"J'ai tout vendu pour payer mon traitement contre le cancer"

  • Louise Dewast
  • BBC News, Dakar
Awa Florence, atteinte d'un cancer du col de l'utérus l'an dernier
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Awa Florence, 50 ans, craint de ne pas pouvoir obtenir tous les traitements contre le cancer dont elle a besoin.

Le cancer est une maladie qui ronge physiquement et économiquement ceux qui en souffrent.

"C'est très cher. Quand tout cela a commencé, j'ai dû vendre tout ce que je possédais", dit Awa Florence, une patiente atteinte du cancer.

"Je n'ai plus rien. Je suis veuve et je n'ai pas les moyens de payer d'autres examens."

Cette fonctionnaire qui vit à Dakar, la capitale du Sénégal, a été diagnostiquée l'année dernière d'un cancer du col de l'utérus.

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Le cancer est un problème croissant en Afrique, et le Sénégal est l'un des derniers pays à essayer d'améliorer les soins accordés aux patients en subventionnant la chimiothérapie dans tous les hôpitaux publics.

Le gouvernement affirme que les médicaments seront gratuits pour les femmes atteintes d'un cancer du sein ou du col de l'utérus et jusqu'à 60% moins chers pour les autres types de cancer.

Certains des médicaments essentiels nécessaires pour traiter les effets secondaires de la chimiothérapie seront également couverts, explique Khady Mbaye Sylla, directeur des hôpitaux publics, à la BBC.

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Un engrainage de soin complexe

Mais le cancer nécessite souvent des traitements plus complexes que la seule chimiothérapie. Ces traitements coûtent plus cher, des frais que les patients doivent payer eux-mêmes.

"C'est un peu comme avoir des pneus neufs. Pour que votre voiture fonctionne, vous devez quand même acheter de l'essence, avoir des routes et un permis de conduire", explique le Dr Ben Anderson, directeur de la Breast Health Global Initiative.

Awa Florence, atteinte d'un cancer du col de l'utérus l'an dernier
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"Quand j'ai vu la facture pour la première fois, j'ai commencé à pleurer", dit Mme Florence.

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le cancer du col de l'utérus et le cancer du sein sont les principales causes de décès par cancer chez les femmes en Afrique subsaharienne.

Pourtant, ce n'est qu'au cours des dernières années que la prévention et le contrôle de ces maladies sont devenus une question de santé publique.

En 2011, l'OMS a déclaré que les maladies non transmissibles étaient "une catastrophe imminente" pour certains pays, poussant des millions de personnes dans la pauvreté.

Les efforts du Sénégal méritent donc d'être salués comme "une excellente étape" dans la lutte contre le cancer, déclare le Dr Anderson.

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Le cancer au Sénégal :

  • Cancers les plus courants : col de l'utérus (17,8) ; sein (16,7 %) ; foie (10,2 %) ; prostate (9,1 %) ; estomac (5,2 %)
  • Nombre de nouveaux cas de cancer enregistrés (2018) : 10 549 - sur une population de 16 millions d'habitants
  • Nombre de décès par cancer enregistrés (2018) : 7 571

Source : OMS

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Jusqu'à récemment, les soins de santé pour les femmes africaines étaient principalement organisés autour des maladies infectieuses aiguës et des complications liées à la grossesse.

Mais avec l'allongement de l'espérance de vie et aussi un changement des "comportements à risque pour la santé" (mauvaise alimentation, manque d'exercice, consommation d'alcool et de tabac) le fardeau du cancer augmente parallèlement sur le continent.

L'un des rares oncologues travaillant à Dakar a dit à la BBC que pour réduire efficacement la mortalité due au cancer, beaucoup plus, peut et doit être fait.

"Nous devons subventionner entièrement les traitements contre le cancer, de la détection précoce aux soins palliatifs", déclare Dr Mamadou Diop.

En plus de la chimiothérapie, les patients ont souvent besoin d'une intervention chirurgicale, et certains ont besoin d'une hormonothérapie ou d'une radiothérapie.

Les scanners qui ont montré que Mme Florence avait un cancer
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Voici les scanners qui ont montré que Mme Florence avait un cancer

Au Sénégal, une séance de radiothérapie peut coûter environ 250 $ et une chirurgie 330 $.

