Paroles de soignants en psychiatrie : "Faute de moyens, on pousse des patients vers la sortie"

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Paroles de soignants en psychiatrie : "Faute de moyens, on pousse des patients vers la sortie"

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Baptiste, Djamel, Zoé, Sandra, Sarah et Mathieu sont soignants à l'hôpital Roger-Prévot dans les Hauts-de-Seine.
Baptiste, Djamel, Zoé, Sandra, Sarah et Mathieu sont soignants à l'hôpital Roger-Prévot dans les Hauts-de-Seine.
© Radio France - Ouafia Kheniche / Xavier Demagny

Ce jeudi, les personnels soignants manifestent dans toute la France en faveur d'un "plan d'urgence pour l'hôpital public". Pour rendre compte de leurs revendications, nous avons donné la parole à des médecins et infirmiers de l’hôpital psychiatrique Roger Prévot, en région parisienne. Témoignages.

RÉTROSPECTIVE : avant de tourner définitivement la page 2019, la rédaction de France Inter vous propose de redécouvrir les articles qui nous ont marqués cette année. En novembre, nous avions rencontré des soignants en hôpital psychiatrique inquiets pour leurs patients.

Ils parlent très peu d'eux-mêmes, ils se préoccupent d'abord de leurs patients et de leurs collègues. Les soignants de l’hôpital Roger Prévot (Moisselles, Val-d'Oise) que nous avons pu rencontrer sont infirmiers, psychologue et psychiatres. En ce jour de mobilisations des personnels soignants pour l'hôpital public, ils ont accepté de nous décrire leurs conditions de travail. Ils nous expliquent comment au fil des ans, leurs professions ont changé, comment cela les affecte et, surtout, comment cela affecte leurs collègues et leurs patients. Malgré le manque de moyens, cette équipe semble soudée face aux difficultés. 

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Sarah, psychiatre, 35 ans : "Aujourd'hui, on pousse des patients vers la sortie sans être sûr à 100%"

Sarah, psychiatre, 35 ans : "Aujourd'hui, on pousse des patients vers la sortie sans être sûr à 100%"
Sarah, psychiatre, 35 ans : "Aujourd'hui, on pousse des patients vers la sortie sans être sûr à 100%"
© Radio France - Ouafia

Sur le manque d'effectifs : "C’est incroyable mais depuis 10 jours, l’hôpital n’a plus de lit disponible. Je dois donc faire sortir des patients plus vite sans être sûre à 100% qu'ils sont stabilisés. Je prends ce risque-là parce que je dois libérer des lits. On doit effectuer ces sorties mais on n’a plus les moyens d’accompagner les patients pour créer des liens avec l’extérieur.

Dans certains cas, le manque d’effectifs a des effets pervers dans l'autre sens. Alors qu’on a besoin de lits, on doit garder certains malades. Je vous donne l’exemple de ce patient schizophrène amené par la police. Il arrive à l’hôpital, on le stabilise, les soignants s’occupent de lui. Progressivement, on veut l’aider à retourner chez lui mais pour faire cet accompagnement, il faut que l’un d’entre nous puisse aller à son domicile, effectuer certaines démarches avec lui à l’extérieur. Comme nous ne sommes pas assez nombreux, il reste enfermé…

Enfin, j’essaie de le faire le moins possible mais il y a des patients qu’on fait sortir alors qu’on ne sait pas vraiment s’ils ont un logement par exemple. Je ne peux plus prendre le temps d’assurer la sécurité de mes patients à 100 %. On tente de soigner un petit peu tout le monde. 

Il y a des moments où j’ai pris des décisions qui protégeait l’équipe et pas forcément le patient. Si les soignants craquent, on ne soignera plus personne. Moi j’ai une équipe qui est en burn-out extrême. Depuis une année, j’ai arrêt maladie sur arrêt maladie, les collègues craquent. Et ensuite, on se remplace les uns les autres, on rappelle les gens sur leurs congés, on essaie de s’entraider mais on n’a aucun renfort. 

En ce moment je travaille comme ça, je viens au boulot en me disant, "faut pas que ça craque". C’est plus dur que ce que j’avais imaginé. Il y a un sentiment d’injustice." 

Son message à la ministre : "Je suis assignée à l’hôpital mais je suis en grève. Je n'irai pas à la manifestation, je travaillerai aujourd'hui pour assurer la continuité de soin. Mon message : "faites attention parce que tout va s’écrouler".

