Vrai changement de braquet ou énième évacuation de plus ? Mercredi 6 novembre, le ministre de l’intérieur Christophe Castaner s’est engagé à ce que les campements du nord parisien, où se trouvent près de 3 000 migrants, soient « évacués avant la fin de l’année ». Le lendemain, 1 606 personnes qui campaient Porte de La Chapelle ont été mises à l’abri. Quelque 1 500 autres, à la Porte d’Aubervilliers, devraient l’être dans les prochaines semaines.

Selon la mairie de Paris, cette évacuation est la 59e depuis 2015. Et c’est sans compter les opérations plus petites : rien que depuis janvier 2019, 17 416 personnes ont été mises à l’abri, selon la préfecture. Sans que jamais on ne parvienne à juguler durablement le phénomène des campements de rue.

Alors que le premier ministre Edouard Philippe a annoncé vouloir « reprendre le contrôle de la politique migratoire », le préfet de police de Paris Didier Lallement indique qu’« il faut changer de braquet ». « Jusque-là, précise la préfecture de police, on avait des opérations de mise à l’abri de 200, 300 personnes, mais on ne vidait jamais les campements et ils revenaient. Avec cette opération, on a un objectif de zéro retour. »

Pour éviter toute réinstallation, des forces mobiles doivent « tourner 24 heures/24 sur place », le tout accompagné d’un « dispositif de vidéo-patrouilles » pour effectuer des contrôles et « placer en centre de rétention s’il le faut ».

Le retour incessant des migrants mis à l’abri quelques jours

Ce dispositif peut-il changer quelque chose ? « Depuis trois ans, après chaque évacuation, la police empêche les personnes de s’installer, explique Julie Lavayssière, coordinatrice de l’association Utopia 56. Mais, au bout d’une semaine ou un mois, les gens sont trop nombreux et les campements se reforment. » Cependant, « il y a une volonté manifeste de procéder à plus d’arrestations. Par exemple, pendant qu’il y avait une mise à l’abri soi-disant inconditionnelleà la Chapelle, une quarantaine de personnes ont été arrêtées à porte d’Aubervilliers », affirme-t-elle.

Toutefois, ces opérations ne suffiront pas non plus à empêcher les retours à la rue. Alimenté par les nouvelles arrivées, le phénomène l’est aussi par le retour incessant de migrants mis à l’abri. À chaque évacuation, les personnes sont envoyées dans des gymnases ou des centres, où ils ne peuvent rester que quelques jours. Là, les agents du ministère de l’intérieur vérifient leur statut. Les réfugiés sont censés pouvoir accéder à un logement spécifique ou au parc de droit commun. Mais tous deux sont sous-calibrés. Le gouvernement veut d’ailleurs trouver pour eux 16 000 places d’ici à 2020. En attendant, beaucoup reviennent dans la rue.

Idem avec les demandeurs d’asile, censés aller en centres d’accueil dédiés (Cada), dont les places ont été doublées mais restent insuffisantes. Quant aux déboutés, ils n’ont droit à rien, hormis le 115, complètement saturé. Ils peuvent craindre, en cas de contrôle de police, de se voir délivrer des obligations de quitter le territoire. Eux aussi reviennent donc après quelques jours d’hébergement. Voire ne participent plus à ces mises à l’abri.

Bref, résume Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris, « même si la police les chasse, les gens ne vont pas disparaître, ils vont juste se mettre ailleurs. Et je précise qu’à la mairie, nous n’avons pas l’intention de gérer la question en mettant des grillages partout ». « Tant qu’on n’aura pas mis en place un dispositif de premier accueil permettant d’héberger durablement les gens, on ne résoudra pas le problème, estime aussi Pierre Henry, directeur de France terre d’asile. Si on ne fait pas ça, il y a aura réinstallation, c’est une évidence. »