Pesticides dans les urines. « Absolument tout le monde est contaminé » (Interview)

    L’association Campagne Glyphosate a entrepris une initiative aux résultats probants : analyser les urines des citoyens français dans le but d’y rechercher des traces du composant d’origine synthétique de l’herbicide Roundup (glyphosate + adjuvants). Implantée dans la majorité des départements de France, elle a permis de créer un véritable mouvement citoyen et d’initier une action juridique d’ampleur historique contre le géant Bayer-Monsanto. L’objectif ? Créer une prise de conscience autour de la pollution par le glyphosate – qui n’est pas limitée à des questions sanitaires – et démontrer l’omniprésence de ce dernier dans notre environnement direct, sans oublier de réclamer son interdiction. Rencontre avec Philippe Kauffmann, faucheur volontaire d’OGM depuis plus de dix ans et un des responsables de l’association Campagne glyphosate 07 (Ardèche).

    Mr M : Votre association a organisé une campagne de recherche nationale du taux de glyphosate dans les urines des citoyens. Pouvez-vous m’en dire plus sur la naissance de ce projet et son organisation ?

    P.K. : C’est un projet qui est né à Foix, en Ariège. Les personnes à l’origine de cette initiative sont, à la base, des faucheurs volontaires. Il faut savoir qu’actuellement, l’objectif des OGM [ dans l’agriculture ] est de résister aux herbicides, c’est-à-dire que l’un n’existe pas sans une volonté accrue de consommer l’autre. Il s’agit-là d’un tandem infernal. Concernant cette campagne glyphosate, tout a commencé lorsqu’une plainte a été déposée contre des faucheurs, accusés de « destruction volontaire en réunion » pour avoir recouvert de peinture des bidons de Roundup. Pour préparer leur défense, ils ont pratiqué des analyses de leur urine afin de démontrer au procureur et au juge que le glyphosate n’épargne personne et que c’était en état de légitime défense qu’ils avaient entrepris cette action. Ils se sont ensuite rendu compte que, bien au-delà de ce qu’ils pensaient, tout le monde, absolument tout le monde était contaminé. Cette campagne a été proposée à tous les collectifs de France et est aujourd’hui présente dans plus de 80 départements. En Ardèche, nous sommes trois personnes à gérer le collectif. Les copains de Foix ont prémâché le travail en nous envoyant les documents essentiels, les protocoles etc. Bien entendu, il a fallu les adapter mais nous savions exactement vers quoi nous nous dirigions. De toute évidence, afin de pouvoir être recevables aux yeux de la justice, il fallait que nous nous tournions vers le même laboratoire d’analyses et que nous suivions les mêmes protocoles (passage devant l’huissier etc.).

    Mr M : Quelles étaient vos motivations personnelles pour cette campagne ?  

    P.K. : Je fais partie des faucheurs volontaires d’OGM depuis très longtemps, je suis donc toutes les actions associées. Pour moi, cela coulait sous le sens. Je trouve que c’est une campagne qui est intéressante parce qu’elle nous permet de porter plainte pour mise en danger de la vie d’autrui, tromperie aggravée et atteintes à l’environnement. Et ceci ne va pas seulement à l’encontre des responsables de Bayer-Monsanto, mais également des présidents et membres de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, contre certains politiques (qui ne sont pas en droit de dire aujourd’hui qu’ils ignoraient la situation) et toute personne impliquée dans la distribution et la large diffusion dans l’environnement du glyphosate. Ces individus ont sciemment mis sur le marché des produits contre le principe de précaution, c’est inacceptable. Bien entendu si, au sens où ils l’entendent – j’insiste là-dessus car avec nos propres protocoles, nous savons depuis longtemps que c’est un produit nocif – la nocivité du glyphosate était démontrée, il ne s’agirait plus d’une plainte en vertu du principe de précaution mais pour homicide involontaire. Les répercussions seraient considérablement différentes.

    Mr M : Pensez-vous que cette campagne peut avoir un impact sur l’influence de Bayer-Monsanto à l’échelle planétaire ?

