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Joshua wong, militant honk-kongais | Studio Incendo | Flickr
Joshua wong, militant honk-kongais | Studio Incendo | Flickr
Flux d'actualités

La révolte à Hongkong vue de Chine

novembre 2019

Comment les aspirations à la démocratie et à la liberté des Hongkongais sont-elles perçues par les Chinois du continent ? Dans un contexte de manipulation généralisée de l'information et d'instrumentalisation du sentiment patriotique par le régime communiste chinois, il est difficile d'en juger.

Les mouvements de protestation à Hongkong semblent générer un face à face tendu entre les Hongkongais et les Chinois : non seulement les Chinois du continent sont extrêmement critiques vis-à-vis des Hongkongais, si l'on en croit les opinions exprimées sur les réseaux sociaux, mais en outre, les Chinois qui vivent à l'étranger ont participé activement à des manifestations, à Paris, Londres, Melbourne ou encore Toronto, contre la révolte des Hongkongais. Comment expliquer que les aspirations à la démocratie et à la liberté des Hongkongais puissent susciter tant d’incompréhension chez les Chinois du continent ? La virulence de ces manifestations contre les mouvements hongkongais est-elle représentative d’un sentiment collectif ?

La mainmise sur l’information

Pour expliquer la position des Chinois du continent, il faut prendre la mesure du système de censure et de manipulation des informations à l’œuvre en République populaire de Chine (RPC). Les grands médias nationaux sont surveillés de près par le ministère de la Propagande. Comme le stipulait clairement le président Xi Jinping il y a quelques années, les médias doivent être au service de l’État et du parti. Les réseaux sociaux, tels que Xinlang Weibo et Wechat, qui se sont développés en grand nombre ces dernières années, ne sont pas plus libres : les autorités ont interdit à toute plateforme non étatique de diffuser des informations non-conformes au texte autorisé par les instances étatiques telles que l’agence de presse officielle Chine nouvelle. Et tout contenu, ne serait-ce qu’une image, relatif aux manifestations à Hongkong est supprimé illico par une armée de censeurs, quand le compte « fautif » de ce post n’est pas bloqué pour toujours ou son détenteur arrêté. Dans le même temps, l’accès aux sites d’informations étrangers est largement censuré et l’usage de VPN – logiciel permettant de contourner la censure – est formellement interdit par le gouvernement depuis le début de 2017. Selon une étude récente, près d’un quart des sites de médias étrangers présents en Chine sont bloqués par les autorités[1].

Cet effort de contrôle des médias s’accompagne de manipulations qui frôlent parfois la désinformation pour diaboliser le mouvement de protestation. Les médias officiels en Chine n'ont commencé à montrer les manifestations à Hongkong qu'à partir du 1er juillet, le jour où les manifestants ont pris d’assaut le Conseil législatif (LEGCO). La télévision officielle chinoise, la CCTV, a alors passé en boucle des images de manifestants en train de briser les portes vitrées du Conseil, ou les murs tagués et l’emblème national souillé du bureau de représentation de la Chine à Hongkong, éclipsant consciencieusement le fait que de gigantesques manifestations ont eu lieu dès le mois de mars et tout au long du mois de juin, depuis l'introduction de l'amendement à la loi d'extradition en février 2019. Les médias chinois se sont bien gardés par ailleurs d'expliquer les raisons pour lesquelles cet amendement suscitait tant d'inquiétude chez les Hongkongais. En effet, ayant vécu le cauchemar des cinq éditeurs hongkongais critiques envers la Chine kidnappés par les autorités de Pékin en 2016, tous les Hongkongais sont conscients qu’avec cet amendement de loi qui facilite les procédures d'extradition, nul ne serait plus à l’abri de l’arbitraire du système judiciaire chinois. En exerçant un droit d'extradition sur ce hub mondial où transitent les citoyens du monde entier, Pékin disposerait d'une arme de dissuasion massive contre les pays comme les États-Unis.

Traitres à la patrie

En outre, la propagande chinoise a choisi de jouer sur la corde sensible du nationalisme en assimilant la révolte des Hongkongais à une velléité indépendantiste. Depuis des années, les autorités chinoises tentent de souder, par un discours du nationalisme patriotique, une opinion publique susceptible de remettre en cause la légitimité du parti. L’unification du pays est un thème récurrent du discours officiel. Si celui-ci se focalise surtout, depuis l’arrivée du PCC au pouvoir, sur Taïwan, le Tibet et le Xinjiang, la rétrocession en 1997 de Hongkong, ancienne colonie britannique, a néanmoins été présentée comme le symbole d’une Chine retrouvant son honneur après un siècle d'humiliation. Ainsi, Les images de certains Hongkongais brandissant les drapeaux anglais et américain ont suscité un tollé sur les réseaux sociaux en Chine. Pour les Chinois du continent, les jeunes Hongkongais connaissent mal leur histoire et toute tentation de rester à l'écart de la mère patrie et des frères chinois est considéré comme un crime condamné d'office.

Cependant, selon un sondage effectué par l'Institut de recherche sur l'opinion publique de Hongkong à la fin du mois d'octobre, seul 11 % de Hongkongais se prononcent pour l'indépendance de Hongkong[2]. D’ailleurs aucun des quatre leaders pro-démocrates désignés par Pékin comme instigateurs d’un mouvement indépendantiste, dont le jeune leader emblématique du mouvement des parapluies en 2014, Joshua Wong, ne réclame l’indépendance de Hongkong ou ne remet en cause le statut de « un pays deux systèmes ». Des décennies de propagande ont pourtant produit leurs effets, et toute protestation contre la politique gouvernementale à Hongkong, au Tibet ou au Xinjiang, est perçue comme une tentative du séparatisme.

