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Le glyphosate mettrait nos forêts à risque

Un hélicoptère lors de l’épandage aérien de glyphosate.

Le reportage de Maxime Corneau.

Photo : Courtoisie/James Steidle

L’utilisation du glyphosate favorise les plantations de conifères, mais détruit tout une flore qui a son rôle à jouer contre les incendies. Des voix s'élèvent en Colombie-Britannique contre son utilisation.

Chaque année, des milliers d’hectares de forêt publique canadienne sont aspergés de glyphosate, qui permet de tuer les feuillus, comme le tremble, et les plantes herbacées. Les conifères en tolèrent quant à eux une certaine dose.

Le recours au glyphosate permet d’avoir des plantations beaucoup plus homogènes, dans lesquelles les conifères n’ont presque plus de concurrence.

Depuis 1990, près de 3,5 millions d’hectares ont été aspergés au Canada, soit près de six fois la superficie de l’Île-du-Prince-Édouard.

« Un concept dépassé »

En 2017, la ville de Williams Lake, dans le nord de la Colombie-Britannique, a dû être évacuée en raison d’un important incendie de forêt.

Deux ans plus tard, la chercheuse Lori Daniels, de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) procède à des inventaires sur les lieux de l’ancien brasier afin de comprendre sa dynamique. 

Reconnue comme l’une des sommités canadiennes des feux de forêt, elle estime ainsi que la province, en permettant l’utilisation de glyphosate, favorise la propagation d’incendies.

Je crois qu’il s’agit d’un concept dépassé, affirme-t-elle. En 2017, la province a autorisé l’épandage de glyphosate sur près de 12 800 hectares de son territoire.

Une femme pose, tout sourire, au milieu de hautes herbes et de marguerites.

Lori Daniels est reconnue comme l’une des sommités canadiennes des feux de forêt.

Photo : Radio-Canada / Maxime Corneau

Mme Daniels explique que les feuillus et les herbacées qui poussent naturellement à la suite d’une coupe forestière jouent un rôle essentiel lors de feux de forêt.

Les feuillus, principalement des trembles dans cette région, vont avoir un effet sur le taux d’humidité et la température du sol, ce qui influence le comportement du feu.

Quand un incendie se propage au sol et qu’il atteint ce type d’environnement, le feu va se déplacer ou brûler beaucoup moins intensément, précise-t-elle.

Augmenter la résilience

Selon Lori Daniels, la province devrait reconsidérer l'utilisation de l’herbicide en foresterie afin de favoriser une plus grande diversité.

Lorsque l’on utilise du glyphosate pour tuer des trembles et de la végétation compétitive, le mot « compétitif » est crucial. Ces plantes sont en compétition avec des conifères que l’on souhaite voir grandir afin d’avoir une industrie forestière forte. Ça veut dire que l’on met seulement une valeur, la valeur financière, devant toutes les autres valeurs.

Une citation de Lori Daniels

La professeure ajoute que les grandes monocultures de conifères sont aussi plus à risque d’être frappées par des insectes et des maladies.

Il est temps que l’on repense et que l’on transforme notre gestion de la forêt, dit-elle. Il faut penser à augmenter la diversité pour augmenter sa résilience. Il faut que notre territoire soit géré pour être mieux préparé face aux incendies et aux ravageurs.

Avec les changements climatiques, ce sont ces perturbations qui vont déterminer l’avenir de notre forêt, ajoute-t-elle.

Des arbres brûlés après le passage d'un feu de forêt.

Une forêt brûlée près de Williams Lake.

Photo : Radio-Canada / Maxime Corneau

« Ça me rend furieux »

Depuis plusieurs années, James Steidle, un ébéniste dans le secteur de Prince-George, au nord de la Colombie-Britannique, milite dans le groupe écologiste Stop The Spray B.C. pour faire cesser l’épandage de glyphosate.

Dans cette région, le glyphosate est utilisé abondamment par l’industrie puisque les trembles reviennent par milliers après les coupes forestières.

M. Steidle explique que l’industrie doit obligatoirement se débarrasser de la majorité des feuillus sur les parterres de coupe afin de répondre aux normes gouvernementales. Cette réglementation exige que, quelques années après la coupe forestière, les peuplements de conifères doivent dominer.

Ça fait mal de voir que l’on fait disparaître certaines espèces de nos forêts.

Une citation de James Steidle

J’aime les trembles, j’ai grandi entouré de forêts de trembles. Ces arbres font partie de nos forêts. Et maintenant, on a une industrie forestière axée sur les conifères et le gouvernement qui disent : ''Nous allons nous débarrasser de ces arbres, ils ne font plus partie de la forêt''. Ça me rend furieux, confie-t-il.

Un homme debout devant des arbres morts.

James Steidle pose devant des feuillus tués à l’aide de glyphosate.

Photo : Radio-Canada / Maxime Corneau

Dans une plantation où du glyphosate a été utilisé il y a quelques années, des milliers de pins atteignent aujourd’hui quelques mètres de haut. Lorsque l’on marche dans cette forêt, on aperçoit les troncs desséchés de trembles et de bouleaux, qui pullulaient avant l'épandage d’herbicide.