    P.K. : Je le pense, oui. De toute évidence, c’est une action qui interpelle et qui peut faire évoluer les choses, notamment au niveau de la législation européenne. Par exemple, l’arrêt de la Cour de justice de l’union européenne du 1er octobre 2019 démontre que la réglementation de la mise sur le marché de produits phytosanitaires n’est pas correctement appliquée à l’heure actuelle. Il indique notamment qu’il devrait y avoir des études de carcinogénicité et de toxicité à long terme sur les produits finis et pas seulement sur la substance active [ la majorité des études portent aujourd’hui sur le glyphosate isolé sans son adjuvant ]. Je tiens à préciser ici que dans le Roundup, il y a, par exemple, de l’arsenic – un métal lourd toxique. D’autre part, la Cour précise que l’effet cocktail devrait également être étudié et pris en compte. On évolue ainsi vers la mise en place d’une obligation de tester les coformulants du glyphosate. Ce n’est certes, pas aussi favorable qu’on le souhaitait, mais cela reste un moteur de l’évolution de la situation. Le glyphosate est loin d’être le composant le plus dangereux. Des documents internes (les « Monsanto Papers ») qui ont été révélés dans le cadre d’une procédure juridique, témoignent parfaitement de la désinformation orchestrée par cette entreprise.

    Mr M : Cette campagne glyphosate a-t-elle réuni beaucoup de participants ?

    P.K. : Nous arrivons aujourd’hui à près de 6 000 plaintes déposées en France. Le bassin d’Aubenas, en Ardèche, a réuni 110 participants (dépassant la moyenne nationale) ce qui est déjà pas mal en sachant que le coût de participation est assez élevé.

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    Mr M : Il semblerait que nous ayons pratiquement tous du glyphosate dans nos urines. Quels sont les résultats à l’échelle nationale ? Selon vous, quelles répercussions sanitaires sont à craindre ?

    P.K. : La moyenne nationale est de 1,03 ng/mL de glyphosate en sachant que le taux maximal testé est de 3,91 ng/mL et le taux minimal de 0,15 ng/mL. Je tiens à préciser que la norme dans l’eau potable est de 0,1 ng/mL. Ceci peut avoir de nombreuses conséquences sur la santé. Par exemple, le cancer de la prostate est aujourd’hui très fréquent chez les hommes. Avec une présence constante de glyphosate dans mes urines, il ne serait pas étonnant que je développe ce type de cancer un jour. Le problème demeure scientifique : il s’agit de démontrer la relation de causalité et cela peut vite devenir compliqué en sachant que beaucoup de protocoles d’études ne sont pas reçus, à tort. Je doute fort du caractère anodin de l’exposition au glyphosate, même à faible dose, étalée sur une vingtaine d’années. En sachant qu’avec les autres constituants nocifs on a un effet cocktail garanti ! D’autre part, des études ont montré que le glyphosate peut avoir des conséquences néfastes sur plusieurs générations

    Mr M : Cette campagne arrive à son terme. Quelle sera la suite des évènements ?

    P.K. : L’analyse des urines est en train de se terminer et le nombre de plaintes est si élevé que des personnes ont dû être embauchées spécialement pour l’occasion au greffe du tribunal de Paris ! Pour l’instant, la procédure judiciaire n’a pas commencé, les plaintes sont en train d’être engrangées. Une fois cette étape terminée, ce qui ne saurait trop tarder, nous pourrons porter l’affaire devant le juge. Nous pensons que pour le moment, ces six milliers de plaintes sont suffisantes. Il n’est toutefois pas exclu que l’on mène à nouveau cette action à l’avenir, ou que l’on participe à d’autres opérations. Celles-ci pourraient consister, par exemple, à effectuer plusieurs analyses étalées dans le temps sur une même personne afin de pouvoir constater l’évolution du taux de glyphosate dans son organisme. D’autre part, on pourrait également effectuer des analyses plus « scientifiques », non plus pour porter plainte mais dans le but de comprendre quels sont les modes de contamination en sachant qu’à ce jour, on ne les connaît pas encore tout à fait. Il faut savoir que certaines personnes ont une alimentation biologique et se révèlent avoir un taux de glyphosate plus élevé dans les urines que les autres. Quoi qu’il en soit, il est clair que cette molécule est omniprésente dans notre environnement. La suite de nos actions consistera également à faire des soirées d’informations, de l’évènementiel autour du glyphosate, pour tenir les gens au courant mais aussi profiter de la vague de sympathie qu’il y a autour du mouvement. Nous allons continuer dans ce sens et capitaliser – je n’aime pas ce terme (rires) – ce qui a été fait.

    Mr M : Cette campagne pourrait-elle avoir un impact sur la mise en place d’une agriculture sans pesticides à l’échelle globale ?

