Règle des 3% de déficit, «un débat d’un autre siècle» : pourquoi Macron a changé d’avis

Dans une interview accordée à l’hebdomadaire anglais The Economist, le chef de l’Etat a remis en cause l’orthodoxie financière de l’Union européenne.

 Emmanuel Macron lors du sommet de l’OTAN à Bruxelles en juillet 2018.
Emmanuel Macron lors du sommet de l’OTAN à Bruxelles en juillet 2018. REUTERS/Ludovic Marin

    Oubliez le candidat à la présidentielle de 2017, qui avait fait de la rigueur budgétaire son mantra? Fin 2019, Emmanuel Macron balaie ses vieilles certitudes concernant la règle sur le maintien du déficit public des pays de la zone euro sous la barre des 3 % de la richesse produite (le fameux PIB). Dans une interview fleuve accordée à l'hebdomadaire anglais The Economist, et publiée ce jeudi, le chef de l'Etat a en effet estimé que les fameux 3 % relevaient d'un « débat d'un autre siècle ».

    « Nous avons besoin de plus d'expansionnisme, de plus d'investissement. […] L'Europe ne peut pas être la seule zone à ne pas le faire », estime le président en faisant clairement allusion aux investissements massifs des Chinois et des Américains.

    Pourquoi cette déclaration, publiée dans un journal destiné aux élites internationales, est-elle explosive ? Parce qu'elle remet en cause l'orthodoxie financière de l'Union européenne.

    En 1992, lors du traité de Maastricht, les pays de l'UE avaient en effet adopté des critères pour garantir l'équilibre budgétaire. Premier d'entre eux, véritable règle d'or : contenir le déficit de chaque Etat membre en dessous de 3 % de son PIB.

    «Une réforme macroéconomique de la zone euro»

    Ni une ni deux, ces déclarations ont donc provoqué de vives réactions en France et en Europe. À la Banque centrale européenne (BCE), à Francfort, on s'agace. Un responsable peste : « La France ne fait pas partie des Etats qui ont de la marge, elle s'est déjà lâchée avec les 10 milliards d'euros de réformes en faveur des Gilets jaunes! » Sous-entendu : le chef de l'Etat français aurait mieux fait de se taire. D'autant qu'avec un déficit à 3,1 % en 2019, la France est toujours officiellement en dehors des clous. Pour autant, elle prévoit un déficit à 2,2 % en 2020.

    Du côté de Bruxelles, on est moins en colère qu'étonné. « Depuis l'élection d'Emmanuel Macron, il n'y a jamais eu de discussions lancées par la France sur la règle des 3 %, relève un haut fonctionnaire de la Commission européenne. Mais je crois que c'est une manière pour lui de lancer les bases d'une réforme macroéconomique globale de la zone euro. »

    Le décryptage, à l'Elysée, ce jeudi soir, allait en effet dans ce sens. « Le Président souhaite surtout ouvrir un débat sur la manière dont nous devons développer un budget européen plus ambitieux et surtout une capacité d'investissement dans l'innovation, le numérique, la transition écologique… Tous les domaines où se jouent notre avenir et notre indépendance stratégique. »

    Un appel du pied à l'Allemagne ?

    Entre les lignes, cette interview peut aussi être lue comme un appel du pied à l'Allemagne. Berlin dispose de généreuses marges budgétaires, mais boude jusqu'ici toute politique de relance. Pourquoi ? « L'Allemagne est au plein-emploi, explique un spécialiste de la zone euro. À chaque fois qu'elle lance des grands travaux, elle a un véritable problème de main-d'œuvre. »

    De là à créer des tensions avec nos cousins d'Outre-Rhin ? À l'Elysée, on désamorce : « Il n'y a pas d'intention de créer des tensions. Le Président est en constante discussion avec son homologue Allemand et il n'y a aucun sujet tabou. »

    Amusé, un spécialiste de l'UE y voit surtout l'envie, pour Emmanuel Macron, de se positionner comme l'un des leaders de l'Europe : « Lancer un grand débat, jeter un pavé dans la mare, c'est une manière pour lui de se placer comme un homme politique qui pèse sur la scène européenne et internationale. »