HARCÈLEMENT SEXUEL - “Qu’est-ce qu’on a tous comme responsabilité collective pour que ça arrive?”. L’actrice Adèle Haenel, qui a accusé le réalisateur français Christophe Ruggia d’attouchements et de harcèlement sexuel, s’est longuement exprimée sur la place -et la banalisation- des violences faites aux femmes dans notre société.
Invitée ce lundi 4 novembre de Mediapart qui a révélé l’affaire, Adèle Haenel n’a pas uniquement pointé du doigt celui qu’elle accuse, mais a souligné la responsabilité de la société dans son ensemble, de la justice à la culture en passant par l’éducation, qui promeut -même inconsciemment- la culture du viol.
“Quand bien même quand il vient se coller à moi je me colle à l’autre bout du canapé, je m’enfuis... Il n’y a aucune ambiguïté dans la situation présente. Il y a ambiguïté parce qu’on a créé toute une histoire de ce qu’était le rapport aux femmes”, souligne l’actrice. “Les agresseurs peuvent se raconter toute une histoire romantique au sujet d’un truc qui n’est pas du romantisme. Qui est de l’oppression.”
Et de déconstruire l’une des critiques régulières du mouvement #MeToo, accusé d’exagérer l’ampleur de ces violences: “Comme le monde a fonctionné sans problème avec le silence des femmes depuis tellement de temps, on considère qu’on a inventé la violence faite aux femmes avec MeToo. Mais non!”, s’indigne-t-elle.
Comme beaucoup d’autres avant elle, Adèle Haenel a d’ailleurs réussi à témoigner grâce à la libération de la parole née du mouvement en réaction au scandale Harvey Weinstein. Elle décrit notamment sa “responsabilité”, au vu de sa situation professionnelle confortable, vis-à-vis de celles qui n’osent pas s’exprimer par peur de représailles.
“Aujourd’hui, c’est une responsabilité pour moi. Parce que je suis en mesure de le faire, je travaille suffisamment, j’ai des projets dans la vie, j’ai un confort matériel, j’ai des alliances qui font que je ne suis pas dans la même précarité que la plupart des gens à qui ça arrive. Et je voulais le faire pour leur parler à elles et à eux. Pour leur dire qu’ils ne sont pas tout seuls.”
“Les monstres, ça n’existe pas. C’est notre société. C’est nous”.
Malgré son témoignage, Adèle Haenel a fait savoir dès le début qu’elle ne porterait pas l’affaire en justice, bien que les faits ne soient pas prescrits. La raison? Un système judiciaire qui “méprise” les femmes, là encore victimes de “violence systémique”.
“C’est un viol sur 10 qui aboutit à une condamnation en justice. Ça veut dire quoi des 9 autres? Ça veut dire quoi de toutes ses vies? (...) Il y a tellement de femmes qu’on envoie se faire broyer. Soit dans la façon dont on va récupérer leur plainte, soit dans la façon dont on va disséquer leur vie et puis porter le regard sur elles. La faute, c’est elle, comment elle s’est habillée, ce qu’elle a fait, ce qu’elle a dit, ce qu’elle a bu. Mais arrêtons”, dénonce Adèle Haenel.
Elle n’est d’ailleurs pas la seule à souligner cette faille du système policier et judiciaire. La formation des forces de l’ordre aux situations de violences conjugales fait notamment partie des objectifs de la secrétaire d’État à l’égalité hommes/femmes dans le cadre du Grenelle.
Toutefois, qu’il s’agisse du système judiciaire ou même des agresseurs, Adèle Haenel se refuse à “isoler” de façon définitive un acteur ou un autre, prônant simplement une remise en question à tous les niveaux, de la part des hommes comme du système judiciaire et de la société entière. “Si on est là à vouloir maintenir en place des ordres qui sont stérilisants pour la pensée, pour le cœur, pour le rapport à autrui, on construit un monde qui va à sa perte”, affirme-t-elle.
″L’idée ce n’est pas de dire qu’il y a des monstres. On n’est pas en train d’isoler les gens de la société. Comment est-ce que c’est possible que ça arrive? Qu’est-ce qu’on a tous comme responsabilité collective pour que ça arrive? C’est de ça dont on parle. Les montres, ça n’existe pas. C’est notre société. C’est nous, nos amis, nos pères. C’est ça qu’on doit regarder. Et on n’est pas là pour les éliminer, on est là pour les faire changer. Mais il faut passer par un moment où ils se regardent, où on se regarde.”
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