C'est-à-dire après que le patient a subi les tests et examens requis qui peuvent coûter jusqu'à 1.600 $.

Pour des femmes comme Mme Florence, qui gagne environ 80 $ par mois, c'est tout simplement trop cher.

Mme Florence espère que la nouvelle mesure pourrait aider les femmes comme elle, mais elle a aussi quelques réserves.

"Ils disent que c'est gratuit, mais nous ne savons pas si nous devrons remplir de la paperasse ici et là, et si nous devons acheter des médicaments de toute urgence...", dit-elle.

"Le gouvernement paiera-t-il la radiothérapie qui coûte 250 $ ou les scanners qui coûtent 130 $ ? Si le gouvernement paie tout cela, alors oui, c'est une bonne chose."

Le manque de données

Entre-temps, elle a demandé de l'aide pour ses factures médicales ailleurs.

"Quand j'ai vu la facture pour la première fois, j'ai commencé à pleurer. J'ai dit à mon médecin que je ne pouvais pas payer et il m'a mis en contact avec la league anti-cancer qui a pu m'aider."

"J'ai bientôt rendez-vous pour une radiothérapie et j'apporterai les résultats au médecin qui me dira quoi faire ensuite", dit Mme Florence.

"La chimiothérapie est vraiment difficile. Je préférerais qu'il me dise que je n'ai pas besoin de recommencer... Les effets secondaires sont douloureux et on est censé manger des aliments sains, des fruits, mais c'est difficile quand on n'en a pas les moyens."

Une journée de dépistage gratuit du cancer organisée par la Ligue sénégalaise de lutte contre le cancer (LISCA) à Dakar
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La Ligue contre le cancer du Sénégal organise des journées gratuites de dépistage du cancer

Malgré l'annonce du gouvernement sénégalais, Dr Diop croit qu'il y a encore beaucoup de personnes atteintes de cancer dans tout le pays qui ne reçoivent aucun traitement et que beaucoup de gens qui ignorent leur statut.

Dans l'ensemble, le taux de survie à cinq ans pour différents cancers est aussi faible que 10 à 20 % dans les pays à faible revenu, alors qu'il se situe en moyenne entre 80 et 90 % dans les pays plus riches, selon le Dr Prebo Barango de l'OMS.

Les facteurs incluent :

  • manque d'information sur les signes et symptômes précoces du cancer
  • diagnostic tardif ou diagnostic erroné
  • systèmes d'aiguillage faibles ou inexistants
  • l'éloignement géographique des soins et des traitements
  • les coûts catastrophiques des traitements et des médicaments
  • la faiblesse des systèmes de santé et les cas d'abandon de traitement.

(Source : OMS)

Toutefois, l'un des principaux défis auxquels sont confrontés de nombreux pays africains est le grave manque de données sur la prévalence du cancer.

Il est donc plus difficile pour les décideurs d'évaluer et d'agir en conséquence.

Selon Dr Barango, environ un tiers de tous les cas de cancer pourraient être évités en évitant les facteurs de risque clés.

La plupart des pays africains ont "renforcé la prévention des facteurs de risque de cancer", dit-il, en mettant en œuvre des programmes de lutte antitabac par exemple.

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"Il faut soutenir moralement les malades du cancer"

Des efforts sont déployés pour élargir l'accès au dépistage du cancer du col de l'utérus et au traitement précancéreux de manière efficace, ajoute Dr Barango.

Selon l'OMS, le cancer du col de l'utérus est la forme la plus courante en Afrique, mais il peut être largement évité grâce à la vaccination et au dépistage.

De nombreux pays - dont le Botswana, l'Afrique du Sud, le Zimbabwe, le Sénégal, l'Éthiopie et le Malawi - ont introduit le vaccin contre le VPH pour aider à prévenir le cancer du col utérin dans leurs programmes nationaux de vaccination.

En l'état actuel des choses, la plupart des patients atteints de cancer en Afrique sont diagnostiqués à un stade avancé et le pronostic d'un résultat positif est réduit - même dans les cas où le traitement est disponible et abordable, selon le directeur régional africain de l'OMS, Dr Matshidiso Moeti.

Si plus d'argent était dépensé pour sensibiliser le public aux signes avant-coureurs des cancers courants - et pour inciter les gens à adopter des modes de vie plus sains - les experts croient que beaucoup plus de vies seraient sauvées.