On n'aura jamais autant parlé de violences conjugales, en France, que durant l'année 2019. À l'heure où nous écrivons ces lignes, 137 femmes sont mortes cette année, tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, selon le décompte méthodique réalisé par le collectif Familles de féminicides par conjoints ou ex-conjoints, qui recense les féminicides depuis 2016 sur sa page Facebook.

Le premier Grenelle des violences conjugales

Lorsque la barre des 100 victimes de féminicides a été franchie, cet été, Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité femmes-hommes, a annoncé la tenue d'un Grenelle des violences conjugales. Ce dernier a été lancé le 3 septembre, organisé autour de 11 groupes de travail thématiques.

Ce même jour, le premier ministre Edouard Philippe avait dévoilé une première série de mesures, dont la possibilité de porter plainte dès l'hôpital, la suspension de l'exercice de l'autorité parentale pour le parent violent, ou encore, la création de 1000 places d’hébergement d’urgence, et d'une plateforme de géolocalisation pour les trouver plus facilement.

Un budget légèrement augmenté

En guise de bilan, lundi 25 novembre, Edouard Philippe a annoncé plusieurs autres mesures, la plupart judiciaires, qui seront par la suite défendues à l'Assemblée. La date est symbolique, puisqu'il s'agit de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Sur le milliard d'euros annoncé pour l'égalité femmes-hommes, 360 millions devraient être consacrés pour la lutte contre les violences faites aux femmes, en 2020.

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Un budget qui ne satisfait pas Caroline De Haas, militante féministe engagée au sein de #NousToutes : "Le budget de l'année dernière était de 345 millions d'euros l'année dernière. En 2020, nous allons reconduire quasiment à l'identique les mêmes politiques publiques qu'en 2019." De son côté, Osez le féminisme a singé des "mesurettes éparses", et parle d'un "espoir déçu" après la mobilisation de la marche #NousToutes du 23 novembre 2019, qui a réuni plus de 150.000 personnes dans toute la France.

L'emprise psychologique inscrite au Code civil

Parmi les mesures inédites annoncées ce 25 novembre, l'inscription de l'emprise psychologique dans le Code civil : "En le caractérisant dans la loi, on va dire à ces femmes victimes de cette emprise : "Vous n'êtes pas à l'origine de ce qui vous arrive, vous en êtes les victimes'. [...] Étant donné que l'emprise psychologique est souvent préalable aux violences physiques."

Par ailleurs, si une femme se suicide à la suite de violences conjugales et harcèlement, ce que l'ex-avocate Yael Mellul, lanceuse d'alerte à ce sujet, nomme "suicide forcé", cela sera considéré comme une circonstance aggravante, a signifié Edouard Philippe. Le gouvernement souhaite ainsi "punir plus lourdement" l'auteur de ces violences. 

Retrait de l'autorité parentale

Mesure déjà annoncée en septembre, mais qui se confirme : le retrait de l'autorité parentale pour le conjoint meurtrier ou violent. Ce 25 novembre, Edouard Philippe a indiqué que ce principe sera entériné dès janvier 2020. 

Le gouvernement souhaite également mettre fin à la possibilité d'une médiation familiale en cas de violences conjugales. Une interdiction qui existe pourtant déjà dans le Code civil depuis 2016, a rappelé Caroline De Haas.

Le premier ministre a également annoncé la suppression de "certaines absurdités juridiques", dont l'obligation alimentaire, qui contraint les enfants à subvenir aux besoins de leurs parents, même dans le cadre de violences conjugales. Une mesure jugée "intéressante" par la militante féministe, qui a réagi en direct au discours d'Edouard Philippe. 

Le 3919 accessible 24/24h, 7/7j

Edouard Philippe a également annoncé que le 3919, numéro national et "officiel" d'écoute, d'aide et d'orientation aux victimes de violences conjugales, sera désormais accessible 24/24h, et 7/7j. "D'abord, pour rompre la solitude, la peur aussi, et pour prendre les décisions au bon moment."

D'ici 2021, 80 postes supplémentaires d'intervenants sociaux, qui recueillent les témoignages des victimes au sein des commissariats et gendarmeries, indépendamment des policiers et gendarmes, seront créés. "Ils constituent des maillons essentiels d'accueil et de prise en charge des femmes qui déposent plainte", a déclaré Edouard Philippe. Néanmoins, rappelons qu'il n'est pas nécessaire de porter plainte pour avoir accès à un intervenant social.

Le secret médical pourra être levé

C'était l'un des gros enjeux du Grenelle : la levée le secret médical dans le cadre de violences conjugales, les urgences, les médecins, étant parfois les premiers témoins officiels des violences.

Edouard Philippe a cependant précisé que ce lever du secret sera très encadré : "Je souhaite que cela concerne des cas très stricts, encadrés. Les cas d'urgence absolue où il existe un risque sérieux de renouvellement de violences." Les modalités sont déjà en cours de concertation avec des professionnels de la santé. 

"Aujourd'hui, un médecin qui voit une femme en danger a le devoir de prévenir la police, comme ce que prévoit la loi pour les enfants", a rappelé de son côté Caroline De Haas, pour qui il ne s'agit pas d'une nouveauté.

Prise en charge des auteurs de violences

Le premier ministre a également annoncé que les auteurs de violences conjugales devront faire l'objet d'une "évaluation médico-psycho-sociale dès la phase de l'enquête" pour les orienter vers les spécialistes adéquats pour traiter les causes des violences. 

Le gouvernement souhaite par ailleurs que deux centres de prise en charge des hommes violents soient créés dans chaque région, ce qui permettra aussi à la victime de rester au domicile : "Ce devrait être à l'auteur des violences de partir, non à sa victime". Un appel à projet va être lancé. 

Edouard Philippe a aussi annoncé un suivi "plus contraignant" des auteurs de violences qui sont alcooliques. 

Éduquer à l'égalité femmes-hommes

"C'est le regard de toute une société qui doit changer", a défendu Edouard Philippe. À ce titre, le gouvernement estime que l'Éducation doit davantage former les enfants aux questions d'égalités femmes-hommes, et de violences envers les femmes.

Les professeurs devront ainsi suivre une formation obligatoire sur l'égalité entre les filles et les garçons, et organiser une fois par an un conseil sur l'égalité aux collégiens et lycéens. Professeurs et enseignants disposeront également d'un "document unique de signalement" s'ils détectent une situation de violence au sein d'une famille.

Enfin, un module "de formation et de sensibilisation aux violences conjugales" obligatoire sera aussi mis en place, dans le cadre du Service National Universel. "Il faut en parler à tous les endroits de socialisation", a expliqué Edouard Philippe.

Des annonces qui n'enthousiasment pas Caroline de Haas : "Plusieurs mesures annoncées par le premier ministre existent déjà. C'est le cas de la formation des enseignants sur les violences, depuis 2010."

11 groupes de travail thématiques

Le Grenelle a été organisé autour de onze groupes de travail thématiques : violences psychologiques et emprise, accueil des victimes de violences conjugales dans les commissariats ou gendarmeries, ou encore, les violences économiques.

Le but : réunir des victimes et leurs familles, des experts et des associations. "L’objectif de ce Grenelle est d’assurer que les victimes soient toujours écoutées prises au sérieux et protégées de leurs agresseurs", défendent Marlène Schiappa et Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, dans un communiqué joint du 22 novembre. En tout, plus de 60 personnes ont été auditionnées, précise le secrétariat.