    P.K. : L’impact est créé à partir du moment où il y a une prise de conscience. On peut constater, par exemple, un effet indirect de la campagne glyphosate : les arrêtés pris par certains maires afin d’éloigner les zones d’épandage des habitations. Bien entendu, ces actions ont été déboutées mais quoi qu’il en soit, une polémique a été créée, c’est un sujet qui émerge. Il en va de même pour nos fauchages d’OMG nocturnes et clandestins, datant d’il y a une dizaine d’années. Ce n’était pas une solution mais c’est ce qui a permis de faire évoluer la situation. Nous avons obtenu des moratoires et la culture d’OGM a été interdite en France. Si l’on n’avait pas semé une certaine pagaille, on imagine bien que jamais le pouvoir politique ne serait allé jusqu’à faire des moratoires et les OGM seraient probablement omniprésents à l’heure actuelle dans notre pays. Certes, il s’agissait d’actions symboliques – on ne pouvait pas faucher tous les OGM – mais elles ont eu un véritable impact. Aujourd’hui, ce type de démarche est destiné à créer une pression médiatique et politique. Le but est d’obtenir des réponses, des solutions, de la même manière qu’un mouvement social ou une grève face à un patron. C’est de cette manière que l’on obtient une évolution sur le plan politique, en commençant par être un caillou dans leurs godasses (rires).

    Mr M : Que pensez-vous du fait qu’Emmanuel Macron ait renoncé à sa promesse d’interdire le glyphosate en France durant son quinquennat ?

    P.K. : C’est très simple, sa campagne européenne a été « subventionnée » par Bayer-Monsanto, il ne faut pas chercher plus loin. Lorsque les amis nous offrent des cadeaux, il faut bien leur rendre la pareille ! De toute manière, en imaginant que le président soit de bonne foi (rires), ne perdons jamais de vue le fait qu’Emmanuel Macron a une véritable obsession qui consiste à créer des points de PIB. Cela suppose du commerce et donc la vente du glyphosate : l’agro-industrie, c’est la croissance. Ce ne sont pas quelques petits agriculteurs qui remplaceraient l’industriel qui permettraient d’assouvir son appétit pour le PIB. En gardant cette grille de lecture en tête, tout devient clair.

    Mr M : Visiblement, votre combat est loin d’être fini… Qu’en est-il des actions de fauchage d’OGM ? Pensez-vous que le pire soit derrière vous ?

    P.K. : Je voudrais parler ici d’un sujet très problématique, aujourd’hui plus que jamais : la mutagénèse. Depuis quelque temps, il est devenu très facile de fabriquer soi-même des OGM. Actuellement, n’importe quelle personne ayant quelques années d’expérience en biologie est capable d’en confectionner dans son garage et ce, pour un prix moindre. Avant, le coût de ce type d’expérimentation était très élevé et aujourd’hui, pour une cinquantaine d’euros, il est devenu possible de créer soi-même des OGM de n’importe quel être vivant… C’est monstrueux. En France, on n’utilise pas le terme OGM car en mutagénèse, on n’a pas recours à des gènes étrangers à l’être vivant. Il s’agit, par exemple, de sortir le gène d’une fraise, de le recomposer puis, de le réinsérer. Comme cela reste un gène de fraise, le terme « OGM » ne serait pas adapté. Pourtant, depuis le 25 juillet 2018, grâce aux actions des faucheurs, la Cour de justice européenne a établi le contraire : les organismes obtenus par mutagénèse sont bel et bien des OGM. La loi française devrait donc s’appliquer.

    Nous devrions savoir où se trouvent ces cultures et ce n’est pas le cas. En France, la mutagénèse est couramment utilisée et concerne notamment le tournesol et le colza (qui finissent en huile de table) mais le fauchage devient ici plus difficile. À l’époque des OGM MON810, il était possible d’utiliser un test peu coûteux mis au point par Greenpeace. Dans la situation actuelle, tout est plus compliqué et plus cher, nous n’avons pas accès aux informations nécessaires. Ainsi, nous continuons nos actions de fauchage mais uniquement sur les plateformes d’essai des semences. Il y a énormément de plantes obtenues par mutagénèse et elles présentent le même risque que les OGM classiques, seul le moyen de production diffère. Il existe des craintes quant à la naissance de la « mutagénèse terroriste » en sachant que n’importe qui peut fabriquer, par exemple, une puce mortelle en la trafiquant grâce au CRISPR Cas9. Bien entendu, il faut être un minimum expérimenté, mais cela devient de plus en plus accessible et la personne peut multiplier les expériences autant qu’elle veut en sachant que le coût est de l’ordre de quelques dizaines d’euros. Affaire à suivre…

    Propos recueillis par Elena M.

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