« On n'atteindra pas les objectifs de l'accord de Paris sans le nucléaire »

Experte reconnue du secteur de l'énergie, Colette Lewiner s'inquiète dans un rapport édité par Capgemini : les émissions de gaz à effet de serre ne cessent d'augmenter.

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Raffinerie de pétrole d'Exxon. Les émissions de gaz à effet de serre sont dues en grande partie à la production d'énergie à partir de charbon et de pétrole.

Raffinerie de pétrole d'Exxon. Les émissions de gaz à effet de serre sont dues en grande partie à la production d'énergie à partir de charbon et de pétrole.

© Aurelien Morissard / MAXPPP / IP3 PRESS/MAXPPP

Temps de lecture : 5 min

On se souvient de Laurent Fabius, de Ségolène Royal et d'autres saluant par une volée d'applaudissements l'accord de Paris, signé sous l'égide de la COP21, en 2015. Les pays signataires s'engageaient à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, dont fait partie le CO2, afin de contenir la hausse des températures à 1,5, voire 2 degrés, d'ici à 2100. La fête est un peu finie. Portées par la croissance de l'économie, les émissions de ces gaz, responsables du réchauffement du climat, ont encore augmenté entre 2017 et 2018. Le pétrole, le gaz et le charbon, tous trois des énergies très émettrices de ce gaz, représentent 75 % de la demande en énergie. C'est la plus forte proportion depuis cinq ans. Une situation inquiétante que dénonce Colette Lewiner, conseillère « énergie » auprès du président de Capgemini et créatrice du World Energy Markets Observatory, un rapport annuel qui fait référence dans le secteur de l'énergie. Elle est par ailleurs membre du conseil d'administration d'EDF.

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Le Point : Les émissions de CO2 au niveau mondial ont augmenté de 2,3 % en 2018. Quatre ans après l'accord de Paris, fêté par tous les signataires comme une grande avancée pour le climat, est-ce déjà un échec  ?

Colette Lewiner : C'est vrai, au niveau mondial, on n'a guère de raisons d'être optimiste. L'objectif de l'accord de Paris signé lors de la COP21 sera très difficile à atteindre, sauf s'il y a une rupture franche dans les réglementations et les habitudes. Dès 2015, d'ailleurs, en agrégeant les programmes de réduction des émissions de gaz à effet de serre soumis par les pays signataires, on savait déjà qu'on atteindrait une augmentation de la température de notre planète de 3 degrés en 2050 ! Aujourd'hui, si l'on se projette à ces horizons, avec le rythme actuel d'augmentation de ces émissions, on sait qu'on dépassera les 3 degrés, très nettement.

Qui sont les principaux responsables ?

Il convient d'abord de noter que l'Europe est le « bon élève de la classe », car ses émissions ont légèrement baissé. L'Union européenne va atteindre ses objectifs, qui sont de réduire de 20 % ses gaz à effet de serre en 2020 par rapport à 1990. Elle va d'ailleurs les dépasser, même si cette réduction a stagné ces dernières années. En revanche, si on se projette en 2030, l'objectif européen de réduire ces émissions de 40 % ne serait sans doute pas atteint avec les réglementations d'aujourd'hui.

L'Allemagne, qui a relancé la production d'électricité par le charbon pour pallier la fermeture de centrales nucléaires, est-elle à la traîne en Europe  ?

Ces dernières années, l'Allemagne a moins réduit ses émissions que la moyenne des pays européens. En revanche, en 2018, ses émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 1 % grâce probablement à une certaine substitution du charbon par le gaz et à une moindre croissance économique. Elle a fait un peu mieux que la moyenne européenne. Mais, à cause du charbon, l'Allemagne a toujours un niveau élevé de production de gaz à effet de serre.

Qui sont les pays qui augmentent le plus leurs émissions  ?

Malgré la sortie programmée de l'administration américaine de l'accord de Paris, les États-Unis connaissent une tendance stable. En revanche, la Chine et l'Inde augmentent de manière importante leurs émissions. En Inde, la proportion d'émissions de CO2 par habitant est faible, elle est moitié moins forte qu'aux États-Unis, mais, avec un niveau de vie qui s'améliore, la situation va devenir très préoccupante, surtout si les nouvelles générations adoptent le modèle occidental de consommation. La Chine, premier émetteur mondial, est aussi dans ce cas. Les émissions ne cessent d'augmenter, et la tendance risque de se poursuivre avec la croissance, bien normale, du niveau de vie. Aujourd'hui, 67 % de l'électricité chinoise est produite grâce au charbon. Cette proportion grimpe à 75 % en Inde… Le problème, c'est que ces pays pèsent beaucoup plus dans les émissions globales que l'Europe, qui reste une petite région en la matière.

