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Education : les clefs du miracle asiatique

Les grandes nations d’Asie se sont hissées en tête des classements mondiaux sur le niveau des élèves. Le fruit d’une méthode fondée sur le culte de la performance. Reportage en Corée.

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En Asie de l’Est, comme ici en Chine, l’éducation est une véritable religion et le passage décisif pour définir sa place future dans une société très normée.

Par Yann Rousseau

Publié le 6 avr. 2014 à 15:16

Chaque année, le jeudi de la deuxième semaine de novembre, la Corée du Sud ferme entre 13 h 05 et 13 h 45. Les avions n’ont plus l’autorisation de décoller ou d’atterrir. Le trafic automobile est interrompu sur plusieurs axes. Et les policiers coupent leurs sirènes. Quarante minutes sacrées. Le moment du test de compréhension orale d’anglais des 650.000 lycéens du pays, qui jouent leur destin sur cette seule journée d’examen d’entrée à l’université. Pendant huit heures, les jeunes âgés de 18 ans vont enchaîner les épreuves de maths, de coréen ou encore de sciences sociales du « suneung », dont les résultats détermineront leurs chances d’entrer dans les plus prestigieux établissements du pays, et à l’issue desquelles les « meilleurs » seront embauchés dans une administration réputée, une grande banque ou l’un des puissants conglomérats, comme Hyundai ou Samsung. Eux recrutent essentiellement des jeunes diplômés pour les former dans leurs propres moules. « La filière ou la formation n’ont aucune importance. Il suffit juste de sortir de l’une des universités les plus cotées », explique Minju, une étudiante en langues étrangères dans l’une des trois institutions du révéré club des « SKY », un acronyme regroupant les initiales de Seoul national university, Korea university et de Yonsei university.

Pour les autres, qui auront obtenu une note moyenne ce fameux jeudi, l’ascension sociale sera beaucoup plus difficile. L’enjeu est tel que, pour éviter toute contestation ou injustice, les tests sont composés de QCM et l’épreuve est la même pour tous les jeunes de la nation. On mobilise la police pour être certain qu’aucun enfant ne sera pénalisé par un retard dû à un embouteillage. La fréquence de circulation des trains et des métros est modifiée. Les heures d’ouverture des marchés financiers et des grandes entreprises sont changées pour éviter la congestion dans les rues en début de matinée. De toute façon, beaucoup de mères, qui seules encadrent l’éducation de leur progéniture, ont pris un congé. Après le début des épreuves à 8 h 40, elles se retrouvent au temple ou à l’église pour prier. Des messes spéciales « suneung » sont organisées au cours des cent jours qui précédent les épreuves fatidiques.

En Corée du Sud, comme dans les autres nations d’Asie de l’Est telles que la Chine, le Japon ou Taiwan, l’éducation est une religion. « Ils n’ont pas cette approche romantique ou rousseauiste de l’éducation que nous partageons en Occident, où l’école doit surtout aider l’enfant à s’épanouir, à se créer une identité et à gagner son indépendance. Dans ce monde toujours très imprégné de confucianisme, les enfants restent subordonnés à l’autorité de leurs parents et l’école est le passage obligatoire et décisif pour définir sa place dans une société normée », explique Tom Loveless, un spécialiste des enjeux éducatifs à la Brookings Institution. « Et ces systèmes de tests, qui excluent toute subjectivité des correcteurs, permettent à chaque individu, quelle que soit son origine sociale, de se promouvoir, d’accéder à l’élite », détaille Koji Kato, professeur d’éducation à la Sophia University de Tokyo. « En théorie, tout le monde à sa chance ».

Bachotage et cours privés

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Mais, pour « aider » cette chance, l’entraînement commence tôt. Ce lundi de la fin mars, dans un immeuble anonyme de Kanjseo-gu, en banlieue ouest de Séoul, le fils de Roh Mi-sun rentrera directement à la maison après sa sortie de l’école publique à 14 heures. Pas de dessin animé, ni de partie d’« Angry Birds » sur l’iPad. Le garçon de six ans aura d’abord un cours particulier de flûte puis un professeur viendra l’entraîner à la corde à sauter pendant quarante minutes. Son grand frère de neuf ans qui est parti, lui, dans un cours de maths le rejoindra pour une leçon particulière de Wise Technic, une forme de Meccano permettant d’appréhender les lois de la mécanique. Leur mère, qui ne travaille pas, les aidera ensuite à progresser dans leur manuel d’anglais. « Je n’ai pas voulu les mettre en plus dans un cours d’anglais privé. C’est trop. Et je veux un enseignement ­ludique. Les écoles privées n’ont pas cette approche. Ce n’est qu’un intense bachotage », explique la maman, dont la « permissivité » tranche avec le rigorisme prôné par la plupart des mères du pays. Sur l’emploi du temps chargé de ses petits, la case du samedi reste blanche. Le week-end, ils sont en famille quand la plupart de leurs camarades vont aller étudier, toute la journée, dans les « hagwon » du quartier.

Ces instituts privés qui prennent en charge 80 % des enfants coréens, de la maternelle à l’université, sont présents à tous les coins de rue de toutes les villes et se disputent un marché annuel évalué par le ministère sud-coréen de l’Education à 19.000 milliards de wons, soit 13 milliards d’euros. Dans le pays, les dépenses d’éducation par foyer sont désormais les plus élevées de toute l’OCDE. A l’échelle de l’Asie, c’est « une éducation de l’ombre » qui explose, s’inquiétait récemment dans un rapport la Banque asiatique de développement. L’institution estime que les ménages du Japon avaient, par exemple, dépensé en 2010 12 milliards de dollars en « juku », les cours privés. Dans la seule cité de Hong Kong, ce volume atteignait 255 millions de dollars. D’autres records sont battus à Singapour, où les mères d’origine chinoise, baptisées «Tiger Mom», cultivent une obsession des performances académiques.