Son salaire : "Aujourd’hui je perçois 4 200 euros net par mois à temps complet. Pour un psychiatre dans le privé, c’est trois ou quatre fois plus."

Pourquoi la psychiatrie ? "J’ai fait des études de médecine pour être psychiatre. Quand j’ai commencé à travailler en psychiatrie, j’avais une vingtaine d’années. J’étais dans un service où on enfermait beaucoup de patients et à l’époque, je trouvais que les conditions de travail étaient trop déshumanisantes. Finalement, dans le service public, qui me tenait à cœur, j’ai fait les rencontres qui m’ont permises de trouver l’envie de travailler à nouveau à l’hôpital."

Baptiste, 40 ans, psychologue : "La rencontre avec le patient doit être rapide" 

Baptiste, 40 ans, psychologue : "La rencontre avec le patient doit être rapide"
Baptiste, 40 ans, psychologue : "La rencontre avec le patient doit être rapide"
© Radio France - Ouafia Kheniche

**Sur le manque d’effectifs : "**On fait appel aux psychologues pour faire une évaluation rapide. On ne nous laisse absolument pas le temps de travailler. La rencontre avec le patient doit être rapide. Le temps presse. Il faut vite passer à la prise en charge, au traitement et aussitôt à la guérison. La guérison, dans mon métier je ne sais pas ce que ça signifie. Notre métier passe par l’accueil des patients, le partage d'un repas, d'une lecture, en tout cas, du temps passé avec eux.

On est aussi très souvent face à des gens qui n’ont rien dans le porte-monnaie et qui, en fin de mois, ont peur à chaque fois qu’ils utilisent leur carte bleue, quand ils en ont une. Là, on n’a plus à faire à des problèmes psychologiques mais sociaux."

Son salaire : "Je suis sur deux postes en ce moment, je fais 40 heures. J’ai commencé à 1 600 euros et aujourd’hui, je suis à un peu moins de 2 000 euros avec un bac plus 5."

Pourquoi la psychiatrie : "J’ai été menuisier, un peu mécanicien, musicien… Et il y a deux ans, je suis devenu psychologue. C’est un domaine qui m’intéressait depuis très longtemps. La découverte de la réalité de ce travail a été assez surprenante, assez loin de l’idée que je m’en faisais."

Son message à la ministre : "A chaque fois que je l’entends, elle parle de recherches de neurosciences. Elle prône un retour au biologique. Comme si tous les problèmes psy étaient dans le cerveau. On ne s’interroge plus sur ce qu’est la folie. Ce n’est pas du tout un métier comme les autres. Il faut que la ministre entende ça. On n’est dans la santé, dans l’humain."

Zoé, infirmière, 32 ans : "Parfois, je me sens maltraitante"

Zoé, infirmière, 32 ans, exerce depuis 10 ans.
Zoé, infirmière, 32 ans, exerce depuis 10 ans.
© Radio France - Ouafia Kheniche

Sur le manque d’effectifs : "Il y a très clairement une dégradation de notre qualité de travail. Les activités thérapeutiques comme les ateliers, qui constituent un aspect important du lien avec les patients, peuvent être supprimées. Les malades sont impliqués dans ces groupes, ils s’y engagent sur le long terme mais parfois, quand nous ne sommes pas assez nombreux, on est obligés de les annuler et ils l’apprennent le jour même.  

La semaine dernière, faute de personnel, on s’est retrouvé à deux pour s’occuper de 24 patients à l’hôpital de jour, dont certains sortaient d’hospitalisation longue. Dans un centre psychiatrique où j’ai travaillé, j’étais seule de permanence au rez-de-chaussée, là où l’on donne les médicaments. Un malade est arrivé, il n’allait pas bien, il ne prenait plus ses médicaments. Il était très menaçant, très contrarié. Mes collègues étaient dans les étages et j’ai été seule face à lui parce que l’on n’était pas assez nombreux. 

