Marché de l’art. Elle fut La Femme qui pleure, qui a documenté toutes les étapes de la réalisation du magistral Guernica de Picasso, dont elle partagea la vie huit ans durant. Mais Dora Maar (1907-1997) était plus qu’une amante ou une muse. Photographe surréaliste amie de Brassaï et d’Eluard, elle fut une artiste aussi accomplie qu’engagée. Cinq jours après l’ouverture de sa rétrospective à la Tate Modern, à Londres, la maison de ventes Crait-Müller propose, le 25 novembre à Paris-Drouot, un ensemble de 170 dessins, principalement des paysages, des natures mortes et des portraits pointillistes, estimés modestement entre 300 et 400 euros.
Le marchand parisien Stéphane Corréard, qui conseille les actuels propriétaires de ces dessins, l’admet, « une vente d’atelier est un pari ». Mais, selon lui, les planètes sont parfaitement alignées, un an après l’hommage qu’a rendu le Centre Pompidou à Dora Maar. « Nombreux devraient être les amateurs français et étrangers à vouloir s’offrir un petit morceau d’histoire, un bout du surréalisme ou de Picasso, un pan de mur du Centre Pompidou ou de la Tate Modern, ou, plus simplement, une œuvre d’une artiste singulière qui porte l’un des plus beaux noms de l’histoire de l’art du vingtième siècle », estime-t-il.
La légende veut que Picasso et Dora Maar se soient rencontrés en 1935 au café Les Deux Magots. Alors que la jeune femme est une photographe émérite, reconnue par les surréalistes, elle prend les pinceaux, sous l’influence de son amant. En 1990, lorsque le marchand parisien Marcel Fleiss expose une quinzaine de ses toiles rue de Penthièvre, les prix s’échelonnaient entre 24 000 et 100 000 francs. Il faudra attendre les ventes fleuve organisées en 1998, un an après sa mort, par Piasa pour que le marché soudain ne s’emballe.
« De jolies curiosités »
Depuis, sa cote n’a cessé de grimper. En 2009, le collectionneur Pierre Leroy vend pour 480 750 euros un portrait de Picasso par Dora Maar qu’il avait acheté onze ans plus tôt pour 340 000… francs ! Les prix ont beau être conséquents, le courtier Thomas Seydoux se veut nuancé : « Les tableaux “picassiens” de Dora Maar plaisent, comme de jolies curiosités, de la même manière qu’on s’intéresse aux tableaux de Jeanne Hébuterne qui ressemblent à ceux de son compagnon Modigliani. »
Autrement plus intéressantes sont les photos, dont le marché a connu la même courbe ascendante, grâce à un « corpus très varié, entre la période commerciale, le surréalisme et l’œuvre tardive », commente Jonas Tebib, spécialiste chez Sotheby’s. Ainsi de Silence, magnifique photomontage acquis pour l’équivalent de 26 000 dollars en 1998 par la Fondation Joy of Giving Something, puis revendue 125 000 dollars, cinq fois son estimation, en 2014, chez Sotheby’s à New York.
Le record revient à Christie’s qui, en 2015, a cédé Les années vous guettent, autoportrait de l’artiste recouverte par une toile d’araignée, pour 325 500 euros, triplant l’adjudication obtenue neuf ans plus tôt. Autant de prix corsés motivés par la rareté. « En quinze ans, je n’ai vu passer que huit tirages aux enchères », constate Elodie Morel, spécialiste chez Christie’s.
Quid des dessins, abondamment présentés dans l’exposition du Centre Pompidou, notamment les vues à l’encre des environs de Ménerbes, la maison du Luberon où Dora Maar s’était retirée après sa rupture avec Picasso ? Ils ne sont pas inoubliables, mais certaines feuilles sortent du lot par leur fragilité pointilliste. « Bien sûr, certains dessins portent la marque de Picasso, mais il est surprenant de trouver aussi des planches quasi matissiennes, des croquis de feuilles, de fleurs ou de fruits au trait, à l’encre, rapides mais sûrs », insiste Stéphane Corréard.
Quant aux prix, difficile d’en juger au regard des ventes passées, où beaucoup de lots de dessins ont été mal décrits. Un grand carnet de croquis, catalogué sans précision, s’était adjugé en 1999 pour 7 000 francs. Stéphane Corréard en est convaincu, les plus belles feuilles pourraient aujourd’hui dépasser les 1 000 euros.
« Dessins de Dora Maar-Art contemporain, art urbain », Crait-Muller Commissaires priseurs associés, le 25 novembre, à Drouot-Paris, 9, rue Drouot 75009 Paris. www.crait-muller.com
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