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CHINE

Arrestations et interrogatoires mis en scène : les étranges vidéos de la police chinoise sur Douyin

Captures d'écran de vidéos postées sur Douyin. À gauche : vidéo publiée sur le compte du tribunal populaire intermédiaire de Sanming. À droite : vidéo publiée sur le compte du bureau de sécurité publique de la préfecture de Shiyan.
Captures d'écran de vidéos postées sur Douyin. À gauche : vidéo publiée sur le compte du tribunal populaire intermédiaire de Sanming. À droite : vidéo publiée sur le compte du bureau de sécurité publique de la préfecture de Shiyan.
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Des policiers chinois en uniforme réalisant des chorégraphies sur des mélodies entraînantes, devant des cellules ou encore des appareils d’interrogatoire controversés : c’est ce que montrent certaines vidéos surprenantes publiées sur des comptes officiels de la police, sur le réseau social chinois Douyin.

Douyin est une application de partage de vidéos, uniquement disponible en Chine. Elle est mieux connue hors du pays sous le nom de TikTok, sa version internationale, l’une des applications les plus téléchargées au monde.

Les deux versions, propriété du groupe chinois Bytedance, permettent d’éditer de courtes vidéos associées à de la musique. TikTok est donc connue pour regorger de danses, de défis viraux et de vidéos humoristiques.

Mais puisque Douyin est exclusivement destinée à un public chinois, et donc soumise à des critères de régulation plus stricts, les contenus y diffèrent sensiblement de TikTok. Sur Douyin on peut ainsi aussi voir des chorégraphies de policiers, se moquant par exemple des personnes qu’ils arrêtent, à l’image de celles ci-dessous.

Dans cette vidéo publiée sur Douyin, un policier tape sur la porte d’une voiture, puis sur la porte d’une cellule, de façon rythmée. Le texte qui apparaît dans la dernière séquence indique : "Si vous voulez tester la loi et subir les sanctions qui s’en suivront, vous pouvez venir vous asseoir ici."

Dans cette vidéo publiée sur Douyin, on peut voir des arrestations, assorties d’une musique et du texte suivant : "Regardez combien de suspects nous avons arrêtés. "

Ces vidéos sont publiées sur Douyin sur les comptes officiels – et certifiés – d’institutions locales dépendant des ministères de la Sécurité publique ou de la Justice : des postes de police, des bureaux de sécurité publique, ou encore des tribunaux. Il est toutefois compliqué de connaître la date de publication de ces vidéos, une information difficile à obtenir sur Douyin et TikTok.

Dans cette autre vidéo publiée sur Douyin, le passager d’un véhicule surchargé, contrôlé par la police routière, insulte et menace les agents. Puis, dans la deuxième partie de la vidéo qui le tourne en dérision, il supplie la police de l’arrêter.

Mise en scène de “chaises d’interrogatoire”

Plus surprenant encore, au moins trois vidéos publiées sur Douyin mettent en scène l’utilisation d’une “chaise d’interrogatoire”, surnommée “tiger chair” d’après un rapport de l’ONG Human Rights Watch. Il s’agit d’une chaise en métal permettant d’immobiliser les bras, le buste et les jambes d’une personne interrogée, grâce à des anneaux en métal, la plaçant dans une position très inconfortable. Selon l’ONG, cette chaise est parfois utilisée pour torturer des détenus en les maintenant dessus pendant plusieurs jours. La convention des Nations unies contre la torture a d’ailleurs recommandé l’interdiction de leur utilisation. Mais les autorités chinoises l’ont justifiée en disant qu’il s’agissait d’“une mesure de protection visant à empêcher les suspects de s’échapper, de se blesser ou d’attaquer le personnel”.

Vidéo publiée sur Douyin, sur le compte du bureau de sécurité publique de la préfecture de Shiyan (centre).

Vidéo publiée sur Douyin, sur le compte du bureau de sécurité publique de Jishishan (ouest).

 

Vidéo publiée sur Douyin, sur le compte d’un poste de police du district de Wenfeng (est).

S’il est difficile de savoir si les personnes placées sur ces “tiger chairs” sont des acteurs ou des détenus dans les vidéos, de telles mises en scènes montrent que leur utilisation est “une pratique courante et normalisée” selon Marc Julienne, chercheur spécialiste des questions de sécurité en Chine.

 

“Ces provocations n’ont rien de nouveau”

Pour Lu Haitao (pseudonyme), notre Observateur à Pékin, de telles vidéos publiées sur Douyin ne sont pas si étonnantes de la part de la police : 

 

Ces provocations, ce manque de respect à l’égard des personnes arrêtées, n’ont rien de nouveau. Depuis de nombreuses années, il arrive souvent que des policiers montrent aux citoyens des criminels qu’ils ont arrêtés, en les exhibant dans la rue depuis des camions. Certains suspects sont jugés sur la place publique, sur des terrains de sport, dans des écoles ou des stades. C’est présenté comme une façon d’éduquer les citoyens, de les avertir qu’il vaut mieux obéir à la loi.

En janvier 2019, près de 1200 comptes officiels dépendant des ministères de la Sécurité publique ou de la Justice existaient sur Douyin, publiant plus de 10 000 vidéos par mois, selon le site Sixth Tone, spécialisé dans l’actualité chinoise. Selon ce site, le bureau de la sécurité publique de la province du Hebei (est) organise même un concours de nombre de vues, pour désigner le “roi de Douyin”.

Il existe donc bien une stratégie de présence policière sur ce réseau social pour “transmettre l’esprit de sacrifice de la police”, selon la formule employée par des autorités provinciales.

"L’esthétique de ces vidéos n’est pas soignée, comme cela serait le cas dans le cadre d’une campagne officielle"

Mais ces vidéos ne sont toutefois qu’un type de contenu parmi d’autres : clips de prévention, films de propagande classique, sketchs joués par des acteurs, ou encore vidéos destinées à humilier des personnes endettées. Selon Marc Julienne, elles ne feraient donc pas partie d’une campagne coordonnée répondant à un objectif clair : 

Il s’agit sans doute plutôt d’une rivalité humoristique, d’un goût douteux, qui existe entre les polices locales, reprenant les codes de Douyin. Ces vidéos montrent l’image d’une police redoutable et sûre d’elle. Mais on ne peut pas dire que l’esthétique soit soignée, comme cela serait le cas dans le cadre d’une campagne officielle du ministère de la Sécurité publique ou de ses bureaux provinciaux.

On a déjà vu de telles campagnes par le passé, comme celle lancée après l’attentat de Kunming le 1er mars 2014. Il avait été décidé que toutes les patrouilles devaient être armées pour prévenir les attaques terroristes, alors qu’auparavant, les officiers de police ne portaient généralement pas d’armes. Beaucoup de policiers, n’ayant pas tiré une cartouche depuis l’école de police, redoutaient d’assumer le port d’une arme létale. Alors plusieurs bureaux de sécurité publique ont diffusé des affiches et des visuels sur les réseaux sociaux donnant l’image d’une police forte, professionnelle et sûre d’elle. Ces affiches reprenaient les codes esthétiques des grosses productions cinématographiques, d’une qualité bien meilleure que ces vidéos sur Douyin.

Affiche mettant en scène des policiers de la province de Zhejiang en 2014

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Article écrit par Pierre Hamdi (@PierreHamdi)

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