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En revendiquant la laïcité, les rebelles du Kordofan du Sud défient les islamistes du Soudan

Khartoum a accepté de reporter au 10 décembre un nouveau cycle de négociations de paix avec les principaux groupes rebelles prévu cette semaine à Djouba. Au cœur des blocages : la question de la religion
Le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord, actif dans le Kordofan du Sud, demande depuis longtemps un régime laïc ou l’autodétermination, dans le sud chrétien (AFP)
Par Mohammed Amin à KHARTOUM, Soudan

Un groupe armé soudanais qui mène une insurrection meurtrière depuis plusieurs années a appelé le Conseil souverain nouvellement créé dans le pays à renoncer à l’islamisme et à adopter un régime laïc.

Aljak Mahmoud, porte-parole du Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (MPLS-N, actif dans le Kordofan du Sud), explique à Middle East Eye que le gouvernement de transition devait opérer des changements substantiels à la Constitution du pays, sinon il risquait d’être confronté à des revendications sécessionnistes dans le sud, à majorité chrétienne.

Le MPLS-N, qui combat le gouvernement soudanais depuis 2011, demande depuis longtemps un régime laïc ou l’autodétermination dans la région à prédominance chrétienne du Kordofan du Sud, frontalière du Soudan du Sud.

Depuis le mois dernier, le groupe participe aux discussions de paix à Djouba, la capitale du Soudan du Sud, lesquelles visent à mettre fin au conflit qui dure depuis des années.

Sous le régime militaire de Béchir, le Soudan prétendait avoir des lois puisées dans la charia, la loi islamique

Une troisième série de négociations devait avoir lieu le 21 novembre mais a été reportée en décembre.

« Nous avons convenu d’un calendrier de négociations mais [nous sommes] bloqués sur le problème de la religion et de la laïcité », ajoute Aljak Mahmoud.

Le MPLS-N a fréquemment affronté l’armée soudanaise depuis que le Soudan du Sud a obtenu son indépendance du Soudan en 2011.

Le Soudan du Sud est lui-même englué dans une guerre civile au cours de laquelle des centaines de milliers de personnes seraient mortes.

Cette nouvelle initiative de paix survient après le renversement du président Omar el-Béchir, évincé du pouvoir par l’armée soudanaise en avril, à la suite de plusieurs mois de manifestations de masse contre ses trente années au pouvoir.

Sous le régime militaire de Béchir, le Soudan prétendait avoir des lois puisées dans la charia, la loi islamique.

La flagellation était une sanction courante pour des crimes tels que la consommation d’alcool, tandis que des amputations étaient pratiquées sur les voleurs et braqueurs. 

Même si les lapidations étaient rares, en 2012, une jeune fille-mère a été condamnée à mort par lapidation pour adultère, suscitant la condamnation des groupes et activistes des droits de l’homme.

Une Constitution « 100 % islamique »

Après les soulèvements qui ont secoué la région début 2011, renversant Hosni Moubarak en Égypte, Béchir a cimenté l’idéologie islamiste au sein de son régime militaire, malgré l’opposition dans le sud du pays.

L’ancien président avait été jusqu’à promettre que la Constitution du Soudan serait « 100 % islamique », dans un effort pour apaiser les groupes les plus radicaux du pays.

Mais depuis son éviction plus tôt cette année, un Conseil souverain, composé d’onze membres issus de l’armée et d’une coalition de forces d’opposition, établi pour une période de transition de trois ans, a réfréné le rôle de l’islam dans la vie quotidienne.

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Mohamed Alfaki Suleiman, 40 ans, journaliste et membre du Conseil souverain, relève que les autorités avaient bridé le rôle de l’islam dans la vie politique et prévoyaient d’aller plus loin.

« Si vous étudiez attentivement la déclaration constitutionnelle de la période de transition, rien n’indique l’adoption d’un système islamique », remarque Mohamed Alfaki Suleiman pour MEE.

« De plus, le ministère de la Justice s’efforce d’amender les lois qui restreignaient les libertés du peuple et provenaient d’une mauvaise interprétation des lois islamiques… comme les lois relatives à l’ordre public. »

Mais il souligne que le gouvernement de transition ne peut émettre de directives concernant l’autodétermination d’une quelconque région du pays, l’une des revendications principales du MPLS-N.

« Ces questions ne peuvent être discutées qu’à la conférence constitutionnelle qui doit se tenir à la fin de la période de transition de trois ans. »

Apostats

Depuis que le Conseil souverain a publié sa déclaration constitutionnelle en août, des groupes islamiques qu’on pense proches du régime de Béchir, critiquent vivement le déclin du rôle de l’islam politique, organisant souvent des rassemblements ou publiant des déclarations dénonçant le nouveau gouvernement. 

Un groupe salafiste, dirigé par Abdul Hai Youssef, un religieux populaire, a organisé des manifestations dans la capitale, Khartoum, sous le slogan « Renforcement de la charia », décrétant par ailleurs que les responsables du gouvernement de transition étaient des apostats.

Wala Alboushi, ministre de la Jeunesse et des Sports, figure parmi ceux accusés d’être à l’origine de la première ligue de foot féminin au Soudan. Il a entamé des poursuites contre Youssef. Mais la colère suscitée par l’apparent recul de l’islam politique semble croître

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Mohamed Ali Algizouli, un célèbre religieux islamiste, s’en est également pris à la déclaration constitutionnelle, la qualifiant de « non-islamique », prévenant que cela pourrait engendrer de graves réactions et conséquences au sein de la communauté islamique soudanaise. 

« Cette Constitution a été rédigée par un groupe minoritaire de laïcs qui n’ont pas consulté le peuple », dénonce-t-il. « Ce détournement de la volonté du peuple aura de graves conséquences. »

Alhadi Alamin, un analyste politique soudanais, remarque que des « groupes islamiques radicaux » et des individus appartenant au « cercle de l’ancien régime » tentent d’exploiter l’agitation de la période de transition pour « contrecarrer » la révolution.

« Le Soudan connaît un grand changement, des milliers de personnes appartenant à une nouvelle classe – les femmes et les jeunes – adoptent l’idéologie libérale qui se heurte à la communauté conservatrice », note-t-il.

« Le problème, c’est que les groupes islamiques radicaux et le cercle de l’ancien régime exploiteront cela pour contrecarrer la révolution. Cette tension est attendue et aboutira à une plus grande polarisation et davantage de confrontations. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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