James Ellroy : "En France, ils vont virer Macron, mais moi ils vont me garder !"

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  • James Ellroy, lundi 18 novembre, dans son hôtel parisien.
    James Ellroy, lundi 18 novembre, dans son hôtel parisien. MIDI LIBRE - FRANçOIS BARRèRE
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François BARRERE

À 71 ans, la star américaine du polar sort son dernier roman, “La Tempête qui vient” (Rivages).

Pourquoi ce choix de placer votre dernier roman début 1942, juste après Pearl Harbour ?

Je ne m’étais jamais plongé dans cette période pour une fiction et j’ai trouvé le sujet de la Seconde Guerre mondiale suffisamment riche pour m’y déployer avec toute mon ambition. Évidemment, il y a déjà eu plein de livres d’histoire écrits sur cette période, mais je ne les ai pas lus.

En arrière-plan, il y a ces persécutions peu connues alors subies par les Japonais aux États-Unis ?

Je n’appellerai pas cela des persécutions. C’était de l’internement, en réponse au règne de la terreur des Japonais dans le Pacifique qui durait déjà depuis des années, avec Nankin où les Japonais ont obligé les pères chinois à violer leurs propres filles et où ils ont jeté des petits enfants depuis des avions. C’était un mauvais plan, l’internement des Japonais, mais c’était pas l’Holocauste, mon pote ! Ni le goulag soviétique ! C’était une injustice américaine. On a mis des gens dans des camps, avec leurs familles jusqu’en 1943, ils étaient aux travaux forcés, mais ils pouvaient aller à l’église ou à la chapelle Shinto.

Vous n’étiez pas né alors. Comment avez-vous reconstitué cette époque ?

J’ai tout inventé. J’ai lu deux ou trois livres, mon assistante m’a fait des notes mais pour le reste, j’ai tout inventé.

L’univers du crime et des flics reste votre point de départ ?

J’adore les flics. La plupart de mes meilleurs amis sont des flics. Et j’adore les polars. Je n’essaie pas de raconter comment fonctionne la société. Moi, j’imagine, c’est un instantané, une microsociété de flics, de criminels, d’hommes politiques et de politiciens véreux pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas l’Amérique en général, ce ne sont pas les Américains moyens, qui sont allés à l’école, qui vont à l’église, obéissent aux ordres et partent se battre à la guerre. Moi, c’est complètement différent.

Vos personnages sont presque tous défoncés. Quel rôle joue la drogue dans votre œuvre ?

C’est un bouquin sur les bas-fonds, et les gens sont défoncés. Déchirés. A la dope, ouais. A l’alcool, ouais ! À la ma-ri-ju-a-na (il chantonne, NDLR), ouais ! L’opium, yeah. Benzedrine, ouais !

Tout le monde, même les policiers ?

Mais combien de policiers alcooliques tu connais, toi qui connais bien les flics ? La moitié des policiers que je connais sont alcooliques. Et oui, je sais, je sais tout ça !

Vos personnages sont aussi tiraillés par le désir et par le sexe ?

Et oui. Et c’est comme cette veille blague des années 50 : j’aimerais bien retrouver le gars qui a inventé le sexe, pour lui demander sur quoi il bosse maintenant. C’est comme ça : le sexe, c’est le plus grand moteur du monde. C’est puéril, obsessionnel, c’est parfois une rédemption, mais c’est la rencontre des hommes et des femmes qui fait tourner le monde. Alors comment pourrais-je ne pas en parler dans mes livres ?

C'est un bouquin sur les bas-fonds et les gens sont défoncés. Déchirés. À la dope, ouais ! À l'alcool !

Votre œuvre télescope vie privée et vie publique. Veillez-vous à votre propre image publique ?

