Elle est une "Mauerkind" : Jamila est née le 9 novembre 1989, à quelques mètres du mur de Berlin

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Elle est une "Mauerkind" : Jamila est née le 9 novembre 1989, à quelques mètres du mur de Berlin

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Légende : 2019 à gauche, 30 ans plus tôt à droite : Jamila, sur les traces de sa naissance un jour exceptionnel, le 9 novembre 1989, jour de la chute du Mur de Berlin.
Légende : 2019 à gauche, 30 ans plus tôt à droite : Jamila, sur les traces de sa naissance un jour exceptionnel, le 9 novembre 1989, jour de la chute du Mur de Berlin.
© Radio France - Xavier Demagny / Omar Ouahmane / Photo : Famille Al Youssef

C'est une famille pas banale : chez les Al Yousef, demandez la fille, Jamila née il y a 30 ans, le 9 novembre 1989, au pied du Mur de Berlin, quelques heures avant sa chute. Mais demandez aussi les parents : madame, Carola, Allemande de l'Est, et monsieur, Moufid, Palestinien d'origine. Photo de famille.

Née le jeudi 9 novembre 1989, Jamila Al Yousef fait partie des 84 "Maeurkinder", les "enfants du mur" en allemand, nés dans la capitale allemande le jour de la chute du Mur de Berlin. C’est dans l’une des chambres du 18e étage de la maternité de l’hôpital de la Charité, le plus ancien de la capitale allemande situé dans le quartier central de Mitte, qu’elle a vu le jour peu avant midi. Soit seulement quelques heures avant que le Mur ne tombe, raconte sa mère Carola : “Elle est arrivée avec dix jours de retard, elle a attendu l’événement spécial”. 

La chute du Mur vue de la fenêtre de la maternité

Devant l'hôpital, 30 ans plus tard, Jamila raconte : "C'est un grand bâtiment, il compte une vingtaine d'étages. C'est ici que je suis née et que mes parents médecins ont travaillé". Le Mur de Berlin se trouvait au pied de l'hôpital. Sa mère, ancienne citoyenne de RDA et anesthésiste aujourd’hui à la retraite, se reposait dans sa chambre lorsque sa famille est arrivée en fin d’après-midi du 9 novembre pour voir le bébé tout juste né. L'histoire est alors en train de s'écrire : "Mon beau-frère a commencé par raconter que la frontière allait s'ouvrir, que cela avait été dit à la télévision lors d'une conférence de presse, que les gens pouvaient passer la frontière à partir de maintenant. Je n'y croyais pas du tout !"

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L'hôpital de la Charité est situé dans le quartier Mitte de Berlin, à l'époque tout près du Mur de Berlin.
L'hôpital de la Charité est situé dans le quartier Mitte de Berlin, à l'époque tout près du Mur de Berlin.
© Radio France - Xavier Demagny

Ce soir là, c'est Günter Schabowski, porte-parole du bureau politique du Parti socialiste unifié d’Allemagne de l’Est, qui précipite en effet les événements, en répondant maladroitement à la question d'un journaliste, lors d’une conférence de presse. Il annonce, par erreur, que la liberté de voyager des allemands de l’Est entre en vigueur sur le champ.

"Comme ma chambre était au 18e étage et que je pouvais voir le Mur depuis ma frontière, j'ai aperçu une foule très importante se diriger vers le poste frontière qui était ouvert", témoigne Carola. L’information a en effet circulé comme une traînée de poudre dans les quartiers Est de Berlin, et les Allemands de l'Est se massent près des points de passage vers l'Ouest. De la chambre avec vue imprenable, Carola et ses proches observent. Moufid, le père de Jamila, raconte :

"Je me souviens que tout le personnel, les infirmières, les médecins et même certains patients se sont rués vers les fenêtres pour voir ce qu'il se passait"

Originaire de la ville de Naplouse, en Cisjordanie, ce palestinien est arrivé à Berlin-Est en 1978 pour étudier la médecine dans le cadre des accords entre l’OLP, l’Organisation de libération de la Palestine et la RDA. 

Il poursuit son récit : "Plus tard dans la nuit, on pouvait entendre le discours de Walter Momper, l'ancien maire de Berlin-Ouest. Son discours était diffusé via des hauts-parleurs. Le son était si fort que l'on entendait tout. Les gens étaient heureux mais se demandaient si tout cela était vrai et s'ils pouvaient vraiment traverser la frontière", explique Moufid. 

Moufid et Carola Al Yousef, lors d'une soirée à Berlin.
Moufid et Carola Al Yousef, lors d'une soirée à Berlin.
- Famille Al Youssef

Nostalgiques de l'Est

Devenu gastro-entérologue, Moufid Al Yousef est désormais un retraité paisible. Mais il se souvient de son arrivée en Allemagne : "Aujourd'hui, je suis socialiste. Et dans ma jeunesse, avant d'arriver à Berlin, je l'étais encore plus ! Donc j'étais content de venir ici. Mais d'un autre côté, j'ai vu ce que c'était de vivre dans un état policier, sans liberté de mouvement, d'expression. Il y avait bien sûr la Stasi, qui espionnait tout le monde." Avec son épouse, ils vivent aujourd'hui à Rostock dans le nord de l’Allemagne. 

Il le concède, avec son épouse, Moufid cultive une certaine nostalgie pour son ancien pays d’adoption désormais disparu. "Les gens étaient tous égaux, personne n'était supérieur ou inférieur à quelqu'un. L'individualisme n'était pas répandu. Il y avait un sens du collectif : les gens s'entraidaient parce qu'il y avait des pénuries, la solidarité était très présente et on se contentait de peu, de choses simples. L'école, l'université, le système de santé : tout était gratuit", se rappelle Carola. 

De cette union formée entre deux étudiants en médecine à l'époque de la RDA est donc née Jamila, l’enfant unique de la famille Al Yousef. "Après la chute du Mur, mes parents et moi nous avons beaucoup voyagé, visité de nombreux sites historiques, beaucoup de musées. Nous avons vu beaucoup de concerts, mes parents adorent danser. Moi, je chante depuis que je pense. Quand j'avais six ans, j'ai commencé à apprendre et à jouer de plusieurs instruments", témoigne-t-elle.  

L'expérience d'un autre mur, à Kalandia

Si Jamila n'a pas connu le mur de Berlin, elle a découvert celui qui sépare Israël des territoires palestiniens, la région de son père, en 2008. "Nous avons traversé le check-point de Kalandia, en provenance de l'aéroport de Tel Aviv, en allant vers Ramallah. Je me souviens du regard bizarre parce que j'avais un passeport allemand, avec un nom arabe. J'ai ressenti un sentiment de colère, mais aussi un peu de peur. J'ai toujours espéré que ce mur tombe avant ma mort", explique celle qui est devenue une ardente partisane de la paix, qu'elle chante avec son groupe.

Le passeport de Jamila pour preuve : elle est née le 09 novembre 1989 dans le quartier Mitte de Berlin.
Le passeport de Jamila pour preuve : elle est née le 09 novembre 1989 dans le quartier Mitte de Berlin.

Mon premier amour a été la musique”, poursuit Jamila. C’est à Londres qu’elle a fait une partie de ses études d’abord en histoire, puis en politique avant d’être totalement artistique et musicale. Cette passionnée de musique chante depuis son plus jeune âge, et a formé son premier groupe à 14 ans. Aujourd’hui, elle habite toujours à Berlin, anciennement Est et, avec sa formation “Jamila and The Other Heroes”, elle vient de sortir son premier single “Abu Dub” avant la sortie d’un premier album prévu pour début 2020.

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