Chine, Émirats... Les musées français mettent le cap à l’international

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Chine, Émirats... Les musées français mettent le cap à l’international

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Emmanuel Macron, le président du Centre Pompidou Serge Lasvignes (G) et Fong Shizhong (R) ont dévoilé une plaque lors de l'inauguration du musée du Centre Pompidou West Bund à Shanghai ce 5 novembre 2019.
Emmanuel Macron, le président du Centre Pompidou Serge Lasvignes (G) et Fong Shizhong (R) ont dévoilé une plaque lors de l'inauguration du musée du Centre Pompidou West Bund à Shanghai ce 5 novembre 2019.
© AFP - Hector Retamal / Pool

Le fil culture. Le Centre Pompidou inaugure son antenne à Shanghai ce mardi en présence d’Emmanuel Macron. Après Bruxelles et Malaga, le musée parisien poursuit sa politique d’ouverture à l’étranger ; un choix loin d’être évident pourtant et que seules quelques grandes institutions peuvent se permettre.

Le Centre Pompidou dispose aussi d’une antenne à Shanghai désormais. Inauguré par le Président français en visite d’État en Chine ce mardi, le nouveau musée est érigé au cœur du West Bund, récent quartier culturel de cette ville en plein essor. Après l’Espagne et la Belgique, Beaubourg continue d’ouvrir des filiales à l’étranger, comme le Louvre l’a déjà fait à Abu Dhabi et comme d’autres grands musées parisiens envisagent de le faire. Cependant, cette politique fait peu d’adeptes ; seules quelques très grandes institutions culturelles optent pour ce choix.

Beaubourg fait le choix de la mondialisation

Les Chinois aussi pourront bientôt aller à Beaubourg : à partir du 8 novembre, le “Centre Pompidou x West Bund Museum Project” ouvrira ses portes au public. Prévu par un accord franco-chinois signé à l’été 2017, ce bâtiment de 25 000 m² dessiné par l’architecte britannique David Chipperfield a été érigé dans le nouveau quartier culturel de Shanghai - dans l’ancienne zone aéroportuaire - qui devrait accueillir une vingtaine d’institutions culturelles à terme.

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Oeuvre du Britannique David Chipperfield, le lieu offre près de 25 000 m2 d'exposition et de lieu de rencontre sur les berges du Huangpu, la rivière qui traverse l'immense métropole de 24 millions d'habitants.
Oeuvre du Britannique David Chipperfield, le lieu offre près de 25 000 m2 d'exposition et de lieu de rencontre sur les berges du Huangpu, la rivière qui traverse l'immense métropole de 24 millions d'habitants.
- Aki / West Bund Museum

Le Centre Pompidou n’en est pas à son coup d’essai : la première filiale à l’étranger a ouvert en 2015 à Malaga, en Espagne (“le Cube”) et la deuxième a vu le jour en 2018 à Bruxelles, dans un ancien garage Citroën ( “Kanal - Centre Pompidou” qui ne rouvrira définitivement qu’en 2022 ou 2023 après travaux). Le musée Beaubourg applique ici une stratégie choisie de longue date. Dès 2010, Alain Seban, directeur de l’institution d’alors, déclarait : “Le Centre Pompidou cherche à devenir un musée universel, non plus centré sur l’occident, en phase avec la mondialisation de la scène artistique et les foyers émergents - la Chine, l’Inde, l’Amérique latine, l’Afrique et le Moyen-Orient - [il] sert du même coup le rayonnement de la France”. En 2019, son successeur Serge Lasvignes expliquait aussi que le musée avait les moyens de cette ambition avec une collection immense d’art moderne et contemporain - 120 000 œuvres -, la deuxième du monde après le Moma de New York, “qui n’est toujours pas dans une logique de mondialisation”, se réjouissait le directeur.