Que peuvent faire les gouvernements  ? Vous expliquez dans le rapport de Capgemini que les politiques de taxation du carbone sont difficilement acceptées, parce que chacun a une vision à court terme et parfois des difficultés à boucler son budget de fin de mois

Il est nécessaire de prendre des mesures plus fortes. D'abord, il faudrait réorienter le produit des différentes taxes environnementales. Au niveau mondial, seule une moitié de ces rentrées d'argent finance les efforts en faveur de l'environnement, alors que l'autre moitié sert à résorber les déficits publics.

Le prix du carbone, dans le système d'échanges de quotas d'émissions de l'Union européenne, même s'il est passé de 7 à 25 euros la tonne en deux ans, est insuffisant. Il faudrait, avec par exemple l'institution d'un prix plancher, qu'il atteigne une valeur d'au moins 50 euros par tonne pour réellement favoriser les investissements « bas carbone ».

Il y a aussi un gros effort à fournir concernant les passoires énergétiques que sont certains bâtiments anciens. Les gouvernements devraient donner l'exemple en rénovant leurs propres biens immobiliers. On a évalué que l'économie mondialement réalisée grâce à la rénovation énergétique des bâtiments serait égale à la consommation en énergie du secteur du transport  !

Quelle est l'importance de l'énergie nucléaire dans cet effort  ? De nombreuses associations écologistes la critiquent, alors que sa participation à l'émission de CO2 est aussi faible que celle des éoliennes…

Soyons prudents sur le rythme d'arrêt des centrales nucléaires existantes. Comme l'a rappelé l'Agence internationale de l'énergie en début d'année, on n'atteindra pas les objectifs de l'accord de Paris sans le nucléaire. De plus, il est impossible aujourd'hui de faire fonctionner un grand réseau électrique avec 100 % d'énergies renouvelables de flux. Il faut une énergie qui assure l'équilibre entre la production et la demande, qui pallie l'intermittence du solaire et de l'éolien. Le nucléaire, parce qu'il est programmable à tout moment, est l'énergie de base décarbonée du réseau électrique.

À lire aussi Le cri d'alarme de l'ancien haut-commissaire à l'énergie atomique

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Commentaires (26)

  • melos95

    ... Bien sûr que l'hydrogène est une bonne solution... Mais, pas besoin d'électricité pour extraire l'hydrogène ? On se mord la queue.
    pou ce qui est des déchets nucléaires, bêtes noires des anti, la solution est en passe de venir avec notre prix Nobel 2018, Gérard Moutou dont les travaux pourraient permettre de réduire leur durée de vie de qq centaines ou milliers d'années à... 30 minutes... A suivre donc.

  • melos95

    ... Que l'on ne parle pas plus des centrales solaires à sels fondus, qui permettent de produire de l'électricité même la nuit par accumulation de chaleur le jour. Il en existe une près de Cordoue qui donne satisfaction Je suis curieux de connaitre les inconvénients de cette technologie. La France a une centrale expérimentale à Odeillo mais qui ne semble pas faire de petits.

  • stud38

    L'énergie est un sujet trop important pour jouer avec à des fins politiques.
    "Etre en avance" sur les énergies renouvelables n'est que polémique : car il y a renouvelable et renouvelable.
    L'hydraulique qui répond à la demande sans émission de CO2 est la plus noble des énergies, mais la Norvège ou le Portugal qui produisent leur électricité essentiellement avec l'hydraulique ne sont pas en avance sur la France : ces pays sont simplement chanceux d'avoir une géographie qui le permet contrairement à nous.
    Pour le solaire et l'éolien qui sont des renouvelables à production aléatoire, si l'Allemagne en a développé beaucoup plus que nous, on ne peut dire qu'elle est "en avance" : car les inconvénients inhérents à ces énergies, que l'on n'a pas la place d'énumérer ici, la conduisent dans une impasse. Il est dangereux d'utiliser plus de 30 % de ces énergies renouvelables dans un mix de production, et plus on en construit plus elles reviennent cher. Le prix du kWh allemand est double du nôtre et nos voisins seront encore longtemps les plus gros pollueur d'Europe.
    C'est la France avec son nucléaire qui est au contraire "en avance", et qui le restera peut-être si elle retrouve la maîtrise industrielle de cette technologie, ce qui n'est pas encore garanti.