Harcèlement scolaire : les souffre-douleur témoignent pour dire stop

Souffre-douleur, ils se manifestent

Souffre-douleur, ils se manifestent CAPA PRESSE

A l’occasion des 30 ans de l’agence CAPA, LCP rediffuse le documentaire « Souffre-douleur, ils se manifestent » d’Andrea Rawlins-Gaston et Laurent Follea, qui donne la parole aux victimes.

Article intialement publié le 5 février 2015.

Nora Fraisse (1) aurait pu sombrer dans le désespoir quand sa fille Marion, 13 ans, s’est pendue, en février 2013, pour une affaire de harcèlement à l’école. Mais elle s’est battue. Son témoignage est à l’origine d’un poignant documentaire en forme de manifeste. « En novembre 2013, j’ai entendu Nora Fraisse à la radio, et son récit m’a glacée. Je me suis identifiée à elle », raconte Andrea Rawlins-Gaston, journaliste à l’agence Capa, elle-même maman d’une petite fille de 5 ans, plutôt réservée. Elle a découvert le calvaire de Marion, très bonne élève de quatrième dans un collège de l’Essonne, contre laquelle des élèves de sa classe se sont ligués, la traitant de « bolosse », de « pute », d’« intello »... jusqu’à ce qu’elle ne voie plus d’autre issue que de se tuer. « Autour de moi, pourtant, le phénomène du harcèlement était totalement méconnu », poursuit la réalisatrice.

Installer la confiance

Facebook, les associations montées par des parents, l’Aphee (Association pour la Prévention de Phénomènes de Harcèlement entre Elèves) et des membres de l’Education nationale sensibles au sujet l’aident à identifier des victimes. Installer la confiance, conjurer leur honte, les convaincre de s’exprimer devant la caméra, tout cela prend du temps. Le travail dure six mois. « Je n’ai pas pu garder tous leurs témoignages, mais je m’en suis nourrie. » A l’arrivée, huit histoires terribles s’entrelacent dans ce film tourné dans un lieu unique, le lycée public Jacques-Decour, à Paris, un vieil établissement digne du « Petit Chose », « très graphique ».

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Chaque ado ou parent apparaît en pleine lumière, dans un lieu choisi, classe, escalier, couloir, gymnase... autant d’espaces déserts que leur récit remplit d’ombres et d’angoisse.

« Le tournage a duré une demi-journée par personne... Je voulais les mettre en valeur. Quand ils bafouillaient, quand il y avait trop d’émotion, on s’arrêtait. »

La douleur brouille la voix de Raphaël lorsqu’il raconte la journée fatale où il n’a pas su rassurer son fils Matteo, 13 ans, dont on se moquait parce qu’il était roux : « Ton père, il a la bite rouillée »... Raphaël n’a pas eu le temps d’en reparler avec son fils, de lui dire que son calvaire allait s’arrêter. Après une énième séance de coups, Matteo s’est pendu. Du chagrin à perpétuité pour Raphaël et sa femme Virginie. La réalisatrice martèle :

« Il faut nommer le harcèlement scolaire. Il peut tuer. Les harceleurs ne se rendent pas toujours compte du mal qu’ils font, disent que c’est pour rire. »

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Une routine de violences

Emeline, le regard bleu pervenche, a été harcelée pendant toutes ses années de collège à cause de deux dents de devant grisâtres, qui ont depuis retrouvé leur blancheur. « J’avais l’impression d’être un monstre, j’étais détruite. » Jacky, 19 ans, bégaie. En sixième, il a été harcelé par « des grands ». Sans oser le dire, il a vécu une routine de violences : un de ses bourreaux lui mettait la main sur la bouche jusqu’à l’étouffer, tandis que les autres le frappaient. La belle Charlène, devenue scénariste, a été traitée de « grosse vache », de « baleine » parce qu’elle était boulotte. A la cantine, elle déjeunait seule devant son assiette et les autres lui jetaient des nouilles dans les cheveux. Lucas, 16 ans, est homosexuel. On l’injuriait : « Sale pédé, garage à bites... »