Il faut toujours faire plus avec moins. Autour de moi, j’ai des amis infirmiers qui se reconvertissent alors qu’ils sont dans le métier depuis moins de 10 ans. Pour l’instant, j’ai encore l’impression de servir à quelque chose. J’y trouve pour le moment encore mon compte mais la répétition des situations difficiles nous use. Les patients nous le renvoient, ils nous disent que ce n’est plus comme avant, qu’on leur accorde moins de temps. On passe un temps infini à faire de la paperasse, à valoriser les actes, c’est-à-dire à faire notre autopromotion auprès de nos hiérarchies. Ces chiffres sont une belle vitrine pour l’administration. Mais c’est parfois frustrant. Le patient compte beaucoup sur nous. Parfois, je n’accueille pas les patients comme je devrais le faire, comme je sais le faire. Parfois, je me sens maltraitante." 

Son salaire : "J’ai commencé, j’avais à peine 22 ans et je touchais 1 500 euros. Dix ans plus tard, je touche 200 ou 300 euros de plus."

Pourquoi la psychiatrie : "J'ai fait ce choix pendant mes études. J’ai fait mon mémoire sur la psychiatrie. C’était un domaine qui me plaisait, notamment par rapport à l’accueil et l’approche des malades."

Son message à la ministre : "Il nous faut plus de moyens pour accueillir les gens dignement." 

Djamel, 33 ans, infirmier : "La difficulté c’est qu’on a de moins en moins de patience alors que c’est le cœur même de notre métier"

Djamel, infirmier à l'hopital depuis 9 ans.
Djamel, infirmier à l'hopital depuis 9 ans.
© Radio France - Ouafia Kheniche

Sur le manque d’effectifs : "Le sous-effectif est constant. A l’époque on pouvait être 5 dans le service. Aujourd’hui on est 3, avec plus de patients. La difficulté c’est qu’on a de moins en moins de patience alors que c’est le cœur même de notre métier. 

Je me souviens d’une fois où on s’est retrouvé un jour à trois le week-end, de 13h à 21 heures, avec 33 patients ayant des pathologies très lourdes. S’ils sont hospitalisés c’est qu’ils ne vont pas bien du tout. Les patients, moins on leur accorde de temps, plus ils sont tendus. Le patient est monté, il a commencé à casser des choses. On était en chambre d’isolement, le patient était assez costaud. Il a voulu nous sauter dessus. Là, le manque d’effectifs a clairement des conséquences, le temps que des renforts arrivent des autres étages, le temps parait long… Parfois on en a vraiment ras-le-bol de bosser dans ces conditions-là. Avoir un bac +3 avec un salaire aussi faible et des responsabilités pareilles… Ça prouve qu’on n’est pas très bien considérés."

:Son salaire  "Quand j’ai commencé, je touchais 1 500 euros et aujourd’hui, je suis à 1 800 euros net avec les gardes."

Pourquoi la psychiatrie : "J’ai fait un bac pro compta, des études d’économie mais ça ne me plaisait pas. Je suis allé vers des études d’infirmier. Au départ, la psychiatrie ne m’intéressait pas forcément mais je me suis rendu compte que c’est un secteur dans lequel on passe du temps avec les patients."

Son message à la ministre : "Il nous faut plus de moyens, c’est sûr. Sur les 20 infirmiers et aides-soignants de l’hôpital, en ce moment, il manque 5 personnes. Il faut qu'à l'extérieur, on s'en rende compte." 

Mathieu, 38 ans, psychiatre : "On passe un quart d’heure avec chaque patient, comment voulez-vous que ce soit autre chose que de la prescription de médicaments ?"

Mathieu Bellahsen, psychiatre, 38 ans, exerce à l'hopital  depuis 10 ans.
Mathieu Bellahsen, psychiatre, 38 ans, exerce à l'hopital depuis 10 ans.
© Radio France - Ouafia Kheniche

Sur le manque d’effectifs : "Il y a 10 ans, arrivait progressivement l’idée que l’hôpital allait être transformé en usine à produire des soins avec des critères de qualité et de rentabilité. Il y a eu de plus en plus de managers qui sont arrivés sans connaître la psychiatrie et le lien particulier avec nos patients. 

Le pivot en psychiatrie, c’est le centre médico-psychologique (CMP). Le temps de consultation en CMP pouvait parfois si c’était nécessaire être d’une heure, vous pouviez aussi vous rendre chez le psychiatre. Dans ce cas-là, il fallait deux heures. Désormais, en deux heures, il faudrait prendre huit patients et donc passer un quart d’heure avec chaque patient. Comment voulez-vous que ce soit autre chose que de la prescription de médicaments ? Ce modèle-là de psychiatrie impose qu’on soigne juste avec les médicaments. Le temps est compressé en permanence. Les réunions aujourd’hui sont de plus en plus consacrées à la bureaucratie et de moins en moins au patient. 

