PROCESLa mort d'Hafsa, 15 mois, est-elle due à la radicalisation de sa mère ?

Procès des parents d'Hafsa : La radicalisation de la mère peut-elle expliquer la mort de la fillette de 15 mois ?

PROCESLe premier jour d’audience a été consacré à la personnalité de la mère, dont le virage radical a longuement été évoqué lundi devant la cour d’assises de l’Isère, à Grenoble
Grenoble, le 2 novembre 2015
Illustration du Palais de justice / cour d'assises de Grenoble
Grenoble, le 2 novembre 2015 Illustration du Palais de justice / cour d'assises de Grenoble
Caroline Girardon

Caroline Girardon

L'essentiel

  • Un jeune couple est jugé jusqu’au 15 novembre pour la mort de leur fillette à Grenoble en 2017.
  • Les parents sont poursuivis pour des faits de violence, de maltraitance et de privation de soins et de nourriture.
  • La première journée d’audience a été consacrée au virage radical vers le salafisme opéré par la jeune maman.

De notre envoyée spéciale à Grenoble

Un procès complexe. Celui des parents de la petite Hafsa, décédée le 1er mars 2017 à l’âge de 15 mois. Noémie Villard et Sami Bernoui, respectivement âgés de 22 et 26 ans, sont jugés depuis lundi devant la cour d’assises de l’Isère à Grenoble pour maltraitance, privation de nourriture et de soins et violences sur leur fillette. Mais les jurés, avant de se prononcer le 15 novembre, vont devoir démêler un certain nombre de questions soulevées lors du premier jour d’audience consacré à la personnalité de la jeune maman.

La radicalisation dans laquelle s’était enfermé le jeune couple de salafistes, peut-elle être un début d’explication au drame vécu ? Et comment une adolescente douce, studieuse, qui désirait plus que tout être maman, a-t-elle pu être ainsi détachée de son enfant ? Sans jamais mesurer la gravité de son état de santé, ni réagir quand la fillette était au plus mal. En refusant de la conduire à l’hôpital lorsque la petite Hafsa vomissait depuis dix jours. Ou en taisant les violences de son époux.

« Tous les clignotants étaient au rouge »

Autre interrogation : les services sociaux, qui avaient retiré l’enfant de son foyer à l’âge de deux mois, ont-ils manqué de discernement lorsqu’ils ont pris la décision de confier à nouveau l’enfant à ses parents huit mois plus tard ?

« Tous les clignotants, faisant craindre des risques de maltraitance, étaient au rouge », répond le Docteur Becache, psychiatre, sans toutefois charger les services sociaux. Les clignotants ? Le couple, qui a accueilli entre-temps un petit garçon, réside dans la plus grande précarité. Pas de chauffage, pas d’eau chaude, ni d’électricité dans l’appartement. Pas d’amis non plus. Le père passe la plupart de ses nuits avec une autre femme, qu’il désire épouser. La jeune maman reste seule, incapable de renouer le lien avec sa petite fille. Elle ne sort jamais de l’appartement, refuse tout examen gynécologique, met le Samu dehors lorsque les secouristes se pointent à sa porte et qu’elle n’est pas voilée.

De « petite fille modèle » à jeune femme radicalisée

De la personnalité et de l’évolution de Noémie, la « petite fille modèle », il en a été longuement question lundi. La rupture a été consommée le 14 février 2015 lorsque l’étudiante en langues étrangères part de chez elle avec pertes et fracas pour épouser, par téléphone, Sami, un jeune homme qu’elle n’a vu que deux fois. Et jamais en tête-à-tête. Elle parle de « coup de foudre ». Ses parents, avec qui elle a coupé les ponts, s’inquiètent et redoutent un embrigadement.

Chez Noémie, « tout a basculé en deux ans », rapportent les différents témoins. D’une voix d’adolescente, la jeune femme au visage poupin, sanglote dans son tchador gris. Elle martèle qu’elle « n’a jamais trouvé sa place » dans sa famille biculturelle et notamment auprès de ses grands-mères qui la tiraillaient sans arrêt sur ses origines. « Je n’avais pas la possibilité de m’exprimer, je ne voulais blesser personne », explique-t-elle. Elle affirme que la « religion a été un refuge », qu’elle « se sent libre », qu’elle a « fait des choix pour la première fois » pour contrecarrer une « relation fusionnelle » voire étouffante avec sa mère « qui décide de tout ».

« Elle ne pouvait pas faire mieux pour enquiquiner sa maman », lâche la psychiatre à la barre. La maman en question, d’origine algérienne, a toujours refusé de porter le voile et a dû batailler ferme au sein de sa propre famille pour épouser le père, catholique. A la maison, on ne fait pas le ramadan ni le carême. Pas plus qu’on ne va à la mosquée ou à l’église. On mesure la chance d’« être de deux cultures ». La fillette est choyée, aimée par ses parents qui l’inscrivent au cirque, lui paient des cours d’équitation et de poterie, l’emmènent aux spectacles. Elle suit des cours de piano et pousse même jusqu’aux portes du conservatoire.

« Vous vous êtes enfermée dans tous les sens du terme »

« Il y a un contraste entre ces activités et la vie que vous avez ensuite choisie, observe le président de la cour d’assises au sujet de Noémie. Vous vous êtes enfermée dans tous les sens du terme. Comment peut-on se retrouver entièrement voilée dans un appartement sans chauffage et dans un désert relationnel ? Mais que s’est-il passé ? ». Personne ne semble comprendre, à vrai dire. Seule certitude : la frêle adolescente s’est tournée vers la religion toute seule, en commençant à lire des ouvrages sur l’islam puis en allant surfer sur quelques sites. Et c’est en arrivant à la fac, en fréquentant des copines salafistes, qu’elle a choisi d’adopter le voile intégral. Sous le regard impuissant de ses parents, qui ont tout tenté pour la raisonner, jusqu’à lui confisquer son passeport et solliciter de l’aide auprès des autorités et des associations.

« Quelque chose lui échappe dans son choix. Elle passe d’un enfermement personnel à un autre », constate Christian Roux, psychologue. « Elle n’est pas spécialement sous l’emprise de son mari mais on peut parler de dépendance affective. Elle ne fonctionne qu’à la relation fusionnelle. Et c’est elle qui est allée vers la radicalisation », enchaîne le docteur Becache. Et de conclure : « Son besoin d’absolu, son manque de flexibilité, son refus de se remettre en cause peuvent expliquer beaucoup de choses… Mais pas la radicalisation. Quand un bébé va mal, on a généralement un sursaut moral. C’est du bon sens humain de s’en préoccuper ».

Mardi, la cour se penchera sur la personnalité de Sami Bernoui. Mercredi, ce sont les professionnels de santé qui seront appelés à la barre pour évoquer les maltraitances subies par la petite Hafsa.

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