Souvent, les victimes ont peur de parler et que les choses n’empirent. Alors elles retournent la violence contre elles-mêmes. Agathe, boucles couleur de lin, dont on raconte sur Facebook qu’elle couche pour de l’argent, se mutile au compas, au cutter, avec des lames de rasoir. Jonathan, moqué pour son poids, racketté, menacé, s’immole près d’un canal, tombe à l’eau, en réchappe. Andrea Rawlins-Gaston filme son visage déformé par les brûlures. Caroline Brizard

(1) « Marion, 13 ans pour toujours », de Nora Fraisse (Editions Calmann-Lévy, 2015)

Mettre des mots sur ce fléau

Frédéric Kochman est pédopsychiatre à la clinique Lautréamont de Loos (Nord), un centre spécialisé dans la santé mentale des jeunes. Son unité accueille 36 patients âgés de 13 à 17 ans. Un quart d’entre eux souffre des conséquences d’un harcèlement scolaire. Le médecin met des mots sur ce fléau.

Déni

« D’emblée, ces ados n’emploient pas le terme, mais les problèmes de scarification, de démotivation, de déscolarisation pour lesquels ils nous sont adressés sont l’expression de souffrances psychiques, ou physiques, liées à du harcèlement. Le pic se situe au collège, au début de l’adolescence, période vulnérable où ils vivent difficilement l’image de leur corps qui change, et où ils « désidéalisent » leurs parents... Moins d’un tiers des collégiens vont s’en ouvrir aux adultes. Mais ne sont pas pris au sérieux. Or rien n’est pire que l’impossibilité de mettre des mots sur sa souffrance. »

Fragilité

« Il suffit d’un trait physique (surpoids, acné...) ou d’une situation familiale douloureuse – « Ta mère est morte l’année dernière, c’est bien fait pour toi »... Ces fragilités auxquelles il ne peut rien, associées à une hyperémotivité, transforment l’adolescent en victime. Il rougit, tremble, prend la mouche, et ses réactions excessives font rire ses bourreaux. Le harcèlement ne s’arrête pas à l’école, dans 80 % des cas, il s’amplifie sur les réseaux sociaux... »

Souffrance

« Une insulte dans la cour, répercutée par SMS, sur Facebook ou Snapchat, peut provoquer une vraie déflagration. Attaqué dans sa confiance en lui, l’ado, dans l’incapacité de se défendre, se sent submergé par la peur. Nos patients connaissent des états de stress post-traumatique. Les moqueries, les gestes violents, l’effet de groupe, comme des coups de butoir à répétition, finissent par provoquer un effondrement psychique. Et conduisent à des dépressions accompagnées d’idées suicidaires, de refus scolaires, des angoisses qui s’expriment par des troubles physiques, des pertes de connaissance par exemple. Le jeune passe son temps à l’infirmerie... Ces signes doivent être des signaux d’alarme. »

Confiance

« Nous aidons nos patients à regagner confiance en eux par différentes thérapies, cognitives et comportementales. Nous leur faisons travailler la méditation, pour apprendre à maîtriser leur émotivité. Parfois, il faut passer par une aide médicamenteuse, quand la dépression est trop forte. Non soignés, les effets d’un harcèlement handicapent toute la vie. »

Responsabilité

« Le « prédateur » est généralement un ancien enfant roi, qui a eu tout pouvoir à la maison. Il a peu accès à l’empathie et à la compassion. Cette insensibilité est renforcée par le fait qu’il est souvent « cyber addict », adepte de jeux violents où le héros est insensible. Le gangster de « Scarface » est un de ses modèles. Le harceleur joue le chef de bande. Ses parents refusent parfois de reconnaître leur responsabilité dans l’éclosion de son agressivité et sa violence. Ils menacent même de porter plainte si on les met en cause. Les filles, elles, se sentent toutes-puissantes en groupe, liguées contre celle ou celui qui est un peu différent. Nous soignons aussi les harceleurs. L’amélioration peut passer par des jeux de rôle, ou une psychothérapie familiale. »

Mercredi 30 octobre à 20h30 sur LCP. Documentaire français de Laurent Follea et Andrea Rawlins-Gaston (2014). 1h09. (Disponible en replay sur le site de LCP).

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