Auparavant, c’était des politiques de rationalisation, ensuite ça a été des politiques de rationnement, maintenant c’est une politique de destruction, qu’on ressent dans nos nuits sans sommeil. 

Quand on est dans les professions de soins, on a une tendance masochiste.  On est dévoué, on veut sauver le monde… Le pouvoir joue là-dessus. Aujourd’hui, les soignants racontent la trahison intime qu’ils ressentent entre ce qu’ils devraient faire et ce qu’ils font réellement."

Le salaire : "Mon salaire de départ était de 1 300 euros. Aujourd’hui, je gagne un peu plus de 4 000 euros. Si je choisissais de faire des intérims à l’hôpital, je serais payé 500 à 1000 euros par jour".  

Pourquoi la psychiatrie ? "C’était une passion. Ce qui a été déterminant c’est la rencontre avec les patients qui m’ont accueilli d’une façon magistrale. Jamais dans ma vie je n’avais fait des rencontres comme celles-là". 

Son message à la ministre : "Je ne lui parle plus car je n’attends rien d’elle. Le changement se fera par le bas, par les collectifs. Il faut que les gens en tant que citoyens, peut-être futurs malades, se mobilisent et disent ça suffit, on ne veut plus être soigné comme ça. Il ne faut rien quémander, il faut imposer car c’est nous qui sommes tous les jours avec les patients".  

Sandra, infirmière, 37 ans : "Un jour où l'on était en sous-effectif, une patiente m’a frappée. J’étais enceinte."

Sandra, infirmière, 37 ans, aide soignante pendant 10 ans puis infirmière depuis 2012, exerce à l'hopital depuis 7 ans.
Sandra, infirmière, 37 ans, aide soignante pendant 10 ans puis infirmière depuis 2012, exerce à l'hopital depuis 7 ans.
© Radio France - Ouafia Kheniche

Sur le manque d’effectifs : "Je me rappelle, quand j’ai commencé, j’avais des patients. Aujourd’hui parfois, j’ai l’impression d’avoir plutôt des clients et pas assez de temps. Je vous donne un exemple concret : on a une collègue qui est en arrêt parce qu’elle a eu un accident. Comme elle n’est pas remplacée demain je reviens alors que normalement je suis à 80 % et que le mercredi je ne travaille pas. Je viens parce que si ma collègue est seule, l’hôpital ne peut pas ouvrir. On ne me force pas à le faire, mais je le fais. Pour les patients, c’est essentiel. Ce sont des psychotiques qui ont besoin de stabilité. On se fait avoir par la culpabilité aussi. 

On n’est pas assez mais on tient quand même. Vu de l’extérieur, la hiérarchie, se dit que même quand il manque du monde, ils y arrivent… Parfois, je reviens sur un jour de congé. Aujourd’hui, je ne veux plus déposer ma gamine malade à la crèche pour combler les trous. 

Tous ces manques se font au détriment des patients. Quand le service va mal, eux vont mal. Les patients parfois soignent l’institution, ils bouchent les trous, ils nous protègent. Les patients psychotiques font éponges. On le ressent. 

Un jour de grande pénurie à l’hôpital, on était en sous-effectif. Une patiente dont j’étais la référente m’a frappée. J’étais enceinte, j’ai pris des coups dans le ventre. Des patients autour ont commencé à s’agiter, il fallait les contenir et on n’était pas assez nombreux. On tient dans une situation qui n’est plus tenable" 

Le salaire : "Quand j’ai commencé je gagnais 1 500 euros, je suis à 1700 euros". 

Pourquoi la psychiatrie ? "J’ai commencé comme aide-soignante en maison de retraite. Je suis devenue infirmière en 2012. L’infirmière reste la plus proche du patient, celle qui a le plus de temps avec lui. C’est beaucoup moins difficile d’être infirmière qu’aide-soignante. Je suis arrivée dans cet hôpital un peu par hasard et j’y suis très bien". 

Son message à la ministre : "Je voudrais que la ministre vienne dans les services en immersion dans le système de santé, sans journalistes, sans les sourires, dans les vrais conditions où nous travaillons chaque jour".  

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