La seconde vie des sandales usagées à Nairobi

Comment de vielles tongs deviennent des œuvres d’art ?

Sur les hauteurs de Nairobi, les artistes de l’entreprise sociale Ocean Sole Africa transforment de vielles tongs en œuvres d’art. Immersion dans cet univers où les matériaux de récup deviennent des animaux et formes multicolores.

Début 2019, la WWF (Fonds mondial pour la nature) publiait un rapport inquiétant sur la pollution plastique dans le monde. Ce rapport indique que 100 millions de tonnes de déchets plastiques polluent la nature chaque année avec une proportion alarmante dans les océans.

Si des mesures ne sont pas prises dans l’immédiat, d’ici 2030, 300 millions de tonnes de déchets plastiques pourraient être présents dans les océans sous différentes formes.

Bouteilles plastiques, barquettes, emballages plastiques à usage unique, sac poubelle, bâche et autres sandales pourraient polluer de plus en plus les océans.

L’industrie du plastique produit plus qu’elle ne peut recycler. Alors pour freiner cette pollution, les initiatives se multiplient à travers le monde et particulièrement en Afrique.

Si dans certains pays africains le recyclage des bouteilles et des emballages plastiques à usage unique permettent de résorber le chômage et de lutter contre la pollution ; au Kenya, l’entreprise sociale Ocean Sole Africa a décidé de s’attaquer à un autre objet qui pollue les océans et les cours d’eau.

Il s’agit des tongs plastiques bien connues pour équiper les baigneurs, les salles de bains ou même être portées au quotidien comme les sandales.

Afp

Afp

Afp

Afp

"En créant ces chefs-d’œuvre avec des tongs usagées, nous créons non seulement des emplois dans un pays où le taux de chômage avoisine les 40%, mais nous envoyons aussi un message de sensibilisation pour la protection de l’environnement et en particulier de nos océans et nos cours d’eau"

Joe Mwakiremba, directeur des ventes internationales chez Ocean Sole Africa.

De la collecte aux œuvres d’art

Un poste radio couvert d’une fine poussière rougeâtre diffuse du rap kenyan perturbé par le bruit continu des ponceuses sous un hangar aménagé par Ocean Sole Africa pour transformer les tongs usagées.

Dans l’espace de travail ouvert, une centaine d’employés s’affaire à différentes tâches. Nous sommes à Karen Village à Nairobi où sont situés les ateliers et la boutique d’Ocean Sole Africa.

Le visiteur d’un jour qui admire les tortues, les éléphants et autres girafes multicolores à l’intérieur de la boutique à l’entrée du site est loin de s’imaginer qu’ils sont la réincarnation de tongs usagées.

Pourtant c’est le cas…

Tout commence par le travail des collecteurs qui sillonnent Nairobi et surtout le littoral kenyan pour récupérer chaque année de nombreuses tongs usagées.

L’essentiel des tongs vient surtout des cours d’eau, de l’océan et des autres espaces dédiés aux déchets ménagers.

Une fois à l’atelier, les colis de tongs usagées sont pesés et les collecteurs payés au kilogramme de matière première rapporté. S’en suit une rigoureuse opération de tri par taille, épaisseurs et couleurs.

La couleur joue un rôle important dans la production des objets d’art. Elle permet aux artisans de créer plusieurs types de compositions en fonction de l’objectif final.

Pour donner vie aux créations, les tongs passent par l’étape du lavage. Un premier bain à grande eau et au savon permet de redonner des couleurs aux tongs.

L’opération de lavage se fait avec une brosse robuste permettant de retirer les croutes superficielles de saleté laissées par le long usage des tongs.

Une fois propres et séchées, les tongs passent à l’atelier de décapage. Grâce à leur habileté, les artistes retirent une fine couche de plastique sur les deux faces des tongs avec de petits coutelas bien aiguisés.

"Les morceaux de tongs nettoyés sont assemblés avec de la colle et passés sous presse pour solidifier le tout. Le bloc carré ou rectangulaire obtenu est sculpté par chaque artiste avec les outils dont ils disposent – pour créer un animal ou une autre forme"

Francis Muvua, artiste-sculpteur chez Ocean Sole Africa.

Les petites formes et les petits animaux sont directement sculptés dans des tongs assemblées avec la colle et passées sous presse.

Quant aux grandes girafes, éléphants et rhinocéros, le procédé est légèrement différent.

"La forme initiale de l’animal est réalisée avec du styrofoam issu également de la récupération.

Une fois assemblée, la forme initiale est polie.

Puis avec de la colle, nous recouvrons la surface avec des morceaux de tongs multicolores" précise Francis Muvua.

Les objets d’art confectionnés sont ensuite lissés grâce à des ponceuses électriques ou du papier abrasif.

Les créations sont finalement lavées à grande eau savonneuse et séchées.

Tout le processus de production est manuel.

Chaque objet produit porte en lui le savoir-faire de l’artiste comme un tableau ou une sculpture.

Un savoir-faire qui s’exporte

Grâce à l’habileté des artisans, Ocean Sole Africa est arrivé à transformer l’année dernière plus d’un million de tongs usagées en objet d’art qui ne sont pas seulement vendus sur le marché local ou aux touristes qui visitent chaque année le Kenya.

Les créations de l’entreprise sociale peuvent être désormais vendus aux Etats Unis nous indique Joe Mwakiremba, directeur des ventes internationales chez Ocean Sole Africa.

"La reconnaissance de notre structure comme organisation caritative. Désormais, nous pouvons aussi exporter des Etats Unis vers le reste du monde. Un nouveau marché s’ouvre certes à nous mais cela nous donne surtout l’opportunité de présenter le travail que nous faisons pour protéger les océans et les cours d’eau de la pollution plastique".

"C’est une fierté de savoir qu’un procéder de transformation des déchets plastiques venu d’Afrique est en train de devenir un savoir-faire qui s’exporte dans plusieurs autres pays à travers le monde".

Grâce à l’appui des donateurs, Ocean Sole Africa espère exporter son savoir-faire en matière de recyclage de tongs plastiques vers des pays comme le Honduras, Bali en Indonésie, en Inde et aussi dans les caraïbes.

Au-delà de créer des emplois, le message que l’entreprise sociale veut véhiculer c’est qu’il est important de lutter contre la pollution plastique qui menace l’environnement.

L’objectif est d’amener plus de personne à prendre conscience de la pollution plastique et d’en débarrasser les plages, les cours d’eau et les océans.