À la clef, Beaubourg y gagne financièrement. À Malaga, l’usage de la marque Pompidou rapporte 1 million d’euros par an en royalties, le Kanal de Bruxelles devrait permettre d’encaisser 2 millions en année pleine et l’antenne de Shanghai, deux à trois fois plus

Centre Pompidou de Shanghai. La première salle du parcours semi permanent.
Centre Pompidou de Shanghai. La première salle du parcours semi permanent.
© Radio France - Anne Chépeau

Dans le JDD, le 10 mars, le directeur du musée évoquait aussi des discussions pour ouvrir des antennes à Prague et en Corée. Salutaire stratégie budgétaire dans un contexte de contraction des subventions publiques : l’institution disposant d’un budget annuel de 135 millions d’euros. Mais pas seulement, le Centre Pompidou y trouve aussi son compte d’un point de vue artistique pour repérer de nouveaux artistes locaux, acquérir des œuvres à des tarifs intéressants et les faire découvrir à Paris. 

Les années passant, nous avons fini par intégrer l'idée que la subvention publique n'augmenterait pas, et probablement diminuerait. Donc, il faut d'autres ressources. La subvention publique nous permet d'assurer le fonctionnement normal. Mais pour tous les nouveaux projets, pour toutes les volontés d'expansion, nous devons trouver des ressources supplémentaires et les trouver ailleurs.

Le Centre Pompidou est un grand établissement culturel qui se consacre à l'art contemporain. Cela veut dire qu'il est terriblement mortel, (...) qu'il doit sans cesse renaître, être à l'écoute de la manière dont la création évolue. Dans un monde qui est devenu polycentrique, avec des foyers culturels qui ne sont plus concentrés en un lieu, il faut être en contact avec ces divers centres. (...) Et je crois que cette présence à l'étranger nous permet (...) de ne pas nous reposer sur nos lauriers.

Serge Lasvignes, directeur du Centre Pompidou, interviewé par Anne Chepeau

Centre Pompidou de Shanghai. Un des espaces avec des œuvres d'Alexander Calder et d'Ellsworth Kelly.
Centre Pompidou de Shanghai. Un des espaces avec des œuvres d'Alexander Calder et d'Ellsworth Kelly.
© Radio France - Anne Chépeau

Pour autant, cette stratégie de filialisation n’est pas plébiscitée. “Le Centre Pompidou dispose d’une très grande collection qui permet de ne pas déposséder le navire amiral”, explique François Mairesse, muséologue et professeur à l’université Paris 3, “c’est une possibilité que n’a pas le musée d’Orsay par exemple. Il n’y a pas 3 000 impressionnistes !”. Cependant, depuis une vingtaine d’années, on constate bel et bien une volonté d’aller de plus en plus vers le marché.

La diplomatie française passe aussi par les grands musées

Cultiver sa marque et l’exporter à l’étranger est tentant en effet. “Mais cette volonté ne concerne pas tous les musées”, poursuit François Mairesse. “Au fond, très peu ont la possibilité de le faire. Il y a cette catégorie de musées que j’appelle ‘millionnaire’ - plus d’un million de visiteurs par an - avec un peu moins d’une dizaine de représentants en France. Dans le monde, on n’en compte qu’une soixantaine”

Les plus influents sont le Louvre, Orsay et Versailles - si on l’envisage comme un musée. “Ces institutions ont toutes essayé de développer un certain nombre d’éléments liés à leur marque : du parfum, du thé… Ou une succursale ! L’autre exemple le plus connu est celui du Louvre Abu Dhabi inauguré en 2017”, précise François Mairesse. “Or au départ, cette ouverture n’avait pas la faveur du Louvre, mais plutôt des Emiratis et du Quai d’Orsay. Au final, la logique financière l’a quand-même emporté car le Louvre y gagne près d’un milliard d’euros sur trente ans. C’est aujourd’hui le seul établissement où l’apport de l’État est minoritaire”.

