Prêtre tué dans l’Oise : dès 1984, la famille de Jacques l’accusait de pédophilie

Les proches d’une victime présumée, un homme mort en 1989 détruit psychologiquement, se sont manifestés. La famille avait porté plainte contre le père Matassoli dès 1984 et prévenu ses supérieurs.

 Le prêtre de 91 ans a été tué sauvagement ce lundi à son domicile d’Agnetz dans l’Oise.
Le prêtre de 91 ans a été tué sauvagement ce lundi à son domicile d’Agnetz dans l’Oise. DR

    Le profil d'un pédophile en série se dessine après la mort du père Roger Matassoli, un prêtre de 91 ans tué sauvagement ce lundi à son domicile d'Agnetz (Oise). Trois victimes d'agressions sexuelles, qui incriminent le curé, ont depuis été recensées. Toutes avaient porté plainte. « Nous avons le désir que la vérité soit faite. Nous encourageons toutes les victimes à témoigner », réagit ce vendredi l'Église catholique de l'Oise, alors que les évêques de France sont réunis à Lourdes (Hautes-Pyrénées) pour voter ce samedi une réparation financière pour les victimes de prêtres pédophiles.

    La famille de Jacques nous a contactés ce jeudi, après avoir transmis leur dossier au procureur de la République de Beauvais. Odile et Colette parlent en mémoire de leur frère. Il est mort en 1989, après être tombé dans la Seine, à l'âge de 27 ans. « Il était dans un état délirant. On ne saura jamais s'il s'est suicidé. » Cet état de démence rappelle aux deux sœurs la soudaine crise de folie du suspect du meurtre du prêtre, hospitalisé de force et qui n'a toujours pas été interrogé. Il aurait tué le curé, un ami de sa famille, en lui enfonçant notamment un crucifix dans la gorge. « A-t-il été abusé? La symbolique de son geste est très forte », analyse Colette, qui travaille dans la pédopsychiatrie.

    «Ils m'ont dit avoir pris des douches avec l'abbé»

    La famille de Jacques vivait à Saint-André-Farivillers (Oise) où le père Matassoli est arrivé en 1967. Le début du calvaire pour Jacques. « Il a été agressé jusqu'en 1975, de ses 6 à 14 ans, détaille Colette. Il en a parlé à un ami qui s'est moqué de lui. Alors il s'est recroquevillé. » En famille, Jacques gardera le silence jusqu'à ses 22 ans, en 1984. « Cette année-là, un proche a découvert dans la décharge du village une photo du prêtre, nu, de face, le pied sur une chaise. Nos parents sont allés le voir. Il a répondu que c'était une blague, un cliché fait à l'armée. Mais il avait l'air bien trop vieux. »

    Cette image intrigue Colette. Elle questionne ses frères. « Ils m'ont dit avoir pris des douches avec l'abbé, après avoir joué au presbytère. Et qu'avec Jacques, cela allait plus loin. » L'adolescent mutique craque et raconte les attouchements commis notamment lors de colonies de vacances organisées par l'ecclésiastique à Saint-Claude (Jura). « Jacques ne voulait pas y aller. Nos parents, modestes, insistaient. Pour eux c'était une chance. »

    Odile l'emmène alors porter plainte à Paris, au Quai des Orfèvres, et pas dans son département. « Dans l'Oise, Matassoli fréquentait tous les notables », explique-t-elle. Elle et Jacques sont entendus puis le dossier transféré à la police judiciaire de Creil. Une proche de Jacques prévient le curé de l'enquête. « Il a eu le temps de se protéger. Elle s'en est voulu toute sa vie. Il avait un charisme phénoménal. Toutes les femmes et jeunes filles du coin étaient amoureuses de lui, même moi ! Il incarnait la modernité. Il avait du Coca chez lui, c'était quelque chose à l'époque », dit Colette. Le dossier est classé, les faits étant prescrits.

    «L'Église était toute-puissante»

    La famille ne prévient pas l'évêché. « On aurait dû mais l'Église était toute-puissante. On ne parlait pas de pédophilie comme aujourd'hui. Matassoli venait souvent manger à la maison. Il avait Jacques sur ses genoux et le caressait. Personne n'osait rien dire. » En 1986, l'un des frères de Jacques décède. La famille refuse que le père Matassoli se charge de l'office. « Nous avons expliqué la situation à son supérieur, le doyen de Froissy. À partir de là, l'Église savait. »

    Dans une lettre aux parents de sa proie, le père Matassoli écrit alors : « Si cela peut procurer la paix à Jacques, je reconnais mes torts. » « Il disait aussi qu'il était gravement malade. C'était un grand manipulateur », ajoute Odile. Les sœurs relancent l'affaire en 2004, avec leur frère Daniel, à la mort de leur père. « Cela a miné toute sa vie », soufflent-ils. Les auditions menées à la gendarmerie de Froissy, à deux pas de Saint-André-Farivillers, n'aboutissent à rien. La prescription frappe encore. « Ils devaient nous recontacter. On attend encore », déplore Daniel.

    Odile et Colette sont finalement convoquées en avril 2019, lors de l'enquête canonique menée par l'Église catholique de l'Oise contre le père Matassoli. Pour retrouver leur trace, l'évêché s'est servi d'une lettre écrite par Daniel en 2002. Il refusait, en mentionnant les antécédents avec Jacques, que son fils suive les cours de catéchisme du père Matassoli. « C'était il y a dix-sept ans. Le prêtre est resté en poste à Saint-André jusqu'en 2009. Et il n'a été sanctionné qu'en 2018 par l'Église. Cela nous dégoûte d'imaginer qu'il ait pu continuer à faire du mal. »