James Steidle s’inquiète de voir cette monoculture ravagée par un incendie. Mais il déplore aussi la perte de biodiversité.

Je pense qu’il y a plusieurs choses que la foresterie ne considère pas. Nous regardons la forêt comme une ferme dans laquelle on cultive des carottes, et si ce n’est pas une carotte, on s’en débarrasse. Mais une forêt, je crois que c’est plus compliqué que ça, avance-t-il.

Le glyphosate persiste dans les plantes

La chercheuse Lisa Wood, de l’Université du nord de la Colombie-Britannique (UNBC), s’intéresse pour sa part à la durée de vie du glyphosate dans l’environnement.

Dans la forêt de recherche de l’UNBC, elle a aspergé des plantes d’une faible quantité de glyphosate dans le but de comprendre le comportement de cet herbicide lorsque les plantes survivent.

Ses conclusions ont étonné la communauté scientifique.

Une femme accroupie dans la forêt prend des notes.

Lisa Wood, chercheuse UNBC.

Photo : Radio-Canada / Maxime Corneau

On a des données solides qui démontrent qu’il y a du glyphosate présent dans les plantes pendant au moins un an. Et on regarde présentement quelle est la durée de persistance maximale, explique Mme Wood. La persistance maximale n’a toujours pas été établie.

Il y a des molécules de glyphosate dans ces plantes et on se sait pas jusqu’à quand il y en aura. La population doit prendre conscience du fait que le glyphosate persiste plus longtemps que ce qui avait été dit à l’origine, poursuit-elle.

Des assistants de Lisa Wood s’intéressent aussi aux déformations causées aux plantes survivantes. La chercheuse mentionne que ces mutations physiques pourraient, par exemple, influencer le comportement de certains insectes pollinisateurs. Ces recherches sont toujours en cours.

Une plante déformée après avoir été aspergée de glyphosate.

Une plante déformée après avoir été aspergée de glyphosate.

Photo : Radio-Canada / Maxime Corneau

La toxicité, la mort immédiate des plantes; ces aspects ont été abondamment étudiés, souligne Lisa Wood. Mais les petits détails [...], les détails qu’on ne voit pas du premier coup d’œil, ceux-là nécessitent plus de temps pour que l’on comprenne réellement ce qui se passe.

Des moutons en renfort

Des moutons broutent dans la forêt.

Les moutons mangent la majorité des plantes, sauf les conifères,

Photo : Radio-Canada / Maxime Corneau

Près de Chetwynd, sur les terres de la Première Nation Saulteau, le glyphosate n’est plus le bienvenu. La Première Nation a demandé aux entreprises forestières qui œuvrent sur son territoire de ne plus en utiliser.

À la place, elle propose aux entreprises de louer son troupeau de 400 moutons pour débroussailler sans utiliser d’agent chimique.

C’est le meilleur outil qui ne soit pas chimique pour contrôler la végétation. C’est comme une tondeuse. Ils ne mangent pas de conifères, mais ils mangent tout le reste. Quand ils ont fini, toute la végétation est devenue du fertilisant et la plantation a le champ libre, détaille le berger Dennis Loxton.

Un homme portant la moustache sourit à la caméra. Derrière lui, un troupeau de moutons broute.

Selon le berger Dennis Loxton, le recours aux moutons est « le meilleur outil qui n'est pas chimique pour contrôler la végétation ».

Photo : Radio-Canada / Maxime Corneau

L’utilisation de moutons représente un nouveau modèle d’affaire pour la communauté Saulteau. En plus d’être une alternative au glyphosate, le troupeau devient aussi une source de nourriture pour la Première Nation.

Déclin des orignaux

Depuis quelques années, la Première Nation Saulteau constate une baisse dramatique de la population d’orignaux, rapporte Julian Napoleon, biologiste pour la communauté.

Selon lui, l’utilisation du glyphosate est en partie responsable de cette baisse de population.

Quand ils utilisent le glyphosate, ils éliminent les pousses de plantes qui reviennent habituellement sur une coupe forestière et qui constituent normalement l’alimentation des cervidés. Ça diminue énormément la biodiversité. Ces coupes sont massives et maintenant les animaux sont obligés de vivre dans de petites zones de forêt mature, explique-t-il.

Mais l’opposition au glyphosate de la Première Nation n'est pas due qu'à la raréfaction des orignaux. Le biologiste s’inquiète aussi de la persistance du glyphosate dans les petits fruits cueillis par la communauté.

Les membres de la communauté cueillent des petits fruits sur les coupes forestières. Avec la persistance de l’herbicide dans les plantes, il est présent dans ces petits fruits, note Julian Napoleon.

Il faut maintenant s'inquiéter que notre alimentation soit potentiellement cancérogène? À mon avis, il s’agit d’une violation de nos droits fondamentaux.

Une citation de Julian Napoleon

Le ministère des Forêts de la Colombie-Britannique a refusé de nous accorder une entrevue. Un porte-parole nous a toutefois mentionné que l’utilisation du glyphosate en milieu forestier est encadrée par des règlements et que la pratique est en baisse.

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