En Allemagne, le combat des autorités reste vain face aux actes antisémites qui se multiplient
Les agressions antisémitesse multiplient. Le pouvoir fédéral s’organise pour prévenir ces actes. Des réponses insuffisantes pour de nombreux Allemands.
- Publié le 06-11-2019 à 10h34
- Mis à jour le 06-11-2019 à 10h36
Les agressions antisémitesse multiplient. Le pouvoir fédéral s’organise pour prévenir ces actes. Des réponses insuffisantes pour de nombreux Allemands. En ce lundi pluvieux, une voiture de police patrouille devant la synagogue de la rue Pestalozzi. Quelques blocs plus loin, rue Joachimsthaler, un agent de police garde la porte donnant sur un autre lieu de culte. "Après l’attentat de Halle, la présence policière a été renforcée, nous confirme le propriétaire de la librairie voisine, spécialisée sur la judéité. Durant quelques jours, certains agents lourdement armés patrouillaient, ajoute cet homme qui reconnaît avoir essuyé quelques crachats lancés sur sa vitrine. Le problème vient du cœur de la société. Les gens disent tout haut ce qu’ils pensaient autrefois tout bas et trop souvent la police et la justice ferment les yeux. Ces dernières sont souvent borgnes de l’œil droit" regrette-t-il.
Paquet de mesures fédérales
Un mois après l’attentat de Halle, en Saxe-Saxe-Anhalt, qui visait une synagogue et qui a fait deux morts et deux blessés graves le 9 octobre, les autorités multiplient les gestes pour rassurer les 200 000 Juifs d’Allemagne. Dans de nombreuses régions, comme à Berlin et dans le Brandebourg, les mesures de sécurité ont été renforcées, notamment les jours de sabbat. Toutefois, la situation varie en fonction des länder, en charge de la sécurité. À Dresde, dans la Saxe, la ville a voté l’"état d’urgence" contre l’extrême droite qui pourrait permettre de débloquer des fonds pour lutter contre les milieux néonazis. Au niveau fédéral, le gouvernement a présenté un paquet de mesures contre les crimes haineux. "Ce sont les premières que nous prenons depuis Halle mais elles ne seront pas les dernières", a promis le ministre de l’Intérieur Horst Seehofer. La priorité est donnée à la criminalité sur internet. Les fournisseurs d’accès devront désormais faire remonter aux autorités de police tout message de haine et menaces de mort dont elles ont connaissance et qu’elles doivent à ce jour uniquement effacer. La législation sur les armes devrait elle aussi être renforcée, tout comme le travail de prévention.
Des mesures nécessaires
"Il est grand temps que des mesures soient prises", a commenté sobrement Josef Schuster, le président du Conseil central des Juifs en Allemagne. Felix Klein, commissaire à l’antisémitisme au sein du gouvernement fédéral, est lui aussi relativement satisfait. "J’ai longtemps plaidé pour certaines de ces mesures qui arrivent enfin, se réjouit-il. Après l’attentat de Halle, la classe politique et la société ont reconnu que la situation était grave. L’antisémitisme a toujours existé en Allemagne. Le nombre d’antisémites n’est pas forcément plus haut qu’avant mais ils sont plus audibles. Certaines lignes rouges sont désormais franchies", reconnaît-il. Selon une récente enquête du Congrès juif mondial (WJC), 27 % des Allemands auraient des préjugés sur les Juifs.
"Nécessaires", ces mesures sont jugées "insuffisantes" par Eugen Balin, membre du WJC. Cet avocat installé à Hambourg plaide pour des changements dans le Code pénal afin que l’antisémitisme soit mentionné en tant que tel et que des sanctions planchers soient introduites. "Il faut que les actes antisémites soient suivis de conséquences pénales immédiates, explique-t-il. En matière de prévention, il reste aussi beaucoup à faire. Il ne faut pas que les premiers contacts des jeunes avec la judéité se fassent lors des cours d’histoire sur le nazisme ou d’un attentat comme à Halle. La judéité n’est pas un musée, elle est vivante", rappelle-t-il. Pour Eugen Balin, il est urgent d’agir. "C’est maintenant ou jamais. L’attentat de Halle a marqué un tournant. Il y aura un avant et un après", dénonce-t-il.
Les associations aussi accueillent ces mesures avec retenue. "Ces dernières années, les aides que nous recevions ont systématiquement été réduites", rappelle Bianca Klose, fondatrice en 2001 du Centre de conseil contre l’extrémisme de droite à Berlin (MBR). "Nous espérons que le maintien des budgets annoncé nous concernera. Pour être efficaces, il nous faut de la stabilité en matière de financement", souligne-t-elle.
Les inquiétudes ne concernent pas uniquement la communauté juive. Depuis l’assassinat en juin d’un responsable politique de Hesse, Walter Lübcke, de nombreux élus avouent recevoir des menaces de mort. L’élu local Ferat Kocak, d’origine turque, a vu sa voiture incendiée en 2018 et exige désormais une enquête parlementaire sur le "laxisme" de la police berlinoise dans sa lutte contre les milieux néonazis. "Toutes les mesures pour lutter contre l’extrémisme de droite sont bonnes à prendre mais sans contrôle politique sur le travail des forces de l’ordre, elles ne serviront à rien", juge-t-il.