Publicité
Analyse

Faut-il vraiment avoir peur du Grand Méchant Netflix ?

Le débarquement prochain en France de Netflix, champion américain de la vidéo à la demande, inquiète les champions français de l'audiovisuel. Mais il peut aussi être l'occasion de bousculer un modèle français encore trop soumis à des règles datant de l'époque analogique.

ECH21663039_1.jpg

Par Grégoire Poussielgue

Publié le 7 avr. 2014 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Et si la prochaine arrivée de Netflix en France constituait une occasion unique pour le PAF - le paysage audiovisuel français - d'entrer de plain-pied dans une nouvelle ère ? Depuis l'annonce, confirmée auprès des pouvoirs publics, de son arrivée dans l'Hexagone, le service américain de vidéo à la demande, connu pour avoir financé la fameuse série « House of Cards », agite le monde de l'audiovisuel et inquiète les pouvoirs publics. A entendre les plus pessimistes, Netflix est synonyme de catastrophe annoncée pour l'exception culturelle à la française, qui repose sur un système complexe et unique au monde de financement de la création. A les croire, en débarquant en France, Netflix va provoquer la chute de Canal+ et la ringardisation des chaînes gratuites, tout cela en ne payant ni ses taxes dans l'Hexagone ni le moindre centime pour le financement de la production... Mais au-delà de cette vision apocalyptique, il est nécessaire de relativiser la « menace » Netflix. Un coup de projecteur à l'étranger s'impose. Aux Etats-Unis, pays de naissance de Netflix, HBO - chaîne de télévision payante - n'a pas été affectée par la montée en puissance du service de vidéo à la demande. Malgré la croissance impressionnante de Netflix depuis la création de son modèle en ligne, HBO n'a pas vu son nombre d'abonnés s'effondrer. Bien au contraire, il s'est largement maintenu au-dessus de la barre des 30 millions, même si Netflix a dépassé la chaîne à péage en nombre de foyers abonnés. Il n'est donc pas possible de dire que Netflix a cannibalisé HBO, puisque sa croissance ne s'est pas faite au détriment de la chaîne à péage. Même scénario en Grande-Bretagne : l'arrivée de Netflix, il y a deux ans, et les deux millions d'abonnés que l'américain y a conquis n'ont pas entamé le portefeuille de BSkyB. Pour HBO comme pour BSkyB, et demain pour Canal+, le constat est le même : Netflix ne remet pas en cause leur modèle. Mais le vrai danger est ailleurs : il est tout simplement de voir ce nouveau trublion capter toute la croissance. A court terme, il n'y a pas péril en la demeure. A moyen et long terme, la question reste certes posée, même si les chaînes placées sous la menace, comme Canal+, ont réagi via de nouvelles offres.

Le débarquement de Netflix met aussi en perspective le conservatisme de la France dès qu'il s'agit de protéger son modèle, ce qui a conduit l'américain, sans aucune hésitation, à vouloir s'implanter au Luxembourg pour arroser notre pays. L'échec des pouvoirs publics et de l'ensemble de la filière est de ne pas avoir réussi à se réformer à temps pour sceller un partenariat gagnant-gagnant avec le représentant d'un modèle qui s'imposera, à terme, comme une référence pour visionner films et séries. Certes le groupe américain a fait du Luxembourg sa base pour tous ses services européens, mais la France, pays numéro un en Europe pour sa création audiovisuelle et cinématographique, n'a rien fait pour adapter son système alors que l'arrivée de Netflix et consorts dans l'Hexagone est évoquée depuis plusieurs années. La peur du géant américain a été la plus forte. Ce conservatisme s'illustre par le maintien d'obligations strictes, notamment pour le financement de la création et la chronologie des médias, qui rend possible la diffusion d'un film sur une plate-forme par abonnement seulement trois ans après sa sortie en salles. Régulièrement, il a été question de modifier ces règles, qui ne sont que l'adaptation au numérique de dispositions pensées au temps de l'analogique. Aucune évolution majeure n'a eu lieu, ce qui, en plus de faire fuir Netflix plutôt deux fois qu'une, n'a pas aidé au décollage des plates-formes hexagonales. Notre pays se trouve presque nu face aux appétits de l'américain. Car ce conservatisme s'illustre d'une autre façon. Malgré plusieurs tentatives, aucun groupe, et notamment les acteurs clefs de l'audiovisuel que sont les chaînes de télévision, n'a jamais réussi à s'entendre avec un autre pour lancer une plate-forme de vidéo à la demande par abonnement et préempter la place que l'américain s'apprête à convoiter à grands coups de campagnes de communication. De petites entreprises - VideoFutur, filiale de Netgem, et FilmoTV, création du distributeur Wild Bunch, ou encore Jook Video, du groupe AB - se sont certes lancées au cours des dernières années. Mais leurs moyens n'ont rien à voir avec ceux de Netflix (qui a levé 400 millions de dollars pour son développement européen), ce qui les a empêchées jusqu'à présent de toucher un public de masse. Canal+ a également lancé son offre, avec CanalPlay Infinity, mais elle n'a jamais été en mise en avant. Canal+ se retrouve devant un dilemme : protéger son portefeuille d'abonnés à la télévision payante, qui atteint un maximum en France, tout en misant sur la télévision du futur en vendant des abonnements moins chers.

Le résultat est connu : le marché français de la vidéo en ligne (à l'unité et par abonnement) a reculé pour la première fois l'année dernière, alors qu'il avait connu une croissance aussi spectaculaire qu'ininterrompue entre 2007 (29 millions d'euros de chiffre d'affaires) et 2012 (252 millions). L'arrivée de Netflix, en bousculant les usages ancestraux de l'audiovisuel français, peut donc provoquer un électrochoc salutaire en permettant une modification de la réglementation et en incitant les acteurs locaux à être plus offensifs. Il faut l'espérer, pour que ce marché encore jeune et très prometteur ne soit pas principalement détenu par un acteur américain, si brillant et imaginatif soit-il.

Les points à retenir

Les pessimistes considèrent que Netflix va faire chuter Canal+ et « ringardiser » les chaînes gratuites.

Mais, aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni, la présence du groupe n'a pas fait disparaître les chaînes par abonnement.

L'arrivée de Netflix pourrait provoquer un électrochoc salutaire en incitant la France à adapter sa réglementation audiovisuelle dépassée.

Grégoire Poussielgue

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité