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Face au rejet d’une partie grandissante de la population vis-à-vis du développement de la croisière, du fait notamment de la pollution atmosphérique que les paquebots génèrent, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et les ports de son territoire, à commencer par Marseille mais aussi Toulon ou encore Nice, ont décidé de se mobiliser.  Jeudi dernier, à l’occasion du Blue Maritime Summit, organisé par le Club de la croisière Marseille-Provence, le plan « Escales Zéro Fumée » a franchi une étape décisive.

Les acteurs locaux ont en effet travaillé avec les armateurs pour les convaincre de s’engager sur des mesures fortes afin de traiter résolument le problème de la pollution. Même si les paquebots, cibles assez facile à brocarder, sont loin d’être les seuls à contribuer à la détérioration de la qualité de l’air, le sujet est devenu crucial à Marseille, premier port de croisière de l’Hexagone avec plus de 500 escales et près de 2 millions de passagers cette année. Une activité qui génère 3000 emplois et 350 millions d'euros de retombées sur l'économie locale. 

Les armateurs s’engagent sur du concret

Les trois principaux opérateurs fréquentant Marseille, Costa, MSC et RCCL, qui représentent à eux seuls 83% des escales et 93% des croisiéristes du port phocéen, ainsi que la compagnie française Ponant, sont les premiers à signer la nouvelle Charte Bleue. Celle-ci vise notamment à soutenir la mise en place d’un dispositif de branchement des navires sur le courant électrique terrestre afin de leur permettre d’éteindre leurs générateurs pendant les escales. « Cette signature est une avancée inédite et majeure pour l’environnement, pour la filière croisière en Méditerranée, pour Marseille et ses habitants et pour le Port. Nous souhaitons résolument développer l’activité croisière de façon responsable et acceptable par nos riverains. Nous avons maintenant l’engagement de l’ensemble des parties prenantes, et la perspective du branchement effectif des navires de croisière sur nos quais », a déclaré Hervé Martel, président du Directoire du Grand Port Maritime de Marseille.

Courant quai, carburant désulfuré et soutien au développement du GNL

Concrètement, les compagnies s’engagent à adhérer et recourir au projet de connexion électrique des navires à quai conduit par le GPMM sur le site du Marseille Provence Cruise Terminal (MPCT), avec la perspective de pouvoir brancher dès la saison 2024 deux navires à quai simultanément. Les armateurs s’obligent également à manœuvrer, dès l’entrée dans la zone de régulation du port de Marseille-Fos, avec du Maritime Gas Oil (MGO) 0.1 %, c’est à dire du gasoil désulfuré, des moyens équivalents comme les propulsions fonctionnant au Gaz Naturel Liquéfié (GNL) ou encore des systèmes de lavage des fumées conformes aux réglementations internationales et locales. A ce titre, on notera que le port phocéen, qui s’appuie en cela sur la règlementation française, n’accepte pas le fonctionnement dans ses bassins de scrubbers en boucle ouverte, ceux qui rejettent en mer les eaux acides provenant du lavage des fumées. Les navires qui en sont équipés, comme certaines unités de Costa, suivent déjà cette mesure et tournent lors des escales marseillaises au MGO 0.1% depuis plusieurs années.

Les signataires de la Charte Bleue s’engagent aussi à favoriser la programmation à Marseille de navires GNL en contribuant au développement d’une filière d’avitaillement depuis les terminaux méthaniers de Fos Tonkin et de Fos Cavaou. Le nouveau paquebot géant de Costa, en achèvement en Finlande, sera à compter du mois de décembre le premier doté de ce type de propulsion placé en tête de ligne Marseille, où il viendra chaque semaine. Une avancée considérable sur la plan environnemental puis le GNL plutôt qu’un carburant classique permet l’élimination totale des émissions d’oxydes de soufre (SOx), une réduction de 95 à 100% des particules fines, de 85 % des oxydes d’azote (NOx) et jusqu’à 20% des émissions de dioxyde de carbone (CO2). Avec une capacité de plus de 6000 passagers, le Costa Smeralda va à lui seul permettre à Marseille de compter dès 2020 un quart des passagers accueillis sur l’année voyageant à bord d’un bateau produisant son énergie avec du gaz naturel.

Alors que Costa devrait positionner un second paquebot GNL en Méditerranée occidentale en 2021, ce sera au tour de MSC Cruises à partir de 2022, année où les Chantiers de l’Atlantique lui livreront le premier des quatre mastodontes du projet World Class, également doté d’une propulsion GNL, tout comme le sera le cinquième navire de la classe Meraviglia, dont l’entrée en flotte est prévue en 2023. Des bateaux qui pourraient profiter de leur positionnement en tête de ligne à Marseille pour s’y avitailler et faire appel par exemple au service de soutage GNL que le groupe Total compte mettre en place à compter de 2021 afin de servir les bateaux de commerce et les navires à passagers.

« Cette charte est une grande première, en particulier la simultanéité des quatre actions »

La charte oblige enfin les paquebots à observer une vitesse maximale de 10 nœuds dans la zone pilotée en entrée comme en sortie du port de Marseille. Les compagnies vont de plus inciter leurs commandants à coopérer plus étroitement avec les pilotes afin d’optimiser les manœuvres portuaires pour limiter dès que cela est possible la puissance demandée aux moteurs, des gains importants en combustible pouvant être de ce point de vue réalisés, avec à la clé une moindre pollution.

« Cette charte est une grande première, en particulier la simultanéité des quatre actions qui ne s’est jamais faite dans un aucun port auparavant. Et cela de manière volontaire alors que la règlementation n’est pas à ce jour contraignante. C’est donc une avancée majeure qui a été obtenue grâce à la mobilisation de tous les acteurs concernés », se félicite Jean-François Suhas, président du Club de la Croisière Marseille-Provence, qui a porté ce projet.

La région met 30 millions sur la table pour l’électrification des quais

Le plus gros morceau de ce plan de bataille sera la mise à disposition du courant quai pour des paquebots réclamant de fortes puissances afin d’alimenter leurs installations hôtelières. Alors que les ferries de La Méridionale ont ouvert la voie en étant les premiers à utiliser le courant terrestre en escale, le réseau électrique du sud-est de la France peut supporter le surcroît de demande pour des paquebots, bien plus énergivores. Mais l’affaire n’est pas aussi simple qu’il y parait. Au-delà de la puissance requise, l’électricité employée par les bateaux présente une fréquence plus élevée, de 60 Hz et lieu de 50 pour le réseau terrestre, ce qui oblige à mettre en place des postes de transformation. Un défi technique complexe mais aussi coûteux. La région Sud (PACA) va largement y contribuer avec un plan de financement de 30 millions d’euros pour Marseille, Toulon et Nice, dont 9 millions destinés au premier et cofinancés par le port. Une décision récemment annoncée et qui a été un facteur déterminant pour décider les armateurs à s’engager dans la Charte Bleue. « Nous vivons une étape extrêmement importante du plan Escales Zéro Fumée, puisque ce sont les armateurs de croisière eux-mêmes qui adhèrent à notre initiative et viennent prendre les engagements que nous attendions tous. Avec l’ensemble de ma majorité, nous avons pris ce sujet en main en posant 30 millions d’euros sur la table pour que les installations d’électrification des navires de croisière puissent voir le jour. Aujourd’hui, on voit bien que cette nouvelle donne pousse les armateurs à s’inscrire dans notre démarche. C’est un succès extraordinaire et je veux féliciter le Club de la Croisière comme le Port de Marseille Fos pour cette réussite. Désormais, nous devons poursuivre notre effort pour arriver à des résultats concrets dans les délais auxquels nous nous sommes engagés », a déclaré jeudi dernier Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et initiateur du plan Escales Zéro Fumée.

Deux premiers postes équipés en 2024 à Marseille

C’est Enedis qui va être chargé de mettre à disposition cette capacité de branchement à quai. Le dispositif à Marseille devrait être testé en 2023 en vue d’être opérationnel l’année suivante. A cette date, l’objectif est de pouvoir alimenter simultanément deux paquebots en plus de quatre ferries et un navire en arrêt technique dans les chantiers de réparation navale des bassins phocéens. Pour les deux postes à quai du terminal croisière, la puissance disponible sur chaque « prise » devrait être d’environ 15 MW, ce qui laisse une bonne marge par rapport aux besoins actuels des grands navires de croisière (10 à 12 MW). Pour la suite, deux autres postes doivent être équipés, ce qui permettrait de servir jusqu’à quatre paquebots simultanément en escale, sachant que Marseille n’en accueille pas plus la majorité de l’année. Cet objectif est par ailleurs à mettre au regard de la future flotte en service au-delà de 2025, quand toutes les unités n’auront pas besoin du branchement quai pour peu qu’elles adoptent des propulsions vertueuses.  

Evidemment, il ne s’agit pas comme cela s’est vu par le passé dans d’autres pays de proposer un service dont l’électricité est fournie par des énergies non « vertes », ou du moins carbonées. Ce serait reporter le problème environnemental ailleurs, à l'image de ports américains dont le courant quai provenait de centrales à charbon. Ce ne sera pas le cas pour Marseille puisqu’en 2024, le réseau français sera uniquement alimenté par le nucléaire et les énergies renouvelables. Toutefois, sur le port, certains plaident pour qu’au-delà des deux premiers postes des réflexions soient menées sur les infrastructures suivantes : « Il faut réfléchir à ce que l’on peut faire en matière d’économie circulaire, c’est-à-dire voir comment le port peut produire sa propre énergie et comment elle pourrait alimenter les installations. On pense au photovoltaïque, à l’hydrogène ou à des technologies qui font l’objet de recherches, comme la méthanisation des eaux grises », explique Jean-François Suhas.

Négociations commerciales avec les armateurs sur le prix de l’électricité

Alors que Marseille se fixe comme objectif le zéro fumée en escale pour 2030, il faut cependant aller vite et, pour cela, des solutions plus traditionnelles seront mises en œuvre avec Enedis pour les premiers postes dotés du courant quai. Avec encore une étape importante à franchir, à savoir celle des négociations commerciales avec les armateurs sur le prix de cette électricité. Des discussions qui s’annoncent tendues puisque cela leur coutera probablement beaucoup plus cher que de faire tourner les générateurs de leurs navires. « La puissance publique a décidé de faire un effort considérable pour équiper les ports. Maintenant, ce service va avoir un prix et il va falloir que tout le monde soit raisonnable pour trouver un juste niveau ». Mais ce prix, estime Jean-François Suhas, ce sera aussi celui « de l’acceptabilité de la croisière par la population ». Et le courant quai permettra aussi aux armateurs de faire des gains sur le potentiel des moteurs et l’optimisation de la maintenance. Sans compter le coût économisé dans les années qui viennent sur les quotas carbone, sachant que les paquebots passent généralement entre 30 et 50% de leur temps à quai.

Un mouvement impératif pour l’industrie de la croisière

Les armateurs, après avoir subi ces derniers mois des attaques de plus en plus fortes, ont en tous cas bien compris qu’il fallait redoubler d’efforts pour réduire au maximum la pollution générée par leurs flottes. En particulier en Europe, où cette problématique prend une telle importance qu’elle devient susceptible d’entraver sérieusement le développement de cette industrie florissante. C’est pourquoi de nombreux navires sont en train d’être équipés de prises de branchement à quai, ce qui permet aux armateurs de dire qu’ils sont prêts et que les ports ne le sont pas, mais qui constituera à l’inverse un contre-argument irrecevable pour l’opinion publique si les quais sont équipés et que les paquebots ne s’y connectent pas au motif que l’électricité est chère.

Durcissement de la règlementation sur les émissions polluantes

Le durcissement de la règlementation sur les émissions polluantes est évidemment crucial pour accélérer le mouvement. A partir du 1er janvier 2020, la Méditerranée va ainsi passer en zone d’émissions de soufre contrôlée, les carburants de tous les navires y naviguant (à l’exception pour le moment des liaisons dans les îles grecques) devant avoir une teneur en soufre de 0.5% maximum, contre 3.5% jusqu’ici. Depuis 2015, l’Europe du nord est déjà passée au 0.1% et, dans les faits, cela pourrait être rapidement le cas en Méditerranée. Car se pose la question de l’approvisionnement avec un carburant à 0.5% qui n’est pour le moment pas disponible. Il y a fort à parier que les armateurs vont donc naturellement s’orienter immédiatement vers le 0.1%. C’est le chemin qu’ont prévu de prendre plusieurs compagnies sollicitées sur cette question par Mer et Marine.

La question des SOx étant maintenant pour ainsi dire réglée, la prochaine bataille sera celle des NOx. Là encore, c’est en Europe le nord qui va ouvrir la marche puisque les émissions d’azote y seront contrôlées à partir de 2021. Dans cette perspective, pour ce qui est de la croisière, les derniers paquebots sortant des chantiers sont par anticipation équipés de pots catalytiques permettant de traiter les NOx. Avec comme avantage de retrouver aussi ces navires en Méditerranée, comme ce sera le cas avec le MSC Grandiosa, qui sera livré la semaine prochaine par les chantiers de Saint-Nazaire et sera exploité en tête de ligne à Marseille pour sa saison inaugurale. Dans le même temps, il faut s’atteler à la réduction des particules fines et très fines qui, à l’instar des NOx et SOx, constituent un vrai problème de santé publique. Les systèmes de traitement des fumées en éliminent une partie, le GNL une très grosse proportion, et d’autres solutions de filtrage sont à l’étude.

L’efficacité des mesures de réduction des émissions polluantes passera aussi par le renforcement des contrôles, ce que prévoient les Affaires maritimes, qui réalisent déjà, chaque année en France, 700 vérifications sur les émissions de fumées des navires.  Cette surveillance pourra notamment bénéficier du développement de nouveaux moyens, comme des drones aériens équipés de capteurs permettant d’analyser les rejets en survolant les cheminées.

Un enjeu de santé publique mais aussi contre le réchauffement climatique

Parallèlement à ce problème de santé publique, il y a évidemment les enjeux de lutte contre le réchauffement climatique et l’impérieuse nécessité de réduire le bilan carbone des activités humaines. C’est aussi l’intérêt du courant quai, en complément du développement des propulsions GNL. On notera d’ailleurs que celles-ci représenteront une part significative du trafic marseillais dès 2022, Costa et MSC représentant 80% des escales du port français.

Pour ce qui est de la réduction des émissions de CO2, l’apparition de nouvelles technologies permet de diminuer les rejets, mais déjà les optimisations techniques ont permis de faire des progrès considérables. Ainsi, entre le plus vieux paquebot en service, l’Astoria (161 mètres, 16.000 GT de jauge, 600 passagers) datant de 1947, refondu et motorisé en 1994, et le plus grand paquebot du monde, l’Harmony of the Seas (362 mètres, 227.000 GT, 6300 passagers), sorti en 2016 des Chantiers de l’Atlantique, la consommation quotidienne en navigation à vitesse économique est respectivement de 40 et 130 tonnes de carburant. Le second ne consomme donc que trois fois plus de combustible bien qu’il soit vingt fois plus volumineux. Le cas de l’Harmony est intéressant puisqu’il s’agit du troisième paquebot géant de la classe Oasis, dont la consommation énergétique a été réduite de 25% par rapport aux deux premières unités de la série, mises en service en 2009 et 2010. Les gains en six ans seulement ont donc été considérables et Saint-Nazaire les a même amplifiés avec le quatrième navire de la série, le Symphony of the Seas livré en 2018 et dont le bilan est encore amélioré de plus de 10% par rapport à son aîné. Or, moins de carburant consommé c’est mécaniquement mois de CO2 rejeté. Alors que la recherche d’une meilleure efficience énergétique se poursuit d’un bateau à l’autre, les programmes de R&D se multiplient pour développer de nouvelles technologies, au moins complémentaires dans un premier temps aux carburants fossiles. C’est le cas par exemple des piles à combustible fonctionnant à l’hydrogène mais dont la plus grosse ne dépasse pas pour le moment 1 MW de puissance.

 

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