Mais tout le monde s’en fout, des écrivains ! On s’y intéresse en France et c’est bien pour moi : depuis une semaine que je suis à Paris, il y a six personnes qui m’ont reconnu, des gens qui me montrent et disent : "Hey, c’est James Ellroy !" Il y a eu une femme, très élégante, qui m’a regardé de la tête aux pieds, je suis sûr qu’elle m’a reconnu. Mais aux États-Unis, tout le monde s’en tape ! Je vis à Denver, Colorado. Les seules personnes qui intéressent les gens là-bas, ce sont les sportifs. Les joueurs de baseball, de basket, de football, de hockey. C’est tout. Ellroy ?

On me dit : "Pourquoi pas une série sur Netflix ?" Je t'emmerde ! J'écris des livres

Une seule personne m’a reconnu en quatre ans et demi ! Et six personnes ici en une semaine ! Si on veut de l’amour, il faut venir en France. C’est vrai, l’éditeur vous aime, le traducteur vous aime, les médias vous aiment ! Si vous voulez que vos lecteurs vous aiment, putain, venez en France ! On ne trouve ça que dans votre pays. Un tout petit peu en Angleterre, un peu aux Pays-Bas, en Espagne.

Mais vous êtes célèbre aux États-Unis ?

Oui, mais pas comme ici. J’ai vendu deux fois plus de livres en France qu’aux États-Unis, alors qu’il a cinq ou six fois moins d’habitants. À L.. A., c’est autre chose. On me dit : et pourquoi ils ne veulent pas faire un film de ton livre ? Et pourquoi tu ne fais pas une série pour Netflix ? Je t’emmerde ! J’écris des livres !

"Hollywood ? J’en ai bien profité, mais je n’aime pas les gens du cinéma"

“L.A. Confidential”, le “Dahlia Noir” ou “Cop” sont devenus des films, mais l’écrivain semble avoir tourné la page.

Hollywood et le cinéma sont présents dans La tempête qui vient, comme dans toute l’œuvre d’Ellroy. Avec ce thème obsessionnel des films pornographiques tournés clandestinement pour faire chanter ou scandaliser.

"Moi, je suis un voyeur, un type qui mate à travers les fenêtres. J’étais comme ça, il y a très longtemps, quand j’avais une dizaine d’années. Ce thème du voyeurisme vient probablement de là. " Qu’on ne s’y trompe pas : "Je méprise la pornographie, je déteste les films pornos, je pense que tous ceux qui font du porno devraient être tués. Tués, Tués, tués !", aboie-t-il.

"Mais j’aime jouer avec ça et m’en servir pour mes histoires. Comme quand je raconte cette soirée chez Otto Klemperer avec les gens qui regardent un porno réalisé par Orson Welles ! Pour moi, c’était une bonne occasion d’en coller une à Orson Welles."

Ellroy prend plaisir à démolir l’image du réalisateur, ainsi qu’il le fit avant avec Franck Sinatra ou d’autres stars. "Démolir ? Je ne suis pas d’accord. Je ne démolis pas l’image d’Orson Welles, elle est toujours intacte. Mais je n’aime pas ses films, je n’aime pas l’acteur et je n’aime pas ce type, donc je me suis senti obligé de le montrer sous un aspect négatif dans ce livre. J’en profite !"

Au passage, c’est tout Hollywood qui en prend pour son grade : "Alors, c’est sûr que j’ai pris du fric à Hollywood. J’en ai bien profité. Mais c’est un endroit immoral. Je n’aime pas les gens du cinéma, je n’aime pas les acteurs, je n’aime pas les réalisateurs de films, et maintenant, je n’en ai plus besoin. Je peux m’en passer. Mais ce n’est pas le ressentiment qui me pousse. C’est un monde que j’ai observé."

Un monde aujourd’hui secoué par le scandale Weinstein, qui évoque furieusement les noires dérives des 50’s ou des 60’s déjà décrites par Ellroy : "Et oui. Toujours la même merde."

Les Français ont donc meilleur goût ?

Ah oui ! (Il fredonne) San-drine Bon-naire… I-sa-belle Hup-pert, Ju-liette Bi-noche… Arrgh ! Arrgh ! Arrgh !

Qui admirez-vous ici ?

