Le message a été relayé des dizaines de milliers de fois sur Facebook. Pour alerter sur le gaspillage alimentaire, plusieurs internautes ont souhaité montrer en images l’ampleur du phénomène.
Ce que disent les internautes
Plusieurs publications, exposant les trois mêmes photos, ont été largement partagées tout au long du mois de novembre. En remontant à la source, on constate que la première mention date du 18 octobre, deux jours après la journée nationale de lutte contre le gaspillage alimentaire.
Le texte indique :
« Voilà ce que l’on fait des produits alimentaires qui ont un défaut. Un SCANDALE, alors qu’il y a tellement d’associations pour récupérer ces denrées si utiles aux personnes qui n’ont rien. »
Toutes ces publications montrent les mêmes clichés de nourriture, semble-t-il en état d’être consommée, mais sur le point d’être jetée ou détruite. L’intention d’alerter sur le fléau du gaspillage alimentaire est plus que louable, mais ces trois photos n’ont pas été prises en France, contrairement à ce que semblent indiquer ceux qui les ont partagées.
POURQUOI CES IMAGES SONT DÉCONTEXTUALISÉES
La première image date de mars 2018. Elle a été prise par le photographe de l’agence Reuters, Ben Nelms, à l’usine Enterra Feed de Langley, en Colombie-Britannique (Canada).
Comme l’indique la légende, cette photo montre « une ouvrière jetant des invendus alimentaires avant qu’ils ne soient donnés pour alimenter les larves de mouches soldats noires ». Grâce aux insectes, et notamment à l’élevage de la mouche soldat noire, l’entreprise EnterraFeed produit en Amérique du Nord des farines protéinées pour les animaux domestiques ou d’élevage, tout en réduisant l’impact sur l’environnement. Au Canada, les larves de ces mouches ont déjà été utilisées pour nourrir des saumons d’élevage. Ces produits alimentaires ne sont donc pas simplement jetés à la poubelle comme le sous-entendent les internautes.
La deuxième image n’a pas non plus été prise en France. On en retrouve la trace dans des articles britanniques en 2016, évoquant la lutte contre le gaspillage alimentaire. D’ailleurs, en observant précisément les inscriptions qui se trouvent sur la benne, on peut lire le mot London, pour Londres. De plus, sur la plaque du véhicule qui tracte le conteneur est inscrit le mot warning, qui signifie « attention » en anglais. On n’est définitivement pas en France. Impossible, en revanche, de savoir si ces aliments ont finalement été détruits.
Quant au troisième cliché, il ne montre pas une poubelle remplie de pain. Cette image a été prise en 2016, au Luxembourg, puis postée sur Facebook par un consommateur consterné. Plusieurs médias locaux ont rapporté cette histoire, qui avait poussé la boulangerie mise en cause à publier un communiqué d’excuses face au tollé provoqué.
Dix millions de tonnes d’aliments à la poubelle chaque année
Certes, ces photos sont publiées hors contexte, mais le gaspillage alimentaire est un phénomène bien réel, dont l’ampleur est inouïe. En France, 10 millions de tonnes de nourriture consommable sont jetées tous les ans, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Ce gâchis équivaut à 150 kg par habitant et correspond à l’émission de quelque 15,5 millions de tonnes de CO2.
Pour lutter contre cela, Edouard Philippe a annoncé en juin 2019 vouloir prendre des mesures « qui consisteront en l’interdiction de l’élimination des invendus » d’ici à 2023. Le gouvernement avait d’ailleurs chiffré ce gaspillage à plus de 600 millions d’euros de produits détruits ou mis à la poubelle chaque année.
Le projet de loi antigaspillage a été adopté par le Sénat le 27 septembre 2019. Il prévoit « l’interdiction de l’élimination des invendus non alimentaires ». Ces produits seront « orientés prioritairement vers le réemploi, la réutilisation et le recyclage ». Les lois Garot (2016) et Egalim (2018) encadraient déjà les invendus alimentaires, mais la nouveauté apportée par le gouvernement concerne les produits non alimentaires, dont les invendus en matière d’hygiène et de beauté représentent « la plus grande part des produits actuellement éliminés ».
Le texte étend aussi aux professionnels des halles et marchés « l’obligation de proposer aux associations les denrées invendues encore propres à la consommation et donner en priorité les produits dits nécessaires à des associations de lutte contre la précarité ».
Contribuer
Réutiliser ce contenu