"Gilets jaunes" : un an après, les femmes restent au coeur du mouvement

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"Gilets jaunes" : un an après, les femmes restent au coeur du mouvement

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Des femmes "gilets jaunes" au Mans. Elles protestent contre le gouvernement et les violences policières le 12 janvier 2019.
Des femmes "gilets jaunes" au Mans. Elles protestent contre le gouvernement et les violences policières le 12 janvier 2019.
© AFP - Jean-François Monier

Les femmes ont manifesté leurs colères au même titre que les hommes à l'occasion du mouvement des "gilets jaunes". Grâce à l'absence revendiquée de porte-paroles, elles ont pris plus facilement leur place que dans d'autres conflits sociaux. Un an après, elles sont souvent encore mobilisées.

Quels ont été la place et le rôle des femmes dans le mouvement des "gilets jaunes" ? Les chaînes régionales de France 3 diffusent simultanément ce lundi soir six films de la réalisatrice Anne Gintzburger. Elle a suivi pendant six mois des femmes "gilets jaunes" dans six territoires différents. Un sujet sur lequel travaille également un collectif de chercheurs du centre Emile Durkheim, à Sciences Po Bordeaux. 

Un mouvement où les femmes sont visibles dès l'origine 

Le reportage d'Anne Fauquembergue sur l'un des six films documentaires d'Anne Gintzburger : "Toutes solidaires" tourné dans la région Grand Est

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Dès le début du mouvement, les femmes ont été plus visibles que dans d’autres mouvements sociaux. Des visages se sont imposés très tôt comme celui de Priscilla Ludosky. En mai 2018, bien avant les premières manifestations, cette habitante de Seine-et-Marne avait lancé une pétition pour s'opposer à la hausse du prix des carburants sur le site de la civic tech change.org. Ce texte réunira au fil dès mois jusqu'à près de 1 300 000 signatures. Puis, il y a un an, la Bretonne Jacline Mouraud s’insurge également contre les mesures anti-voitures. Sa vidéo Facebook devient virale et sera vu jusqu'à 5 millions de fois. Ingrid Levavasseur, aujourd'hui candidate aux municipales à Louviers dans l'Eure, fut aussi initiatrice du mouvement dans la région de la Normandie. Elle est depuis sortie du mouvement mais raconte son parcours dans son livre " Rester digne".  Au delà de ces figures médiatisées, sur le terrain, sur les ronds points ou dans les manifestations, de nombreuses femmes anonymes se sont engagées. Le 9 mars dernier par exemple, lors de l'acte XVII, sur les Champs-Élysées, ce sont elles qui ouvraient le cortège des "gilets jaunes", comme dans ce reportage de Manon Claverie dans le journal de la rédaction.

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Le témoignage d'Anne-Lise, filmée par la réalisatrice Anne Gintzburger

Cet engagement a attiré la curiosité de la réalisatrice et productrice de documentaires Anne Gintzburger. "Ce qui m'a intéressée c'est cette manière, dès le mois de janvier 2019, qu'ont eu les femmes de descendre dans la rue pour dire qu'elles s'inscrivaient dans autre chose que la violence. Elles voulaient faire entendre une parole libre pour dire les difficultés quotidiennes et en même temps porter une parole citoyenne qui leur permettait de retrouver de l'estime d'elles-mêmes. Elles ont fini par me dire qu'au travers de ce mouvement, elles s'étaient relevées ensemble"

La réalisatrice a filmé l'expérience de ces femmes sur six territoires différents. Ces films de 52 minutes sont diffusés simultanément ce 4 novembre sur les chaînes régionales de France 3. Voici la bande-annonce du documentaire pour la région Grand Est : 

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Parmi ces femmes filmées pendant six mois figure Anne-Lise, 51 ans. Elle apparaît à la fin de cette bande-annonce. Anne-Lise est aide-soignante et toujours mobilisée en ce moment près de Nancy. Elle explique pourquoi elle a rejoint le mouvement et ce qu'il lui a apporté. 

Anne-Lise, Gilet jaune près de Nancy au festival du film politique de Porto-Vecchio en octobre 2019
Anne-Lise, Gilet jaune près de Nancy au festival du film politique de Porto-Vecchio en octobre 2019
© Radio France - Anne Fauquembergue

Anne-Lise gilet jaune près de Nancy raconte comment les réseaux d'entraide sont nés

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La place des femmes dans la société est mon combat depuis trente ans. Je me suis reconnue dans ce mouvement. Les femmes dans des situations précaires se sont rendues compte qu'elles n'étaient pas isolées. Nous voulons que l'humain redevienne le centre. Nous avons fait des réunions de femmes. Quelques hommes se sont déplacés et nous ont épaulé dans nos choix, dans nos réflexions. Nous essayons de voir comment nous pouvons avancer et nous avons essayé de trouver des solutions pour les familles les plus précaires. Nous sommes plusieurs à faire des potagers, nous avons fait des cagettes avec des légumes. Nous avons aussi fait des échanges de garde-robes, organisé des sorties avec les enfants.

Une enquête transdisciplinaire sur ces femmes pourrait se poursuivre

"Sur tous les territoires, encore aujourd’hui, les femmes jouent le rôle de cheville ouvrière dans le mouvement", explique la chercheuse Magali Della Sudda du centre Emile Durkheim, rattaché à Sciences Po Bordeaux. Elle participe à un collectif d'enquête interdisciplinaire qui documente scientifiquement la mobilisation. "Les femmes ont pu prendre leur place car il n'y a dans ce mouvement ni organisation syndicale, ni partisane susceptible de confisquer leur parole. Ce mouvement qui part de la base, assez autogestionnaire va favoriser l’émergence de personnes qui n’ont pas les ressources habituelles". Par ailleurs, Les catégories socio-professionnelles les plus investies sont celles dites du soin à l’autre : les infirmières, les aides-soignantes et à domicile, les agents dans les écoles, les fonctionnaires territoriales, les enseignantes, précise-t-elle. Par conséquent, les femmes "gilets jaunes" s’occupent de la coordination, elles travaillent à la pacification des conflits. Il y a une intériorisation des normes de genre mais dans le même temps "elles ne sont pas des subalternes" insiste la chercheuse :

Magali Della Suda, chercheuse au CNRS spécialiste de la place des femmes dans les mobilisations sociales

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Elles ont joué un rôle important dans la transformation des pratiques de consommation portée par ce mouvement. Il y a le souci de faire tenir et de poursuivre la mobilisation, y compris par d'autres formes que la manifestation et notamment l'entraide. Mais il ne faut pas les enfermer dans un rôle, elles peuvent aussi sortir des rôles traditionnels. Il est intéressant de voir comment on peut avoir une représentation de soi et un discours sur ses actions très conformes à la complémentarité des sexes et comment en pratique on les subvertit. Ces femmes mettent en acte un militantisme égalitaire.

Le collectif de chercheurs du centre Emile Durkheim vient de faire une demande de financements pour pouvoir continuer à suivre ces femmes "gilets jaunes" pendant cinq ans. "A ce stade, tous les travaux convergent : avec ce mouvement, les cartes semblent rebattues, même par rapport aux organisations les plus mixtes et progressistes, les femmes ont une plus grande place" conclut Magali Della Sudda.

L'Invité(e) des Matins
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