François Guerrif, François Busnel, Francois Truffaut… Qui d’autre ? Lino Ventura… Il est Italien je crois ? Il est mort ? Ah, qu’il repose en paix. Yves Montand… Giscard d’Estaing… toujours vivant ? René Cotti, Bastien-Thiry, De Gaulle. Camus, l’écrivain le plus soporifique de tous les temps (il ronfle, NDLR) Qui d’autre ? Jean Pierre Melville… Alain Delon, Juliette Binoche, Jeanne Moreau. Okay, ça suffit comme ça !

Est-ce un bon job d’être une star du polar ?

Oui mais je ne suis pas une star, je suis LA star, l’Écrivain, THE MAN ! Et c’est bon d’être le numéro 1, le meilleur ! On m’invite en France, ici, où ils vont virer Macron, mais moi ils vont me garder !

En 1995, vous expliquiez à “Midi Libre” que vous vouliez devenir le cauchemar de l’Amérique. Vous y êtes arrivé ?

Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça, c’est complètement débile ! Oublie ça ! Et pour la photo, tu as deux minutes ! Deux !

Bio express

Né en 1948 à Los Angeles, James Ellroy a été marqué à vie par la mort de sa mère, une belle infirmière rousse tuée alors qu’il avait 10 ans par un criminel sexuel qui n’a jamais été identifié. Le garçon, élevé ensuite par un père absent, passe ensuite une dizaine d’années dans la délinquance et la drogue, avant de réussir à se lancer dans l’écriture : son premier roman, Brown’s Requiem, publié en 1981 aux États-Unis. Passionné de romans noirs et d’histoire, il va connaître un succès mondial, mais particulièrement important en France, grâce à ses publications chez Rivages/noir, et à l’éditeur François Guerif. Il est aujourd’hui considéré par beaucoup comme le plus grand écrivain de roman noir.

 

Un de ses plus beaux romans... et encore cinq autres à écrire

"La Tempête qui vient est le deuxième tome du second "Quatuor de Los Angeles", entamé en 2015 avec "Perfidia" (2015). Situé en janvier 1942, juste après l’attaque de Pearl Harbour qui plonge les États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, le roman télescope des enquêtes criminelles (vol d’or, incendie meurtrier, massacre dans un bar) et une foule de personnages apparus dans le premier "Quatuor de Los Angeles", qui courait de 1946 à 1958 à partir du "Dahlia noir".

Moins abrupt que "Perfidia", cette "Tempête" est l’un de ses plus beaux romans, tout en virtuosité d’écriture. "C’est mon livre le plus drôle, celui qui parle le plus d’amour et d’amitié. J’ai essayé de le rendre limpide et concis, aussi serré que le cul d’un crabe ! J’écris six à huit heures par jour, lentement."

Et il a encore du pain sur la planche : deux romans pour finir ce quatuor. "Et après je passerai à ma deuxième trilogie." Sur quelle période ? "Je ne sais pas encore, mais ce sera avant 1972."

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Les commentaires (5)
Bellaciao Il y a 4 années Le 25/11/2019 à 01:55

Au même niveau que S.King dans ma bibliothèque.
Deux des meilleurs dans leur genre.

Anonyme165672 Il y a 4 années Le 25/11/2019 à 07:26

..... sauf que S. King fait trembler d'effroi dans ses romans, (Cà est le seul livre qui m'a fait "cauchemarder"), alors que les révélations de Ellroy sur certains personnages historiques, si elles sont vraies, font frissonner de dégoût et laissent pantois.
Ce qui, bien sûr, ne m'empêche pas de partager votre avis.

Le pouffre grillé Il y a 4 années Le 24/11/2019 à 10:37

En France "ils vont virer Macron"..
Ah bon il est devin en plus..
Et aux US ils vont virer Trumpette ?

Anonyme172721 Il y a 4 années Le 24/11/2019 à 15:15

Le principe c'est :
On vire si tout va mal . . . On garde si tout va bien

Ha oui Il y a 4 années Le 26/11/2019 à 06:53

Si les Américains le pensent , les Français feraient bien d'y penser !!