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Il intoxiquait des femmes pour les faire uriner et les humilier, une victime témoigne

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Elle a rencontré lors d'un entretien d'embauche l’ex-directeur adjoint de la Drac Grand Est à Strasbourg et comme des dizaines de femmes, elle aurait avalé un diurétique l'obligeant à uriner devant lui. Sophie témoigne sur les agissements de cet homme mis en examen notamment pour agression sexuelle.

L'ancien directeur adjoint de la Drac de Strasbourg (Bas-Rhin) est accusé d'avoir administré du Furosémide, un puissant diurétique, à une candidate à l'embauche, pour qu'elle urine devant lui.
L'ancien directeur adjoint de la Drac de Strasbourg (Bas-Rhin) est accusé d'avoir administré du Furosémide, un puissant diurétique, à une candidate à l'embauche, pour qu'elle urine devant lui. © Maxppp - Jean-François Frey

Vous vous souvenez peut-être de cette histoire sordide révélée par le Canard Enchaîné en mai dernier. Celle d'un ancien haut-fonctionnaire du ministère de la Culture, Christian Nègre, accusé d'avoir intoxiqué des centaines de femmes pour les pousser à uriner devant lui tout en les photographiant, entre 2009 et 2018, lors d’entretiens d’embauche.

Une enquête du quotidien Libération datée de début novembre dévoilait que l’ex-DRH, qui a reconnu dans les colonnes du journal avoir drogué "dix ou vingt" femmes, tenait un registre de ses actes dans un fichier informatique Excel. Il y était décrit minute par minute les troubles de ses victimes, candidates à des postes au ministère. 

Et selon les informations de France Bleu Alsace, une femme originaire du Grand Est a déposé plainte à l’été 2019 contre l'homme, déjà mis en examen pour agression sexuelle. Aujourd’hui, elle raconte son traumatisme, par la voix de son avocate, Me Clémence Langlois. La victime, qui souhaite rester anonyme et se fait appeler Sophie*, dépeint le même mode opératoire que celui observé au ministère de la Culture rue de Valois, à Paris.

Diurétique, envie pressante et humiliation

Les faits se seraient produits en novembre 2017 au moment où Christian Nègre occupait, depuis janvier 2016, le poste de directeur adjoint de la Direction régionale des affaires culturelles, à Strasbourg (Bas-Rhin) où est situé le siège de la Drac. C'est également là que l'homme a été confondu, en juin 2018, en train de photographier "discrètement" les jambes d'une sous-préfète de Moselle, provoquant l'éclatement de l'affaire et la saisie de la justice.

Contactée sur le réseau social Linkedin par Christian Nègre, Sophie se rend à son entretien d’embauche à la Drac Grand Est à Strasbourg, dans le bureau du directeur adjoint. L’homme propose à la trentenaire, comme aux autres victimes auparavant, une boisson chaude servie dans un gobelet en plastique. Un thé, en l’occurrence, dans lequel a été administré du Furosémide, un puissant diurétique. L’entrevue est interminable : quatre heures, montre en main. Et s’étale sur plusieurs endroits à Strasbourg : après le bureau de Christian Nègre, direction le grand air pour une balade sur les quais de l’Ill, pour finir au Palais du Rhin, à la Drac.

Pendant l’entretien, la jeune femme ressent une envie pressante. Mais impossible d’aller aux toilettes, malgré ses demandes. Une fois, deux fois. Toujours non. "Christian Nègre lui a répondu qu’ils étaient bientôt arrivés à la Drac", détaille Maître Langlois. L’attente devient insoutenable. Et aucun café ni restaurant sur le chemin pour se servir de leurs WC. Le dispositif est bien rôdé.

J'ai cru que j'allais m'évanouir tellement j'avais envie d'uriner

"J'ai cru que j'allais m'évanouir tellement j'avais envie d'uriner, raconte Sophie dans le communiqué transmis à France Bleu Alsace par son avocate. J’avais des sueurs froides et j’avais vraiment peur d’uriner devant lui dans ce bâtiment du ministère de la Culture. J’ai demandé où étaient les toilettes et il m’a dit qu’il fallait tout d’abord que l’on dépose nos affaires dans son bureau, ce que nous avons fait."

Continuant à "lutter" pour ne pas tomber dans les pommes, la trentenaire se voit indiquer par Christian Nègre la direction des toilettes privées de son bureau. "Je m’y suis rendue, tout en sachant qu’il pouvait m’entendre mais à ce stade, j’étais surtout contente d’avoir pu éviter le pire. Quelques minutes plus tard, Christian Nègre a mis fin à l’entretien dans son bureau. Je n’ai pas compris pourquoi j’avais dû aller dans ses toilettes plutôt que celles de la Drac."