Si elle n’abuse pas des « hagwon », la famille Roh avoue consacrer près de 1 million de wons (800 euros) par mois aux cours supplémentaires de ses garçons, soit près du tiers du salaire du mari, ingénieur dans une filiale du géant LG. « Ça peut-être beaucoup plus dans les “hagwon” les plus prisés », explique Imsun Jeong, une enseignante ­privée d’anglais. Du début de l’après-midi jusqu’au soir, des mamans transportent leur rejeton en voiture d’un institut réputé pour ses performances en anglais à une autre école connue pour ses résultats en maths. Le ballet de ces « mamans hélicoptères », comme on les nomme en Corée du Sud, s’arrête à 22 heures. Le gouvernement a, en effet, dû imposer en 2009 un couvre-feu pour éviter que les enfants de primaire n’étudient jusqu’à minuit. Des parents et des écoles ont saisi la Cour constitutionnelle criant à la violation des droits à l’éducation. Ils ont perdu.

Pour justifier la pression imposée à leurs enfants, les ambitieux parents pointent l’insolente réussite des nations asiatiques. Les statistiques ne manquent pas pour appuyer leur discours. Investissant massivement dans son éducation, la Corée du Sud a ainsi enregistré l’une des plus spectaculaires croissances de la planète. Au milieu des années 1950, son PIB par habitant était inférieur à 100 dollars et son espérance de vie n’était que de 54 ans. Une large part de la population était analphabète. Deux générations plus tard, ce PIB par tête est supérieur à 32.000 dollars et, en 2012, ses habitants vivaient en moyenne jusqu’à 79 ans. Désormais, 64 % de la classe d’âge des 25-34 ans dispose d’un diplôme d’université. Dans l’OCDE, ce taux n’est, en moyenne, que de 39 %.

Tous les concours internationaux mettent en lumière « l’excellence » des pays d’Asie, qui ont totalement intégré la globalisation et comprennent que leurs enfants sont entrés dans une compétition non seulement avec leurs voisins mais aussi avec le reste du monde. Aux derniers tests Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), organisés par l’OCDE dans 65 pays, les élèves de Corée du Sud se sont classés au 5e rang mondial derrière Shanghai – où le niveau d’éducation est radicalement différent de celui de la Chine dans son ensemble –, les très riches cités de Singapour et Hong Kong, et Taiwan. La France était 25e. Les Etats-Unis, 36e.

Cette performance asiatique s’imprime désormais dans toutes les grandes universités de la planète. Aux Etats-Unis, les immigrés d’origine asiatique, issus souvent des familles coréennes ou chinoises, ne représentent que 5,6 % de la population mais occupent déjà de 12 à 18 % des sièges d’amphi des huit universités de la Ivy League. Et leur représentation est, selon les sociologues, probablement contenue par des quotas inavoués. Dans les meilleures écoles publiques de New York ou de San Francisco, de 40 à 70 % des élèves sont maintenant asiatiques.

Un débat naissant

Pourtant en Occident, ces résultats ne font pas débat. Pour se rassurer, les experts caricaturent le mal-être des élèves asiatiques, leur obsession du « par cœur » et on rappelle, à juste titre, le taux de suicide record chez les jeunes sud-coréens et japonais âgés de 15 à 24 ans. « La pression sur ces enfants est permanente. Le rapport aux parents est faussé », reconnaît Roh Mi-sun. Tous les soirs, vers 18 heures, elle voit des écoliers de primaire dîner seuls dans un petit self du quartier entre deux cours au « hagwon ». « Leur mère passe une fois par mois pour payer la facture », raconte-t-elle. « Le dimanche, s’ils ont une heure de libre, on voit ces mômes dans le parc au pied du toboggan et des balançoires. Mais, ils ne savent pas quoi faire. Il n’y a pas d’adulte pour les cornaquer », ajoute la maman. Aussi dépitée par cette pression de la compétition, Imsun Jeong, la prof d’anglais, a quitté son « hagwon » il y a deux ans pour monter sa propre petite structure. Elle loue une petite salle pour donner des cours aux enfants de son quartier. « J’ai beaucoup moins d’élèves à la fois et je peux personnaliser mon enseignement. C’est un modèle qui plaît de plus en plus aux parents qui ont eux-mêmes souffert du stress des “hagwon”. On sent un début de débat dans le pays », indique-t-elle. « Dans les entreprises aussi, on commence à avoir un discours louant plus la diversité et la capacité à penser autrement. C’est essentiel pour favoriser l’innovation », estime Koji Kato, à Tokyo.

Des pédagogues veulent croire qu’une troisième voie est possible entre le culte de la performance asiatique et l’objectif d’épanouissement occidental. L’Australie voisine se montre particulièrement curieuse. Des missions d’étude ont été envoyées dans les grandes capitales d’Asie de l’Est. Le Grattan Institute, un think tank de Melbourne, a formulé plusieurs propositions. Il évoque des classes un peu plus chargées mais libérant du temps au professeur pour mieux préparer les cours, ainsi qu’un système de mentorat des enseignants. D’autres chercheurs proposent d’initier les enfants d’un très jeune âge à une langue étrangère ou de corser un peu les enseignements en maternelle. « Nous devons réagir vite », avait prévenu en 2012 Julia Gillard, alors Premier ministre d’Australie. « Sinon nous allons perdre la course de l’éducation. »

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