Ces handicapés font des choses extraordinaires

LE PARISIEN WEEK-END. En France, ils sont près de 10 millions en situation de handicap. Comme le champion de natation quadri-amputé Théo Curin, certains en ont fait une force.

 Championne d’équitation avant son son accident de scooter, Aurélie n’a jamais renoncé à sa passion.
Championne d’équitation avant son son accident de scooter, Aurélie n’a jamais renoncé à sa passion. Benjamin Béchet pour Le Parisien Week-End

    Sur le grand comme le petit écran, c'est un fait incontestable : le handicap se fait aujourd'hui plus visible. « Toute cette médiatisation et le succès de films comme De rouille et d'os, Intouchables ou Hors normes, c'est génial, s'enthousiasme François-Xavier Vermesse, 40 ans, responsable des ressources humaines au sein de la mutuelle Matmut et déficient auditif. Cela banalise le handicap et contribue à valoriser la diversité. » Et, surtout, cela permet de mettre en lumière - souvent avec humour - les difficultés du quotidien. Impossibilité d'emprunter les transports en commun, manque d'accès adapté chez les commerçants, discrimination à l'embauche, refus d'octroyer un prêt immobilier ou d'assurer…

    « Grâce au cinéma, aux journaux et au travail des nombreuses associations, les gens savent enfin que notre vie, c'est le parcours du combattant, confirme Nelly Dahan, 61 ans, handicapée à 80 % depuis plus de 10 ans à la suite de plusieurs cancers. Sortir à Paris, Lyon ou Aix-en-Provence, c'est un calvaire. Je dois repérer les itinéraires qui sont accessibles avec mon déambulateur ou mes cannes, choisir des lieux adaptés. Dans le bus, les gens nous regardent de travers, occupent nos places réservées, le métro parisien est quasiment impraticable. Je vis au 4e étage et l'ascenseur est régulièrement en panne, ce qui m'empêche de regagner ou de quitter mon logement parfois pendant plusieurs jours. Les portes d'entrée des immeubles sont beaucoup trop lourdes… »

    Des « détails » qui peuvent avoir un impact désastreux sur l'emploi, la vie sociale, les loisirs. « C'est dur, c'est la double peine, mais on ne se plaint pas, relativise Nelly Dahan. Si on veut avoir une chance de s'en sortir, il faut se battre et avancer. Pour nous, les handicapés lambda, c'est un peu marche ou crève ! »

    Redimensionner ses rêves

    Nelly Dahan ne peut plus se déplacer sans déambulateur. Sortir est devenu un calvaire. Nicolas Friess pour Le Parisien Week-End
    Nelly Dahan ne peut plus se déplacer sans déambulateur. Sortir est devenu un calvaire. Nicolas Friess pour Le Parisien Week-End Benjamin Béchet pour Le Parisien Week-End

    Cette réalité est-elle très éloignée de celle des personnalités médiatisées ? « C'est formidable de voir des champions olympiques se surpasser, ça permet de dédramatiser et de valoriser le sujet du handicap, estime Aurélie Brihmat, amputée d'une jambe à l'âge de 17 ans, à la suite d'un accident de scooter. Mais cela suggère aussi qu'il n'y a que les champions qui pourront s'en sortir et accomplir des choses extraordinaires. Et que si on n'a pas une volonté de fer ou des moyens financiers importants, une fois frappé par un handicap, on ne pourra plus jamais rien faire… Ça met la barre très haut et en décourage plus d'un. »

    LIRE AUSSI > Théo Curin, quadri-amputé et sans limites

    Deux mois seulement après son amputation, en 2002, Aurélie a pour sa part décidé qu'elle n'abandonnerait pas ses passions. « Moi, c'était avant l'accident que j'étais championne de France d'équitation et championne régionale de danse. Mon rêve s'est ensuite redimensionné, je voulais pouvoir un jour remonter à cheval et danser à nouveau. » Mais les difficultés s'accumulent sur son parcours. « Aucune prothèse adaptée n'existe sur le marché pour les cavaliers amateurs, c'est mon père qui a fini par m'en bricoler une avec une truelle ! » raconte-t-elle.

