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RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Manifestation à Prague : "Une forte attente de transparence politique"

Coïncidant avec les 30 ans de la "révolution de velours", une vaste mobilisation civique a réuni samedi à Prague plus de 200 000 personnes contre la corruption du gouvernement. Analyse de ce mouvement civique avec le chercheur Jacques Rupnik.

Mobilisation contre la corruption du gouvernement à Prague, le 16 novembre 2019.
Mobilisation contre la corruption du gouvernement à Prague, le 16 novembre 2019. David W. Cerny, Reuters
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Le 17 novembre 1989, une semaine après la chute du mur de Berlin, une manifestation étudiante était violemment réprimée à Prague. Choqués par cette démonstration de force, les Tchécoslovaques allumaient des bougies en solidarité avec les étudiants. C'était la "révolution de velours", qui a précipité la chute du régime communiste tchécoslovaque.

Trois décennies plus tard, l'anniversaire de cet événement prend une résonance particulière. À Prague, une foule de citoyens s'est de nouveau rassemblée, samedi 16 novembre, pour dénoncer la corruption de la classe politique et exiger la démission du Premier ministre, Andrej Babis.

Jacques Rupnik, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) à Sciences Po Paris, ancien conseiller de l'ancien président de la République tchèque Vaclav Havel au début des années 1990, auteur d'un ouvrage intitulé "Géopolitique de la démocratisation" (Presses de Sciences Po, 2014), se fait l'écho des évènements à Prague et analyse les retombées politiques de ce mouvement de contestation.

France 24 : Le parfum de la révolution de 1989 est-il de nouveau dans l'air du temps à Prague ?

Jacques Rupnik : Une grande manifestation se déroule, ce 16 novembre, à l'endroit même où, trente ans auparavant, débutait la "révolution de velours". Les organisateurs que j'ai rencontrés [la semaine passée, NDLR] attend[aient] énormément de monde [samedi après-midi, la police a comptabilisé plus de 200 000 participants, NDLR]. Bien sûr, il y a des commémorations organisées spécifiquement pour se souvenir des évènements de 1989 – j'étais ainsi invité pour une conférence sur cet anniversaire. Mais tout le monde est surtout dans l'expectative de cette mobilisation civique appelée "Des millions de moments pour la démocratie". La manifestation est organisée par des jeunes qui n'étaient pas nés il y a 30 ans !

Qui sont précisément les organisateurs ? Quelle est leur revendication ?

Ce sont des étudiants, l'un des principaux porte-parole est étudiant en théologie. Ce ne sont pas des radicaux, ils prêchent la non-violence. Ils sont très fermes sur des principes d'éthique en politique et d'État de droit. Déjà, en juin dernier, une grande manifestation avait déjà été organisée, pour réclamer que toute la lumière soit faite sur les soupçons de conflit d'intérêts qui entachent le gouvernement d'Andrej Babis.

Le conflit d'intérêts porte sur l'influence que peut avoir le Premier ministre sur la répartition des fonds européens et l'usage de ces fonds par une de ses anciennes entreprises, Agrofert. La Commission européenne enquête sur ces soupçons de corruption. De son côté, la justice tchèque n'a pas abouti à une condamnation.

Ce mouvement considère que 30 ans après 1989, il y a toujours une attente, pas seulement de démocratie, mais d'un État de droit, de transparence. On se retrouve, 30 ans après la fin du communisme, avec un Premier ministre qui est dans le collimateur de la justice et un président qui prend des libertés avec la Constitution.

Certes, on n'est pas dans le cas hongrois ou polonais, où l'État de droit est remis en cause. Ici, en République tchèque, la justice est indépendante, de même que la Cour constitutionnelle. Les manifestants tchèques veulent s'assurer qu'aucune pression politique ne soit exercée sur le fonctionnement indépendant de la justice.

À quel mouvement politique peut se rattacher ce mouvement ?

La mobilisation "Des millions de moments pour la démocratie" est étudiante à l'origine. Mais déjà, au mois de juin dernier, une population de tous les âges et toutes les professions confondues était descendue dans la rue.C'est un mouvement plus large qui exprime une frustration vis-à-vis de la classe politique, vis-à-vis d'un gouvernement qui fonctionne avec l'appui tacite des communistes ou du parti national-populiste xénophobe SPO.

La scène politique est éclatée. Les deux grands partis qui avaient structuré la politique tchèque dans les années 1990 sont affaiblis : ODS, le parti de droite, plafonne à 13-14 %. Le parti social-démocrate, qui était aux commandes du précédent gouvernement et sert maintenant de force d'appoint à Andrej Babis, est en perte de vitesse.

Or le vrai problème de ce grand mouvement de contestation est qu'il n'a pas de programme ; ce n'est pas un parti politique. C'est un mouvement d'indignation civique et d'affirmation de valeurs démocratiques. Mais la question, au lendemain du 16 novembre, est de savoir quels sont les relais politiques à cette mobilisation. Comment traduire politiquement un mouvement de contestation civique ? C'est une interrogation à laquelle personne n'a de réponse.

Une manifestante à Prague brandit le portrait du premier président tchèque, Vaclav Havel.
Une manifestante à Prague brandit le portrait du premier président tchèque, Vaclav Havel. David W. Cerny / Reuters

Est-ce qu'Andrej Babis pourrait être amené à démissionner ?

Certains exigent qu'il démissionne jusqu'à ce que l'affaire soit tirée au clair, et que son gouvernement reste. Mais le Premier ministre ne démissionnera pas, il l'a dit à plusieurs reprises. Il bénéficie toujours du soutien d'environ un tiers des électeurs. Les autres partis politiques arrivent loin derrière, ils ne font pas la moitié du score d'Andrej Babis.

Le seul parti qui pourrait être en phase avec ce mouvement est le Parti pirate. C'est un parti récent, qui a participé aux dernières élections, il est désormais représenté au Parlement, le maire de Prague en est issu. La mobilisation contre la corruption rejoint la ligne de ce parti aux militants plutôt jeunes, urbains, éduqués, libéraux, et modérément pro-Européens. C'est le seul relais politique que je vois, mais il est faible. Il a représenté entre 13 ou 14 % des scrutins aux dernières élections.

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