Condamnée à un an de prison ferme pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage », la journaliste marocaine Hajar Raissouni a été graciée mercredi 16 octobre par Mohammed VI. Opération de com du roi ou victoire démocratique ? La romancière Leïla Slimani, coauteure du manifeste des « Hors-la-loi », engagé « contre le contrôle des moeurs » au Maroc, réagit à cette libération.

ELLE. Comment avez-vous accueilli l'annonce de cette grâce ?

Leïla Slimani. On se réjouit ! On est soulagé pour Hajar, son compagnon et son médecin. Cette libération met fin à une situation de grande injustice. Ce n'est qu'un début, car des Hajar, des médecins, il y en a encore des milliers au Maroc [en 2018, selon les chiffres officiels, 14 503 personnes y auraient été poursuivies pour débauche, 73 pour avortement, ndlr]. Mais ce premier pas donne de l'espoir. Il y a une prise de conscience dans le pays de la dangerosité de ces lois régissant les moeurs, utilisées à des fins politiques ou personnelles, pour se venger, faire chanter. Sans compter toute l'économie crapuleuse autour du sexe illégal qu'elles engendrent.

ELLE. Ne craignez-vous pas que cette décision, émanant du roi et non de la justice, soit de la poudre aux yeux ?

Leïla Slimani. Non, je pense qu'elle aura des conséquences législatives. La mobilisation continue, et même le parti islamiste, ennemi traditionnel des militants des droits de l'homme, s'est positionné en notre faveur en disant qu'il fallait respecter les libertés individuelles et la mobilisation. Cette victoire est aussi réjouissante à ce titre : une autre forme de mobilisation est possible grâce à Internet, aux réseaux sociaux. La pression de la société civile est efficace.

ELLE. Quelle est la prochaine étape de ce combat mené par la société civile ?

Leïla Slimani. Notre collectif issu du manifeste a envoyé des courriers au procureur du roi pour obtenir un moratoire sur ces lois, en attendant leur abrogation. Le projet de révision du Code pénal, en débat au Parlement, est une opportunité à saisir. Nous demandons aussi à la Haute Autorité audiovisuelle de prévoir sur les chaînes publiques une plage dédiée au débat sur les libertés individuelles.

Cet article a été publié dans le magazine ELLE du 25 octobre 2019. Abonnez-vous