    « L'autre souci, c'est que les médias n'évoquent quasiment jamais les handicaps invisibles », souligne Francois-Xavier Vermesse. C'est le cas de la déficience auditive mais aussi de certaines maladies chroniques ou dégénératives (sclérose en plaques, polyarthrite…), qui entraînent des douleurs invalidantes et une fatigue extrême. « Ces situations concernent pourtant 80 % des personnes handicapées, explique Didier Roche, non-voyant président fondateur de l'association d'entrepreneurs handicapés H'up et cofondateur de la chaîne de restaurants Dans le noir?. On ignore aussi que 55 % des Français vont connaître à plus ou moins long terme une situation de handicap dans leur vie au travail, les concernant eux ou un de leurs collègues. »

    Certains patients continuent donc de cacher leur handicap à leurs confrères, managers et même à leurs proches, de peur d'être discriminés et de susciter de la compassion, de la pitié, voire certaines formes de jalousie. « J'ai mis près de 10 ans à accepter mon handicap et à me faire appareiller, se souvient François-Xavier Vermesse. Pour faire changer le regard des personnes handicapées sur elles-mêmes, il faut absolument leur donner la parole, afin qu'elles expliquent leur parcours. Et, surtout, valoriser leurs compétences avant de se focaliser sur leur handicap. »

    Un tour de France et un marathon

    Eric Brun-Sanglard a perdu la vue. Dans son nouveau métier, il mobilise tous ses autres sens. Thierry Bouët pour Le Parisien Week-End
    Eric Brun-Sanglard a perdu la vue. Dans son nouveau métier, il mobilise tous ses autres sens. Thierry Bouët pour Le Parisien Week-End Benjamin Béchet pour Le Parisien Week-End

    Car le handicap peut aussi être une chance de se dépasser, de changer de vie… « Avant, j'étais introverti, mal dans ma peau, confie Eric Brun-Sanglard, 57 ans, ancien publicitaire devenu blind designer (architecte d'intérieur sensoriel) après avoir perdu la vue à 33 ans. Aujourd'hui, je suis libéré du regard des autres, j'ai pris confiance en moi. J'ai fait de mon handicap un atout, c'est un plus qui m'a obligé à aller vers les autres. Ça n'a pas été facile, bien sûr. J'ai eu des idées noires, cru que ma vie était fichue, mais le handicap m'a obligé à appréhender le monde différemment. »

    Cette philosophie du verre à moitié plein lui donne des ailes. « J'ai vite réalisé que mes autres sens me permettaient de ressentir le monde autrement, souligne-t-il. Je peux faire des tas de choses impossibles pour les valides. » Dans les maisons de ses clients, au lieu de se contenter de « redécorer », il abat des cloisons ou ajoute tapis et tissus pour modifier l'acoustique des pièces, travaille avec des essences de bois plus ou moins parfumées, installe des baies vitrées pour laisser pénétrer la chaleur des rayons du soleil. Résultat, les gens s'y sentent bien. Il compte désormais des clients partout en France et même jusqu'à Hollywood !

    Quant à Aurélie Brihmat, elle a créé l'association Handidream et entrepris l'été dernier, avec son père, son chien et deux de leurs chevaux, un tour de France des centres de rééducation. « Nous avons parcouru 4000 km en 4 mois, visité une vingtaine d'établissements et rencontré plus de 2000 patients, raconte-t-elle. Je tenais à les convaincre que leur handicap n'est pas la fin de tout. Et à les préparer aussi au retour à la vie réelle et à ses difficultés. »

    François-Xavier Vermesse, lui, est désormais référent handicap au sein de son entreprise. Le responsable des ressources humaines motive par exemple ses collaborateurs valides et handicapés à participer chaque année en binômes au raid Free Handi'se Trophy (plus de 600 km d'épreuves à pied, à vélo, en canoë…). Loin des caméras, des paillettes et des tapis rouges, les lignes bougent aussi.

    Du mieux sur le marché de l’emploi