoile. Les rares qui sont restés à Serekaniyê sont en contact avec nous pour suivre la situation, car c'est vraiment très près. Ils nous racontent que les groupes jihadistes de l'armée turque mènent le pillage. Ils pillent, pillent, pillent… volent tout ce qu'ils peuvent pour le vendre. Mais la douleur, c'est surtout de voir tous ces civils touchés. On a vraiment eu du mal à identifier les morts car certains étaient complètement brûlés et d'autres mutilés dans les bombardements. Les premières victimes sont les enfants et on l'a vu de nos propres yeux puisque Dirbasiyê est proche de Serekaniyê.»

Jihadistes recyclés

Dans la pièce, la télé – son coupé – est branchée sur Ronahi, chaîne kurde. Les images d'atrocités et d'exactions – filmées par des portables non sourcés – ponctuent en boucle le propos. Avec un visage : celui de çiçek Kobane, combattante des YPJ (Unités de défense de la femme) portant le nom emblématique de la première victoire des Kurdes du YPG (Unités de protection du peuple) contre Daech. Blessée, capturée, elle est cernée par des soudards hilares lui promettant le pire (1).

Damas dénonçant l'agression turque, «l'armée de Bachar al-Assad est arrivée» autour de Dirbasiyê, confirme Mihned Saleh, «mais ni leur armement ni leur force ne montrent qu'ils sont là pour nous défendre. C'est comme à Afrin… On avait sollicité le régime pour venir défendre l'unité territoriale de la Syrie mais finalement, ils n'ont rien fait de concret», estime-t-il. Les Russes ? «Il y a des patrouilles qui sont arrivées de Qamishlo. Elles sont passées par Derbasiyê (…) et puis elles se sont retirées puisque ce samedi l'armée turque avec les supplétifs jihadistes fait encore des attaques de villages entre Serekaniyé et Derbasiyê malgré le cessez-le-feu.»

Selon les spécialistes l'hétéroclite «Armée nationale syrienne» d'Ankara rassemble des restes de l'Armée syrienne libre, mais surtout de groupes radicaux comme Ahrar al-Charkiya ou Jaich al-Islam. «Il y a des gens de Daech qui ont participé aux batailles de Raqqa et Baghouz» assure pour sa part le maire. «La Turquie les recycle sous d'autres appellations pour nous attaquer. Ils commettent des atrocités, mutilent et décapitent les cadavres. C'est ce qu'on a vu à Serekaniyê.»

Crimes de guerre, crimes contre l'humanité… «On a entendu des mots de la communauté internationale mais pas vu d'actes. Nous, ce que nous demandons, c'est une force internationale qui vienne nous sauver du génocide. Si elle n'intervient pas, ce sera une politique d'épuration ethnique. Elle a déjà débuté avec des semaines terribles à venir pour les déplacés car l'hiver, ici, est très rude.»

(1) Selon un site kurde, elle aurait été emmenée en Turquie.


Condamnation unanime à l'Assemblée

Alors qu'hier Tel Tamer, à 20 km de Dirbasiyê, était encerclé et que les Forces démocratiques syriennes se battaient pour ouvrir un couloir humanitaire pour les civils en danger, les députés ont adopté à l'unanimité la proposition de résolution condamnant l'offensive militaire turque en Syrie. «Un geste rare et solennel d'unité», a souligné Marielle de Sarnez, présidente de la commission des Affaires étrangères, qui a dénoncé les «exactions insoutenables que continuent à perpétrer (…) les supplétifs de l'armée turque» dans ce «Nord-Est de la Syrie (qui) était devenu un espace de stabilité (…) tranchant avec l'obscurantisme dans la région».

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Les commentaires (6)
Petrodebaziege Il y a 4 années Le 01/11/2019 à 12:34

il suffirait que Macron envoie quelques troupes on verrait si Erdogan oserait s'y frottait sachant que la Turquie appartient à l'OTAN comme nous. Chirac avait mis au pas les serbes en une journée. Mais macron s'en fout il bosse pour ses amis milliardaires.

carqueyrolles Il y a 4 années Le 04/11/2019 à 15:42

On n'a plus la capacité militaire pour affronter la Turquie première puissance militaire du Moyen-Orient ...

carqueyrolles Il y a 4 années Le 01/11/2019 à 10:44

En 1991, pendant que la première dame de France se pavanait devant les TV pour son action humanitaire en faveur des kurdes, son mari, le président, envoyait nos forces spéciales pour aider l'armée turque dans la chasse aux kurdes sur la frontière et en territoire turc ....

Grostas Il y a 4 années Le 31/10/2019 à 15:07

Soutien à nos alliés Kurdes que nous avons aidés en 1991 pour les protéger du dictateur irakien.