ARTE - MARDI 19 NOVEMBRE
À 20 H 40 - DOCUMENTAIRE
Nous sommes en 2014, dans le nord-ouest de la Syrie, près de la ville d’Idlib. Abou Oussama, combattant du Front Al-Nosra, a huit fils. Les deux aînés, Oussama et Ayman, respectivement 13 ans et 12 ans, sont prénommés « en hommage » aux chefs d’Al-Qaida, Ben Laden et Al-Zawahiri. « J’ai tellement d’amour en moi pour ces personnes, explique leur père, tout sourire, que s’il était distribué sur la planète, on l’appellerait la planète de l’amour. » En se présentant comme un journaliste adepte de sa cause, le réalisateur a réussi l’exploit de filmer des mois durant l’intimité de cette famille pour tenter de comprendre « comment la haine et la violence se transmettent de père en fils ».
Les séquences glaçantes se succèdent alors. Pendant que le père arpente les alentours pour désamorcer des mines ou monter au front, les enfants jouent, pleurent, rient. Mais l’effroi surgit de l’omniprésence de la violence, de la cruauté et de la mort, au sein d’échanges impavides et parfois tendres. « Je dois fouetter ton fils avec un câble électrique ? Qu’est-ce que tu en penses ? », s’amuse l’oncle d’un des enfants, âgé de 2 ans, qui se promène près de son père silencieux. Persuadé de la justesse de son combat, celui-ci est prêt à mourir et à sacrifier ses propres enfants dans la guerre qui préfigure selon lui l’Apocalypse et l’avènement du califat.
Une emprise quotidienne
Sous nos yeux se déroule donc l’absurde et intolérable chronique d’une enfance volée. Comme cette scène où Abou Oussama commence à battre son aîné en lui reprochant d’avoir frappé plus petit que lui ; ou celle où les enfants recueillent un oiseau pour le décapiter ; lorsqu’ils s’amusent à jeter des cailloux sur des fillettes ou encore rient de faire exploser une bombe artisanale qu’ils ont eux-mêmes fabriquée à l’aide d’une bouteille en plastique. Ils ne vont plus à l’école. Livrés à eux-mêmes, ils jouent à la guerre en attendant de pouvoir aller au camp d’entraînement au djihad et de devenir des soldats du califat.
Les femmes sont inexistantes à l’image. « Va dire à ta mère de se taire avant que je lui démolisse cette maison sur la tête » , ordonne le père à Oussama alors qu’il rentre blessé d’une opération. « C’est le patriarcat, avec sa glorification de la force et de la suprématie masculine, qui engendre et nourrit la guerre » , explique le réalisateur. « Si tu étais un homme comme ton père, tu lui aurais mis une bonne raclée », lance un camarade de jeu à Oussama lorsqu’il doit s’avouer vaincu par plus faible que lui à la bagarre. L’emprise est quotidienne : le père n’hésite pas à exposer ses enfants sur un terrain miné, en fredonnant des chants guerriers, en encourageant son plus jeune fils à attaquer une fillette qui ose sortir sans voile.
Au péril de sa vie, dont il a effacé toutes les traces en ligne avant de tourner, Talal Derki a suivi pendant plus de deux ans cette famille djihadiste pour livrer ces images rarissimes sur la transmission de l’idéologie islamiste. « Mon père me conseillait de relater mes cauchemars par écrit pour qu’ils ne reviennent plus », explique l’auteur au début du film. Le film a remporté le Grand Prix du jury dans la catégorie Documentaires internationaux au festival de Sundance ainsi que le Prix du cinéma allemand 2019.
Djihadistes de père en fils, documentaire de Talal Derki (All., 2018, 90 min).
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