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Comment deux députés LREM peuvent-ils défendre un Etat aussi corrompu que le Qatar ?

Comment deux députés LREM peuvent-ils défendre un Etat aussi corrompu que le Qatar ?

Par Jean-Pierre Marongiu

Publié le

Jean-Pierre Marongiu, écrivain, revient sur une tribune écrite par deux députés et un responsable LREM qui défendent le Qatar et la tenue de la Coupe du monde de football 2022. Il raconte l'envers du décors de ce pays qu'il a bien connu.

Prenant la plume et leurs accents les plus sincères, Bertrand Sorre, Julien Borowczyk et Gregory Galbadon ont publié une tribune dans Le Point. Intitulée "Oui, la Coupe du monde de football 2022 peut se tenir au Qatar !", cette tribune - sans doute revue et corrigée par Sihem Souid, experte en désinformation qatarie - fait l’apologie des Championnats mondiaux d’athlétisme à Doha pourtant décriés par la totalité des observateurs indépendants.

"Une insulte aux milliers de travailleurs des chantiers de construction qui ont trouvé la mort dans des conditions de travail ignominieuses"

Un tel aveuglement complice ne peut pas être le seul fait de l’incompétence et de la méconnaissance des circonstances de l’attribution de cette compétition, mais bel et bien de la volonté consciente et délibérée d’influer sur l’opinion publique française. Cela fait en effet de longs mois déjà que la justice française s’est saisie du dossier et tient plus particulièrement en ligne de mire Nasser al-Khelaïfi, le grand exécuteur de la stratégie de soft power sportif du Qatar.

Pourquoi une telle détermination à nier l’évidence ?

Sans doute faudra-t-il pour le savoir, attendre les conclusions des actions juridiques en cours en France et aux États-Unis et qui concernent les quelque 880 millions de dollars payés par le Qatar à la FIFA.

Au moment de l’écriture de leur tribune, Bertrand Sorre, Julien Borowczyk et Gregory Galbadon pouvaient-ils ignorer que la justice française était en marche ? Ils ne peuvent pas non plus, en toute bonne foi, faire abstraction des abandons et de la souffrance des athlètes lors des épreuves du marathon et de la marche. Ils ont forcément entendu parler des stades vides, des hôtels miteux et de la manière pour le moins méprisante dont ont été traités les athlètes.

La tribune dithyrambique exhortant l’opinion publique au maintien de la Coupe du monde de football à Doha omet délibérément de décrire les conditions soupçonnées frauduleuses de son obtention. Plus grave, elle est une insulte aux milliers de travailleurs des chantiers de construction qui ont trouvé la mort dans des conditions de travail ignominieuses. Connaîtra-t-on un jour le nombre exact des victimes de la mégalomanie des uns et de la corruption des autres ?

Qui a permis une telle publication ?

Sihem Souid, la femme qui parle à l’oreille des députés, est la directrice générale d'Edile Consulting (société de communication, lobbying, relations publiques et institutionnelles), ancienne chroniqueuse au sein du magazine Le Point, intervenante régulière dans les médias français en qualité d’experte Moyen-Orient n’ayant jamais un mot au-dessus de l’autre sur le sujet du Qatar. Edile Consulting constitue avec AJ+, Al Jazeera et beIN, les organes de désinformation massive dans l’arsenal du soft power qatari.

Julien Borowczyk est un membre actif du groupe d'amitié franco-qatari à l’Assemblée nationale. On peut s’interroger sur l’existence, la fonction et la finalité de ce groupe au sein même d’un organe intermédiaire de notre constitution. Comment peut-on être rassuré sur l’indépendance des textes votés à l’Assemblée nationale quand un groupe de soutien à une monarchie islamiste (dont le rôle de financement des mosquées salafistes et de groupes terroristes a été reconnu par le président de la République lui-même) se trouve en position d'influer sur les décisions ?

Quelle est la valeur du jugement des auteurs ?

Lors de sa tribune écrite en mai 2018, au retour d’un voyage d’études au Qatar, Julien Borowczyck s’extasiait sur les performances du système hospitalier de l'émirat. Sans doute voulait-il s’épancher sur la générosité de l’hospitalité de ses dirigeants. Est-il au fait que les élites qataries peu confiantes en leur système de soins se font soigner aux États-Unis, en Europe, en Inde et en Thaïlande comme en témoigne le récit du séjour d’une femme membre de la famille royale du Qatar qui a fait les gros titres en août 2018 ? Les rutilants hôpitaux qataris sont en fait des coquilles vides de toute compétence médicale. Lorsque j’étais à Doha, j’ai été confronté maintes fois aux pseudos médecins émanant d’improbables universités de médecine afin de toujours finir par préférer envoyer mes fils en France pour leur assurer un parcours de soin sécurisé.

"Il existe cependant quelque part dans notre démocratie un organe intermédiaire qui jusque-là a résisté aux sirènes qataries : le Sénat"

Il existe cependant quelque part dans notre démocratie un organe intermédiaire qui jusque-là a résisté aux sirènes qataries : le Sénat. En effet, la proposition de constitution d’un groupe d’amitié France-Qatar a été rejetée en 2015…

Mais jusqu’à quand tiendra cette résistance ? Quatre sénateurs ont accepté de se rendre prochainement à Doha sur invitation du ministère des affaires étrangères qatari.

Alors, Jean-Marie Bockel, Jean-Noël Guérini, Dany Wattebled et Denise Saint-Pé seront-ils les prochains signataires d’une tribune dans Le Point ?

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne