Première en France : un hôpital public pourrait être racheté par un groupe privé

Manifestation à Longué-Jumelles le 14 octobre 2019 contre la possible privatisation de l'hôpital ©Maxppp - Eric de Grandmaison
Manifestation à Longué-Jumelles le 14 octobre 2019 contre la possible privatisation de l'hôpital ©Maxppp - Eric de Grandmaison
Manifestation à Longué-Jumelles le 14 octobre 2019 contre la possible privatisation de l'hôpital ©Maxppp - Eric de Grandmaison
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Deux offres sont en lice pour sauver l'hôpital de Longué-Jumelles, au bord de la faillite, dans le Maine-et-Loire. Parmi elles, celle d'un groupe privé. Mais la possibilité de voir cet établissement public racheté par une entreprise privée inquiète soignants et familles de patients.

Ce serait une première en France : un hôpital public repris par un groupe privé. Cette histoire inédite se passe à Longué-Jumelles, dans le Maine-et-Loire, petite commune située à 50 kilomètres d'Angers. 

Le centre hospitalier accueille principalement des personnes âgées et dépendantes et dispose notamment d'un Ehpad, dans cette commune rurale de près de 7 000 habitants. L'histoire commence en 2013, lorsqu'une ancienne direction lance la construction d'un nouveau site, sans consulter les autorités. Rapidement, l'hôpital se retrouve en difficulté. L'agence régionale de santé des Pays de la Loire et le département du Maine-et-Loire ont lancé un appel d'offres au printemps dernier pour tenter de sauver cet établissement au bord de l'asphyxie. Deux offres ont été retenues : l'une publique, l'autre privée, du groupe propriétaire d'Ehpad LNA Santé (anciennement Le Noble Âge).

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En attendant la décision de l'agence régionale de santé et du département du Maine-et-Loire, la perspective de voir un groupe privé prendre la direction de cet hôpital public inquiète le personnel soignant et les familles de patients.

Reportage de Jeanne Daucé.

Etablissement flambant neuf, mais avec 600 000 euros de dettes

Un tout nouveau site, de grandes chambres, des unités spécialisées notamment Alzheimer. L'hôpital de Longué-Jumelles est flambant neuf, mais au bord de l'asphyxie, avec une dette de 600 000 euros. L'origine ? Des travaux, lancés par une ancienne direction, sans l'accord des autorités. Le groupe privé LNA, propriétaire d'une cinquantaine d'Ehpad en France, a déposé une offre pour reprendre cet hôpital public. Pour Corinne Meignant, aide-soignante et déléguée CGT, cette reprise privée se ferait "au rabais", car l'offre propose de racheter l'établissement 18 millions et demi d'euros, alors que les travaux ont coûté environ 24,6 millions d'euros. 

Le centre hospitalier de Longué-Jumelles, le 29 octobre 2019
Le centre hospitalier de Longué-Jumelles, le 29 octobre 2019
© Radio France - Jeanne Daucé

Des soignants dans l'incertitude sur leur statut et conditions de travail

Du côté des salariés, le groupe LNA promettrait de garder tous les titulaires. Mais la CGT s'interroge sur ce que deviendrait le statut de fonctionnaires agents hospitaliers en cas de rachat par le privé. "Est-ce qu'on va avoir tous les avantages d'un fonctionnaire, garder nos primes ? demande Nathalie Harraut, aide-soignante syndiquée CGT_. On a plein de questions, mais on ne nous répond pas._"

Les questions se posent aussi sur les soins apportés aux patients. En effet, si le groupe LNA remporte l'appel d'offres, le prix de la journée à l'Ehpad du centre hospitalier passerait de 62 euros à 67,50 euros, soit 150 euros de plus par mois. Corinne Meignant, de la CGT, craint qu'en cas de privatisation du centre hospitalier de Longué-Jumelles et donc une montée des tarifs, une hiérarchie se créé entre les patients : "On ne veut pas que cet hôpital devienne un repaire pour vieilles dames à manteau de fourrure. Le groupe LNA propose des chambres de luxe : de qui dois-je m'occuper en priorité ? De la dame qui paie sa chambre cher ou de celle qui paie moins cher ? Normalement, je dois m'occuper des deux personnes de la même façon. Dans le public, c'est comme ça ; dans le privé, je ne pense pas."

Des familles inquiètes face à une possible montée des prix

Cette question du tarif inquiète aussi les familles de patients et de résidents. Avec 1 000 euros de retraite par mois, Denise, 92 ans, doit déjà piocher dans ses économies pour payer sa chambre à l'Ehpad. Alors cette possible hausse des prix inquiète son fils Christian, 69 ans, pour qui cette augmentation ne serait qu'un début : "C'est 150 euros tout de suite, mais l'année prochaine il y aura encore une hausse et après ce ne sera plus maîtrisé ! Ce qui m'inquiète, c'est qu'une entreprise privée est là pour faire du bénéfice, il y aura des investisseurs à rétribuer. Et quel est le projet du privé ? Quelque chose de grand standing, où tout le monde ne peut pas aller ? Il y a quand même beaucoup de gens ici qui n'ont pas de famille, ils n'ont pas forcément les moyens de payer... Comment ça se passera pour eux, où iront-ils ?"  

Vers une décision à la mi-novembre

Les inquiétudes sont nombreuses du côté de l'hôpital ; mais pour le maire divers droite de Longué-Jumelles, Frédéric Mortier, il faut voir le privé comme une chance à saisir : 

Le personnel fait un travail extraordinaire avec les moyens qu'il a aujourd'hui ; je pense qu'on peut lui donner encore plus de moyens. Et c'est sans doute le privé qui va pouvoir leur donner plus : il faut juste y croire.

Le département du Maine-et-Loire, qui va devoir trancher entre les deux offres en concertation avec l'agence régionale de santé des Pays de la Loire, rassure les différentes parties. Peu importe que la reprise soit publique ou privée, les patients seront protégés affirme Christian Gillet, président du département : 

Cela fait partie des négociations qu'au moins 50 % des lits soient conventionnés à l'aide sociale : pour l'instant, il y en a un peu moins de 40 % des personnes hébergées qui bénéficient de cette aide. Donc que les familles se rassurent : si elles ne peuvent pas payer, le département fera jouer l'aide sociale.  Il n'y aura pas de sélection ou de ségrégation à l'entrée.

Dans le cas d'un passage sous pavillon privé, le département s'engage à soutenir le personnel, qui souhaite garder le statut de la fonction publique hospitalière. Plus de six mois après l'appel d'offres, le département du Maine-et-Loire espère une décision à la mi-novembre.

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