Rebecca Amsellem, 31 ans, économiste, est la créatrice de la newsletter Les Glorieuses.

Rebecca Amsellem, 31 ans, économiste, est la créatrice de la newsletter "Les Glorieuses".

Francesca Mantovani

Rebecca Amsellem, 31 ans, docteure en économie, est la fondatrice de la lettre d'information féministe Les Glorieuses. Elle a lancé en 2016 un mouvement pour l'égalité salariale, le mouvement du 5 novembre, qui consiste à calculer chaque année le jour à partir duquel les femmes, du fait des inégalités de salaire avec les hommes, devraient s'arrêter de travailler.

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L'Express. Votre mouvement s'inspire de celui lancé par les femmes islandaises, en 2016. Aujourd'hui en Europe la différence de salaire entre les hommes et les femmes s'établit à 16%, selon Eurostat. A combien s'élève ce taux en France ?

Rebecca Amsellem. Il y a trois façons différentes de le calculer. Si on ne tient compte que du taux horaire, temps partiel et plein-temps confondus, la différence de salaire entre hommes et femmes est de 25% en France. En équivalent temps plein, tel que le calcule Eurostat, la différence est de 15,4%. Enfin à travail égal, compétences égales, et expériences égales, les hommes continuent d'être payés 10,5% de plus que les femmes - parce qu'ils sont des hommes.

La loi Roudy pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes date de 1983, et pourtant l'égalité salariale réelle semble encore loin. Si légiférer ne suffit pas à supprimer cette inégalité, que faut-il faire ?

C'est vrai, les choses n'avancent pas, ou pas assez vite. Je note quand même que désormais le sujet des inégalités salariales est pris au sérieux, ce qui est un progrès ! Mais il faut aller plus vite. Chez les Glorieuses nous proposons trois mesures : d'abord la transparence des salaires en entreprise pour que chacun puisse savoir combien sont payés ses collègues, hommes ou femmes; puis la création d'un congé paternité équivalent au congé maternité, pour que la maternité ne puisse plus peser sur les carrières et les salaires des femmes; et enfin la mise en place d'un certificat d'égalité salariale pour toutes les entreprises, à l'image de ce qui se fait en Islande, qui pourrait conditionner l'accès de ces entreprises à certains avantages fiscaux ou autre. A côté de ces trois mesures, l'éducation est un autre levier à actionner pour favoriser l'égalité entre les femmes et les hommes. Ainsi l'un des pays dans lesquels les inégalités salariales sont les plus basses, le Rwanda, a mené une politique éducative très forte auprès des filles, notamment pour qu'elles sachent que tous les métiers leur sont accessibles. Cette politique a eu un impact sur l'image des femmes dans le monde du travail, et donc sur leurs salaires.

D'ici au 1er mars 2020, toutes les entreprises de 50 à 250 salariés devront publier leur index de l'égalité professionnelle. Les entreprises de plus de 250 salariés sont déjà contraintes à cette obligation depuis le 1er septembre. Cet Index vous semble-t-il être un outil efficace ?

C'est toujours mieux que de ne rien faire ! Mais je ne pense pas qu'on puisse attendre beaucoup de cet Index, puisque le questionnaire qui permet de l'établir est rempli par les entreprises elles-mêmes, et certaines n'ont pas joué le jeu.

L'égalité salariale entre les femmes et les hommes est une question de justice, mais cet objectif d'égalité a aussi un intérêt économique... Un argument qui doit compter pour la docteure en économie que vous êtes ?

Plusieurs études montrent en effet que si les femmes étaient payées comme les hommes, la croissance économique pourrait bondir d'au moins un point. On pourrait aussi avancer que les femmes sont responsables de 70% des achats et qu'elles ont donc un pouvoir économique. Mais c'est un argument que je ne souhaite pas utiliser en priorité, notamment parce que comme le soulignait Simone de Beauvoir, il ne faut pas oublier qu'il suffit d'une crise économique ou politique pour faire reculer les droits des femmes. Chez les Glorieuses nous préférons mettre en avant un argument très simple : l'égalité de salaire entre les femmes et les hommes est d'abord une question politique, une question de justice, avant d'être une question économique.

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