Pour les pays qui reçoivent, l’intérêt est aussi présent. Les Émirats arabes unis ne disposent pas de collections et en signant un partenariat avec une grande institution reconnue, ils s’assurent d’avoir une institution qui ne soit pas une coquille vide. “C’est la même approche qui a été mise en œuvre pour le Guggenheim de Bilbao, avec un contrat de base simple : on peut y voir des œuvres de qualité internationale”, explique François Mairesse. “À Shanghai, il existe déjà des musées absolument remarquables avec des collections immenses au niveau de l’art chinois mais il y a une relative faiblesse pour ce qui est de l’art international”.

Soft Power
1h 27

Mais les enjeux ne sont pas seulement culturels ou scientifiques. La Chine raisonne surtout en termes de développement touristique et économique ; l’image est forte d’un point de vue symbolique en signant un partenariat avec une institution reconnue, “Shanghai ambitionne de se placer sur l’échiquier mondial, comme tout ce qui se fait en Chine. Quant à la France, elle joue là une partie de sa diplomatie en s’appuyant sur ce soft power”, continue François Mairesse. “L’art joue le rôle d’interprète. _André Malraux avait déjà utilisé cela en faisant voyager la Joconde, au grand dam des conservateurs de l’époque__”_.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Centre Pompidou Shanghai est inauguré à l’occasion de la visite d’État d’Emmanuel Macron. En Chine, le Président français se déplace avec une délégation de grands patrons et la culture peut aider à faire avancer les choses. Ainsi, les expositions événement ou les nouveaux musées sont de belles occasions pour les grandes entreprises d’investir dans le mécénat. L’année France Russie en 2010 en est un bel exemple, avec une exposition Picasso qui avait attiré de très nombreux visiteurs à Moscou et Saint-Pétersbourg. La Société Générale y avait investi 250 000 euros d’après Les Echos : “Ces gros projets apportent visibilité et retombées médiatiques aux mécènes”, reconnaissait à l'époque la chargée de communication de Culturesfrance.

Bras armé du ministère des Affaires étrangères, cette agence devenue en 2010 l'Institut français organise régulièrement des années culturelles croisées : Turquie, Brésil, Russie… Qui attirent un nombre croissant d’importants mécènes. Un rôle d'influence qu’acceptent les musées si le projet correspond à leurs objectifs scientifiques. Et en Chine, le marché est prometteur : le musée Rodin pourrait y ouvrir une annexe à Shenzhen grâce à son fonds très important - Rodin a été un artiste très prolifique. Quant aux rencontres photo d’Arles, elles ont déjà choisi la Chine depuis 2015 : la 5e édition du festival Jimei x Arles aura lieu à Xiamen du 22 novembre 2019 au 5 janvier 2020.

Les rencontres de la photographie d'Arles ont rendez-vous chaque automne en Chine depuis 2015. Ici, le festival 2018 à Jimei.
Les rencontres de la photographie d'Arles ont rendez-vous chaque automne en Chine depuis 2015. Ici, le festival 2018 à Jimei.
© AFP - Song Weiwei

Cette présence en Chine nous permet à la fois d'exporter notre savoir faire et nos expositions, mais aussi, en retour, d'avoir sur place un poste d'observation formidable. Il y a à peu près 60 festivals de photographie en Chine aujourd'hui et celui qu'on a créé est positionné comme l'un des festivals de référence. Il nous permet d'identifier énormément d'artistes et vous vous serez rendu compte que ces dernières années à Arles de nombreux artistes asiatiques ou chinois étaient présent à Arles, qui souvent intéressaient énormément le public.

Et en martelant le nom des Rencontres d'Arles comme étant le grand expert et la grande référence pour la photographie en Chine, c'est un moyen, demain, d'avoir un certain nombre de visiteurs chinois qui considéreront qu'une pause à Arles est un passage obligé. Aujourd'hui, la conquête des nouveaux publics et extérieurs se passe à l'est.

Sam Stourdzé, directeur des Rencontres d'Arles, interviewé par Anne Chepeau

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