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Marche contre l'islamophobie : Charb, trahi par Mélenchon

Marche contre l'islamophobie : Charb, trahi par Mélenchon

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L'attentat contre la mosquée de Bayonne appelait une riposte de tous ceux qui ne sauraient confondre le combat laïque avec les appels à la haine contre une catégorie de citoyens français constamment renvoyés à leur religion, réelle ou supposée. Aucun homme politique n'était mieux placé que Jean-Luc Mélenchon pour prendre l'initiative d'un rassemblement clairement antiraciste et antifasciste, empêchant la récupération de l'inquiétude de Français et d'immigrés, renvoyés à la définition coloniale de populations musulmanes. Candidat du Front de gauche en 2012, Mélenchon parlait une belle langue laïque et républicaine, qui lui avait valu le soutien de Charb. Le directeur de la publication de Charlie n'était pas un de ces artistes mondains que l'on installe dans le carré VIP des meetings électoraux. Charb était profondément engagé, il rêvait d'un véritable parti des travailleurs, et ne cachait pas ses sympathies pour les communistes. Il donnait des dessins à l'Humanité comme, avant lui, Wolinski.

Les dessinateurs de Charlie ne suivaient pas tous Charb dans l'engagement politique, mais Cabu était un précurseur des luttes écologistes, Tignous passait de longues heures à aider les gamins des cités de Montreuil à s'exprimer par le dessin. Les dessins politiques d'Honoré décryptaient les mensonges et les postures de la droite, avec autant de talent que d'intelligence du monde. Tous ceux qui combattent le capitalisme mondialisé savent ce qu'ils doivent à Bernard Marris, l'oncle Bernard de Charlie, qui dévoilait chaque semaine les impostures des économistes serviles. Jean-Luc Mélenchon sait tout cela, du moins le savait-il, ce qui semblait le distinguer des opportunistes courant après les votes communautaires, façon Besancenot ou Hamon. Le dernier texte de Charb, Lettre ouverte aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes, était diffusé par des militants de LFI. Mieux encore, lorsque la pression des « indigènes » et autres islamistes a fait interdire une adaptation théâtrale du texte de Charb à l'université de Lille, La France insoumise a organisé une représentation à Paris, avec un débat animé par Danielle Simonnet, oratrice nationale.

Comment comprendre que Jean-Luc Mélenchon se rallie à une "marche contre l'islamophobie", décidée avant l'attentat de Bayonne, par ces escrocs idéologiques que dénonçait Charb ?

Comment comprendre, dès lors, que Jean-Luc Mélenchon se rallie à une « marche contre l'islamophobie », décidée avant l'attentat de Bayonne, par ces escrocs idéologiques que dénonçait Charb ? Le premier organisateur de cette manifestation, Madjid Messaoudene, élu de Saint-Denis, s'était distingué, en 2012, en ironisant sur Twitter sur l'importance accordée à l'assassinat d'enfants juifs dans une école de Toulouse. Naturellement, il n'était pas Charlie, en 2015, il ne s'est pas ému des attentats du 13 novembre, réservant son émotion au sort des terroristes retranchés dans un immeuble de Saint-Denis. Un parti politique responsable, des parlementaires, et jusqu'à Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, se rangent donc derrière cet individu, qui n'a de cesse de combattre la laïcité et la République !

Le ton de l'appel et de la future manifestation est donné par le CCIF, ce cartel d'organisations islamistes, qui avait tenté de faire taire Charlie par voie de justice. Pour le CCIF, les offenses à l'islam et au Prophète sont autant de crimes, beaucoup plus graves que les agressions subies par de simples musulmans. Les slogans mélangeront donc la protestation contre l'attentat de Bayonne et la défense des exigences islamistes. Le texte d'appel dénonce ainsi les lois de la République interdisant le port de signes religieux dans le service public. Il dénonce les mécanismes de surveillance, qui peuvent être discutables, mais en niant l'existence même du terrorisme islamique. Cette dénégation est meurtrière pour ceux que les organisateurs de la manifestation prétendent défendre.

Comment bloquer l'engrenage des violences, en ne dénonçant qu'une forme de terrorisme, en ignorant la principale qui n'a jamais fait que 263 morts en France ? Le terrorisme islamiste n'appartient pas à l'histoire ancienne, il a encore frappé le 3 octobre à la préfecture de police de Paris. Mais, surtout, cette manifestation porte le titre de marche contre l'islamophobie, elle revendique tout ce que Charb avait critiqué dans sa fameuse Lettre ouverte, de l'identité communautaire à l'intimidation des blasphémateurs. Elle porte cet obscurantisme que Jean-Luc Mélenchon dénonçait jadis, avec Charb. Ce n'est pas un simple revirement, c'est une trahison.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne