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Face à la contestation, l’Iran bloque l’accès à Internet

En limitant les subventions sur l’essence, les autorités ont déclenché une mobilisation massive, qui semble réunir toutes les classes sociales et les régions depuis ce week-end.

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Publié le 19 novembre 2019 à 10h58, modifié le 19 novembre 2020 à 11h02

Temps de Lecture 4 min.

Des Iraniens protestent contre l’augmentation du prix de l’essence à Téhéran, le 16 novembre.

Deux ans après les dernières révoltes populaires contre la cherté de la vie qui avaient secoué l’Iran des petites villes à la fin de 2017, dix ans après le « mouvement vert » de 2009, porté par les classes moyennes libérales, la contestation est de retour dans les rues iraniennes.

En limitant les subventions sur l’essence, historiquement maintenue à un prix modique, les autorités de la République islamique ont déclenché une contestation massive qui semble réunir toutes les classes sociales et les régions du pays depuis samedi 16 novembre. Déjà, les images de mouvements de foule, de slogans, d’occupation enthousiaste des rues par les protestataires commençaient à fleurir sur les écrans, au diapason des mouvements de contestation de Beyrouth, de Bagdad, et d’ailleurs. Depuis, silence et opacité.

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Le gouvernement iranien est parvenu à bloquer entièrement Internet ; une mesure inédite par son ampleur et sa brutalité. Il est désormais pratiquement impossible d’obtenir des informations sur ce qui se passe dans le pays, l’intensité du mouvement ou d’évaluer l’ampleur de la répression. Le gouvernement iranien a fait savoir mardi que l’Etat mettrait fin à sa coupure d’Internet uniquement lorsqu’il serait certain que le réseau de ne sera pas « utilisé à mauvais escient », c’est-à-dire pour de nouvelles émeutes.

Contourner la censure

Le pays et ses 80 millions d’habitants, engagés dans une nouvelle séquence de révolte dont on ne connaît pour l’instant que le bilan côté forces de l’ordre (quatre morts), sont donc coupés du monde. Trois agents des forces de l’ordre iraniennes ont été tués à l’arme blanche par des « émeutiers » près de Téhéran, ont fait savoir les gardiens de la révolution dans un communiqué, mardi.

Seules des déclarations officielles menaçantes, de très rares informations obtenues de manière indépendante et quelques images confuses montrant des scènes de violence filtrent au compte-gouttes. Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a dénoncé mardi en début d’après-midi l’usage de la force, y compris de tirs à balles réelles, contre les manifestants, faisant part de son inquiétude sur des informations parlant d’un nombre « important » de morts.

Après des ralentissements importants qui se sont manifestés dès vendredi soir, les Iraniens ont perdu accès à Internet et aux données mobiles dans la soirée de samedi. Les opérateurs de téléphonie, totalement dépendants des pouvoirs publics, les ont arrêtés simultanément. L’accès à des applications et aux messageries populaires, comme WhatsApp et Instagram, a été bloqué. D’après l’ONG spécialisée dans la cybersécurité NetBlocks, il aura fallu vingt-quatre heures aux autorités iraniennes pour bloquer le trafic et le limiter à environ 5 % du niveau de connexions habituel. Bien plus importante qu’un simple blocage de certains sites ou de certaines plates-formes, la riposte du régime iranien est d’une ampleur sans précédent.

« Depuis qu’Internet existe en Iran, nous n’avons jamais vu une attaque pareille contre ses usagers par les autorités »

« J’ai eu beaucoup de mal à me connecter et je ne sais pas combien de temps je pourrai rester en ligne », explique un habitant de Téhéran, qui souhaite rester anonyme, sur une messagerie cryptée. Il fait partie des quelques utilisateurs avisés qui trouvent de temps en temps un moyen de se connecter grâce à des serveurs, de plus en plus difficiles d’accès, permettant de contourner la censure. Les Iraniens n’ont plus le moyen de savoir ce qu’il se passe dans leur propre pays, ce qui fait craindre le pire aux défenseurs des droits de l’homme : « Avec la coupure d’Internet, le risque d’une répression s’accentue », redoute Reza Moini, le responsable du bureau Iran de Reporters sans frontières (RSF).

L’accès à certaines applications plus ardu

« Depuis qu’Internet existe en Iran nous n’avons jamais vu une attaque pareille contre ses usagers par les autorités », s’alarme Amir Rashidi, chercheur spécialiste de la sécurité informatique et des droits numériques au Centre pour les droits humains en Iran, une organisation sise à New York. « En 2009, lors du grand mouvement de protestation auquel j’ai personnellement participé, les autorités n’avaient pas les capacités d’ordonner une telle coupure. A cette époque, elles ont compris que pour contrôler la population elles devaient contrôler Internet », poursuit-il. La République islamique s’y est employée. Et elle a réussi. L’efficacité de la réaction du régime contre les usagers du réseau, sa rapidité et sa violence sont le résultat d’une préparation engagée de longue date.

En juin, le régime iranien avait déjà annoncé avoir achevé « à 80 % » son « Internet national », un réseau indépendant du réseau mondial, centralisé et sous le contrôle des autorités. « La République islamique a retenu la leçon de 2009 puis de 2017 et 2018, et de l’utilisation des réseaux sociaux par les mouvements de protestation. Leur capacité de réaction rapide est indissociable de la construction du réseau d’informations national », explique Mahsa Alimardani, doctorante à l’Oxford Internet Institute et membre de l’organisation de défense des droits de l’homme Article19.

Cette logique de fragmentation profonde et de contrôle du réseau est également suivie par d’autres Etats autoritaires comme la Russie ou la Chine. Paradoxalement, les autorités ont été aidées dans leur prise de contrôle par les sanctions américaines qui entraînent une chasse aux usagers iraniens de plates-formes américaines et les forcent à migrer vers l’Internet national, sous contrôle des autorités.

Pour Mahsa Alimardani, le risque serait désormais de voir ce nouvel épisode laisser des traces profondes avec une censure plus difficile à contourner et l’accès à certaines applications plus ardu : « Les autorités ont toujours profité des moments de contestation pour limiter l’accès à Internet. Même si les manifestations s’arrêtaient demain et que le réseau était rétabli, il est probable que ce ne serait plus le même Internet qu’auparavant. »

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