La propagande chinoise a également attribué les protestations à la situation économique de Hongkong, faisant croire que c'est le déclin économique et le prix de l’immobilier qui ont poussé les jeunes à sortir dans la rue. Mais s'il est vrai que la situation économique des jeunes Hongkongais est moins avantageuse que celle de leurs aînés, les préoccupations matérielles ne figurent aucunement sur la liste des cinq revendications qu’ils scandent depuis des mois. Ces cinq revendications comprennent le retrait officiel du projet de loi autorisant les extraditions (ce qui a été fait dernièrement), le retrait de la qualification « d’émeutes » pour les manifestations du 12 juin, les premières ayant donné lieu à des violences, la libération sans poursuite des manifestants arrêtés, la création d’une commission d’enquête indépendante sur les exactions policières et la mise en place immédiate du suffrage universel. C’est pourquoi lorsque l’actuelle cheffe exécutive de Hongkong, Carrie Lam, a proposé des solutions économiques pour la sortie de crise, elle a été huée par les pro-démocrates, jugeant insultant son flagrant refus de prise en compte des revendications des manifestants.

Une réaction en trompe-l’œil

Ainsi, la plupart des Chinois ignorent ce qui se passe réellement à Hongkong. L'opinion en Chine semble être majoritairement opposée aux manifestations à en juger par les posts sur les réseaux sociaux. Cependant l'opinion publique, appelée par le ministère des Affaires étrangères « les sentiments du peuple chinois », est difficilement mesurable puisque toutes les opinions qui ne vont pas dans le sens du gouvernement sont censurées – et d’autant plus dans le cas d’affaires sensibles. C’est pourquoi le président de l'Institut Chine de l'Université de Fudan à Shanghai, Zhang Weiwei, lors de son récent passage à Paris, a suscité beaucoup d'interrogations lorsqu'il a affirmé, au sujet de l'affaire de la NBA (un incident diplomatique provoqué par un tweet de soutien aux Hongkongais d’un joueur de basketball américain), que le respect des valeurs américaines ne doit pas entrer en conflit avec « les sentiments du peuple chinois », et que 80% des Chinois sont opposés les manifestants de Hongkong. Zhang Weiwei s'est cependant bien gardé de justifier le calcul de ce pourcentage.

En effet, une partie de la population en Chine n’est pas réceptive à la propagande. Certains vont même jusqu'à exprimer leur soutien aux Hongkongais, mais ils sont souvent arrêtés par la police et interdits de s'exprimer sur les réseaux sociaux. Il est difficile de connaître le nombre de personnes arrêtées, mais à en juger par le silence de plomb sur Wechat à propos de ce qui se passe à Hongkong, on peut déduire que les autorités ont redoublé les moyens de surveillance. En effet, comme l’explique la sociologue Minnie Li, installée depuis neuf ans à Hongkong, de nombreux Chinois se méfient des informations diffusées en Chine, ayant parfaitement conscience de leur manipulation par le gouvernement. Néanmoins, comme le souligne Minnie Li, leur méfiance s’étend à l’ensemble des médias internationaux, jugeant qu’ils manipulent, tout autant que la RPC, les informations. Ignorant le fonctionnement d’une presse libre, quitte à être manipulés, ils préfèrent l’être par la propagande chinoise plutôt que par la propagande occidentale.

Cette logique est partagée par de nombreux Chinois résidant à l'étranger, qui ne sont pas mieux informés que leurs concitoyens restés en RPC. C’est ainsi qu’on a pu assister à des scènes étonnantes,  des fils de riches expatriés Chinois défilant dans des voitures de luxe, notamment sur la 5e avenue à New York, en brandissant des drapeaux pour exprimer leur patriotisme ; tandis qu’en Australie, en France et ailleurs, des contre-manifestations se sont organisées pour protester contre le soutien aux Hongkongais, dont les participants ne semblaient pas connaitre les véritables raisons des manifestations à Hongkong…

Ainsi le 16 août dernier, place Saint-Michel à Paris, une centaine de Chinois vivant en France scandaient « je suis chinois, tu es chinois, nous sommes chinois » à l'adresse des dizaines de Hongkongais manifestant sur place leur soutien au mouvement. Il est difficile d’imaginer ce genre de manifestation en France sans l'impulsion de l'ambassade de Chine : les manifestants n'étaient probablement pas là de leur propre initiative. Les ambassades chinoises à l’étranger disposent traditionnellement des réseaux efficaces pour faire passer le message, notamment à travers des associations d’étudiants. Mais force est de constater que beaucoup de Chinois vivant en France ne semblent pas être plus au courant de ce qui se passe à Hongkong que leurs concitoyens vivant sous la censure en Chine. Sans compter la barrière de la langue (du pays de résidence), l'habitude de s'informer sur les réseaux sociaux chinois fait que les Chinois, quel que soit l'endroit où ils vivent, utilisent tous les mêmes canaux d'information. En outre, pour nombre d’entre eux, les médias occidentaux manipulent les informations tout autant que les médias chinois : ils ne livrent pas des faits, seulement leur point de vue, ni plus ni moins valable que celui du Pcc. Il existe cependant un grand nombre d'étudiants chinois en Occident qui soutiennent les hongkongais mais ils n'osent pas s'exprimer ouvertement par peur de la répression.

Le sentiment anti-hongkongais du peuple chinois, brandi par Pékin pour justifier les représailles contre la NBA ou d’autres organisations occidentales, est donc le résultat d’un enseignement qui vise, depuis des décennies, à priver les citoyens de toute capacité d’analyse critique.

 

 

[1] Frédéric Lemaître, « La Chine bloque le quart des médias étrangers présents sur son territoire », Le Monde, 23 octobre 2019.

[2] Voir le site du Hongkong Public Opinion Research Institute (www.pori.hk).