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CHINE

Dans le port de Shanghai, le GPS ne tourne plus rond

Des milliers de navires dans le port de Shanghai ont été victimes d’une opération de manipulation de GPS, le système mondial de géolocalisation, révèle une enquête du MIT Technology Review. Il pourrait s’agir d’une nouvelle arme technologique.

Une vue du port de Shanghai en 2010, année de son accession au rang de plus important port marchand du monde.
Une vue du port de Shanghai en 2010, année de son accession au rang de plus important port marchand du monde. Wbayer, Flickr - Common Creative
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Un mystère technologique plane au-dessus du port de Shanghai. Depuis près d’un an, le GPS de navires qui y accostent est pris de folie, révèle le MIT Technology Review, magazine de la célèbre université technologique américaine qui publie, vendredi 15 novembre, une longue enquête sur les déboires du système de géolocalisation mondial dans le plus important port commercial du monde.

En juillet 2018, un navire américain transmet aux autorités maritimes américaines des anomalies dans le fonctionnement de son GPS en arrivant dans le port de Shanghai. Le signal d’un autre bateau, pourtant à quai, apparaissait et disparaissait de son panneau de contrôle à des endroits où il ne se trouvait pas et le capitaine du transporteur américain n’arrivait pas à obtenir sa propre géolocalisation.

Une arme qui s’est démocratisée

Il a d’abord pensé à un brouillage du signal GPS, une technique qui consiste à parasiter les informations transmises par les satellites au récepteur. Mais c’est une réalité bien plus préoccupante que les autorités américaines ont découverte : depuis plusieurs mois, quelqu’un trompait le système GPS, et des milliers de navires aux abords de Shanghai apparaissaient à des endroits du port où ils n’étaient pas. Le jour où le navire américain leur avait signalé son problème, environ 300 autres bateaux étaient dans la même situation, constate le MIT Technology Review qui a pu consulter toutes les données de géolocalisation.

Il apparaît clairement que le port de Shanghai est le théâtre d’une vaste opération visant à leurrer le système de GPS. Jusqu’à présent, “personne n’a réussi à établir qui en est à l’origine et pourquoi les bateaux arrivant à Shanghai en font les frais”, note le MIT Technology Review. Mais les conséquences pourraient être mortelles car un accident en mer sur deux est dû à des erreurs de navigation liées à des données erronées ou manquantes, d’après l’Agence européenne de sécurité maritime.

“Le leurrage de GPS est bien plus subtil que le brouillage qui revient, pour prendre une image, à ‘crier’ plus fort que les satellites qui se trouvent à plus de 20 000 km d’altitude pour empêcher les signaux de parvenir au récepteur”, explique Jean-Michel Friedt, enseignant-chercheur à l’Institut Femto-st de l’université de Franche-Comté, qui a travaillé sur les techniques de leurrage de GPS. Leurrer le GPS est l’équivalent d’une usurpation d’identité du système de géolocalisation : “il faut réussir à fabriquer un signal qui imite toutes les données reçues par les satellites”. Le but le plus évident est de pouvoir envoyer un bateau, un avion ou encore un drone à un endroit différent de sa destination d’origine.

Historiquement, c’est une arme utilisée essentiellement par les États. La Russie, notamment, est célèbre pour y avoir eu recours dans les années 2010, en Crimée, en Syrie ou autour du port de Mourmansk (mer de Barents). “L’une des utilisations consistait à faire croire à des drones qu’ils survolaient un aéroport, car ces engins sont programmés pour atterrir dans ces cas-là”, raconte le chercheur.

Pendant longtemps, la technologie nécessaire pour réaliser ce type d’attaques était hors d’atteinte des acteurs privés. Mais à partir du début des années 2010, son usage s’est démocratisé. “Aujourd’hui avec 100 euros de matériel, il est possible de leurrer des récepteurs sur un rayon d’un kilomètre”, note Jean-Michel Friedt.

Rats de laboratoire ou marchands de sable ?

Les moyens déployés à Shanghai, dont le port s’étend sur 3 619 km², nécessite un budget nettement plus conséquent, même si les interférences semblent localisées sur une zone plus réduite, vers le fleuve de Huangpu, qui débouche sur le port. L’ampleur de l’opération suggère qu’elle serait l’œuvre des autorités chinoises.

Les soupçons se portent d’autant plus sur Pékin que les techniques utilisées “ne ressemblent à rien de ce qui existe, et on pourrait avoir affaire à une nouvelle arme”, extrapole le MIT Technology Review. Le leurrage GPS consiste à envoyer un faux signal à tous les récepteurs - bateaux, voiture, smartphones - concernés qui les dirigent vers un même lieu. Mais à Shanghai, les navires semblent tous localisés à des endroits différents, ce qui laisse les experts perplexes. Lorsque Todd Humphreys, un éminent spécialiste américain des questions de sécurité du GPS, a présenté les données collectées par le MIT lors d’une convention sur la navigation par satellite en septembre 2019 : “les gens en sont restés sans voix”, raconte-t-il au magazine.

Dans cette hypothèse, les navires dans le port de Shanghai, seraient autant de rats de laboratoire. Mais il peut sembler risqué d’utiliser le plus grand port marchand du monde pour faire de telles expérimentations, sachant que tout accident peut entraîner des répercussions économiques importantes.

Ces manipulations de GPS pourraient aussi être l’œuvre de… marchands de sable, note le MIT Technology Review. Le port de Shanghai voit, en effet, la police chinoise livrer une véritable chasse aux navires de contrebande du très précieux sable du Yang-Tsé-Kiang. Connu pour ses parfaites qualités pour le ciment, il a été surexploité. Face aux risques écologiques et sécuritaire, les autorités ont fini par en interdire l’exploitation en 2000, donnant naissance à une lucrative filière de trafic.

Cette opération dans les eaux chinoises, quel qu’en soit l’auteur, préfigure l’impact que le leurrage du GPS pourrait avoir à l’avenir. Et les possibilités ne se limitent pas à tromper des bateaux sur leur localisation, souligne Jean-Michel Friedt. Le GPS sert aussi de référence en temps réel, par exemple, pour dater les opérations en Bourse effectuées par des algorithmes, c’est-à-dire le fameux “trading à haute fréquence”. Les satellites embarquent, en effet, des horloges atomiques qui permettent de savoir très précisément quand un signal est émis. Leurrer les autorités en manipulant le signal GPS pour antidater une opération boursière pourrait rapporter très gros.

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