Le soulagement laisse place à un sentiment bizarre, "quelque chose d’anormal" s’est produit, "sans pouvoir l’expliquer". Les mois passent. Et c’est finalement lors de la sortie de l’article du Canard Enchaîné que Sophie fait le lien. Entre la Drac Grand Est de Strasbourg et le ministère de la Culture à Paris, les quais de l’Ill et les quais de Seine, il n’y a qu’un pas. C’est là qu’elle décide de déposer plainte, le 3 juillet 2019.

Les pervers sont partout, même au sein de l’État

"Cette expérience a été un choc pour moi, relate Sophie. Un choc supplémentaire en tant que femme. Se rendre compte que l’on ne peut même plus accepter un thé lors d’un entretien d’embauche sans craindre pour sa personne, c’est terrifiant. Les pervers sont partout, même au sein de l’État. Ils continuent de nous cibler et d’opérer en toute tranquillité."

Et la victime d’abonder : "Christian Nègre semble avoir ciblé des femmes en recherche d’emploi sur Strasbourg. C’était très certainement pour avoir un ascendant plus important sur nous toutes. Cela lui a permis d’exécuter son plan millimétré et ainsi assouvir ses perversions, tout en se sentant intouchable. J’ai l’impression d’avoir été utilisée, manipulée, et que ma précarité a été exploitée pour le bénéfice de cet homme."

Un témoignage exceptionnel, car Sophie est pour le moment la seule victime de Christian Nègre localisée dans le Grand Est à avoir porté plainte pour des faits produits au moment où ce dernier travaillait à la Drac, à Strasbourg. Toutes les victimes qui avaient précédemment parlé dans la presse ont subi les perversions de l’ancien haut fonctionnaire lorsqu’il était au ministère de la Culture, à Paris. Et beaucoup ont vécu l’humiliation de devoir uriner devant Christian Nègre, voire même d’être photographiées au même moment, comme le rapportait Libération dans ses différents témoignages.

"Il a continué, malgré sa mutation à Strasbourg, insiste Me Langlois. Les faits sont similaires, il n’y a aucun doute. Ma cliente a vécu un réel traumatisme. Ce n’est pas qu’une "affaire de pipi" comme j’ai pu l’entendre. C’est vraiment une atteinte à son corps, une sensation qu’on a abusé d’elle en lui administrant un diurétique. Et puis, il y a toute la perversion sexuelle qu’il y a derrière. C’est compliqué à gérer. Elle s’interroge énormément sur ce qui est arrivé."

"Après cette histoire, je n’ai pas réussi à continuer à travailler au sein du ministère de la Culture où, par un concours du hasard, je travaillais au moment de la parution de l’article du Canard Enchaîné, confirme Sophie. Je continue de me questionner sur pourquoi Christian Nègre m’a ciblée, sur comment je n’ai pas compris ce qui se passait sur le coup et sur pourquoi nous sommes autant à avoir dû subir ses agissements."

Aujourd’hui, Christian Nègre, radié de la fonction publique, est placé sous contrôle judiciaire et mis en examen pour "administration de substance nuisible", "agression sexuelle par personne abusant de l'autorité conférée par sa fonction", "atteinte à l'intimité de la vie privée par fixation d'image", "violence par une personne chargée de mission de service public" et "infraction à la législation sur les médicaments", selon Me Langlois.

Une adresse mail pour que les potentielles victimes du Grand Est et d'ailleurs témoignent

Bien qu’ayant retrouvé un emploi, Sophie souffre toujours. "Elle subit encore des conséquences psychologiques véritables de ce traumatisme", poursuit son avocate. Et si Sophie décide aujourd'hui de rendre publique son dépôt de plainte, c’est avant tout pour lutter. Et connaître la vérité. Mais pas seulement.

"Ma cliente veut que la responsabilité de Christian Nègre soit reconnue, mais aussi que ceux qui savaient et ont laissé faire puissent s’exprimer, expose Me Langlois. Il travaillait sur trois grands sites de la Drac dans le Grand Est. Strasbourg, Metz (Lorraine) et Châlons-en-Champagne (Marne). L’objectif, c’est que de potentielles victimes puissent se manifester et prouver qu’elle n’a pas été la seule à avoir subi ces actes graves."

Une adresse mail a d'ailleurs été mise en place pour les femmes susceptibles d'avoir été agressées par Christian Nègre témoignent : victimes.cn@osana-avocats.com.

*le prénom a été modifié

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