Souvenirs du 5 novembre 2018, dans la poussière de la rue d'Aubagne à Marseille
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Il y a un an, deux immeubles s'effondraient en plein centre-ville de Marseille. Ce jour là, tout près de l'immense tas de décombres, j'ai passé plusieurs heures à recueillir les témoignages des riverains. Voici le récit personnel des souvenirs que j'en garde.
C'est par une alerte lapidaire que j'apprends ce qui ressemble déjà à un désastre. 9h05, lundi 5 novembre 2018, deux immeubles s'effondrent rue d'Aubagne à Marseille. Je quitte en urgence les bureaux de France Bleu Provence et prends la route, direction le quartier de Noailles, sans savoir à quoi m'attendre. Au volant, j'essaye de me remémorer cette rue. Une succession de bâtiments, de quatre ou cinq étages, par endroits délabrés. Une question m'obsède : ces deux immeubles étaient-ils habités ?
Sur place, je m'engage sur le cours Lieutaud, artère jouxtant la rue d'Aubagne, balayée par les gyrophares des pompiers et de la police. Le périmètre est déjà bouclé. Je passe sous une banderole et un policier m'interpelle. Il m'indique l'espace réservé aux journalistes au carrefour de la rue Estelle et de la rue d'Aubagne, au pied des escaliers du cours Julien. C'est ici que j'aperçois la première image du drame : une montagne de débris bouche la rue. Un tas de pierres, de poutres et de taules froissées dessinent la carcasse des immeubles.
Sidération et angoisse
Coincée dans la cohue du carré presse, j'ai encore du mal à prendre conscience de la gravité de la situation. Un premier pompier s'avance et précise que les deux immeubles effondrés sont les numéros 63 et 65. L'un serait tombé en premier, le numéro 63, vide et muré. Il aurait entraîné dans sa chute le numéro 65, une copropriété de 10 appartements. Une vidéo circule, celle d'une caméra de surveillance qui a capté l'effondrement. On y voit deux passants disparaître dans la fumée. Sont-ils sous les décombres ?
Très vite, un bruit sourd interrompt l'interview. Un nuage de poussière nous entoure. Tout le monde se baisse. Un autre mur vient de tomber. Dans les regards des secouristes, on devine la peur d'un effet domino. La pluie commence à tomber.
Je contourne le périmètre bouclé pour atteindre l'autre extrémité de la rue d'Aubagne. Là, à l'angle de la rue de l'Académie, entre deux échoppes de pâtisseries orientales, je commence à réaliser l'ampleur du drame. Une petite foule s'est formée. Les visages sont tendus, pâles. Beaucoup passent des coups de fils. Au milieu d'un petit groupe, une femme fond en larmes et crie en comorien. Un frisson me parcourt. Je m'approche, elle m'explique : "Il y a une amie qui habite là, elle a des enfants, elle les a déposés à l'école, mais elle ne répond plus. Pourquoi les pompiers ne commencent pas à chercher ?" À cet instant, les secours tentent d'éviter un nouvel effondrement, celui de l'immeuble du numéro 67, fragilisé par la chute des deux autres. Un jeune homme serre sa petite amie dans ses bras et raconte qu'il est le propriétaire d'un appartement au numéro 65. Il y héberge un ami qui lui non plus, ne répond pas.
Les larmes et déjà la colère
Au loin, à une dizaine de mètres de l'immense tas de gravats, une femme passe la tête par une fenêtre. Je tends mon micro en l'air et elle me fait signe de venir. Je contourne la zone par la rue Châteauredon et un policier m'escorte jusqu'à sa porte. La jeune femme, la vingtaine, me raconte qu'elle a tout entendu, qu'elle a peur, qu'elle ne sait pas si elle doit partir. Sur le trottoir d'en face, une dame s'avance et me guide jusqu'à sa cage d'escalier. Ces effondrements, elle s'y attendait.
Tout est délabré ici, regardez les fissures, les câbles électriques qui sortent, les rats, les souris
Je rebrousse chemin. La foule a formé un cercle autour d'une femme qui pleure et murmure en arabe. Près d'elle, une autre jeune femme aux collants roses a les yeux remplis de larmes. Elle explose :
Ma copine est sous les décombres. Tout ça c'est parce qu'ils laissent la ville mourir exprès ! Vous ne voyez pas qu'ils laissent mourir le quartier exprès ? Ils le savent très bien que tous ces immeubles peuvent se casser la gueule ! Ils ne font rien
Elle recule, tremblante. Je frissonne à nouveau. Que faire ? Lui parler, la réconforter ? Mais comment ? Je m'écarte, respire, prise soudain d'angoisse. Impossible de rester là et de continuer à prendre la distance nécessaire à mon travail de journaliste. J'appelle mon chef, un autre journaliste est en route pour me suppléer. Je rentre à la rédaction, abasourdie.
Onde de choc
Quelques jours après les effondrements, la liste des victimes tombe : huit personnes ont perdu la vie. Je lis et relis ce qu'on sait d'eux. Je compare les descriptions aux récits des proches rencontrés au bas de la rue. J'en conclue, pétrifiée, que tout ceux qui ne répondaient pas ce jour-là sont morts.
La copine de la jeune fille aux collants roses, c'est peut-être Simona. Une étudiante italienne, que j'ai déjà croisée au comptoir d'un bar de la Plaine où elle travaillait. Une fille pleine de vie qui a succombé dans la catastrophe de Noailles. La première onde de choc d'un séisme qui résonnera dans tout Marseille.
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