Meurtre d’Élodie Kulik : la cour d’assises pétrifée par l’enregistrement de son appel au secours

Sur les bancs de la partie civile au procès de Willy Bardon, les proches de la jeune femme tuée en 2002 dans la Somme sont au supplice. Certains se bouchent les oreilles.

 Jacky Kulik, le père de la victime, ce début de semaine.
Jacky Kulik, le père de la victime, ce début de semaine. AFP/Denis Charlet

    Les deux sonneries résonnent dans la salle de la cour d'assises, soudain plongée dans un pesant silence. Quelques secondes qui paraissent une éternité, tant les jurés et l'assistance, nombreuse, sont suspendus à cet enregistrement, dernier signe de vie d'Élodie Kulik. « Les pompiers? Allô? » distingue-t-on difficilement. Les mots de l'opératrice se perdent ensuite sous les cris stridents et les halètements de la jeune banquière, terrorisée et incapable de former des mots. Vingt-six secondes d'effroi, ou la supplication d' une femme qui sait qu'elle va mourir.

    Sur les bancs de la partie civile ce mardi, les proches d'Élodie sont au supplice. Certains se bouchent les oreilles, d'autres essuient leurs larmes et secouent la tête silencieusement. L'appel passé aux pompiers par la jeune femme, quelques minutes avant d'être violée puis étranglée le long d'une route de la Somme, dans la nuit du 10 au 11 janvier 2002, n'est pas que le symbole sonore de ce crime odieux. Il forme aussi la clé de voûte de l'accusation, dans ce procès très médiatique où les preuves manquent.

    Au cinquième jour du procès de Willy Bardon, 45 ans, jugé près de dix-huit ans après les faits, cet enregistrement a longuement été décortiqué par la cour d'assises, à Amiens. À près de dix reprises ensuite, équipés de casques pour tenter de pallier la mauvaise qualité de la bande-son, jurés, avocats, accusé écoutent et se concentrent. Derrière les cris déchirants de la victime, deux voix d'hommes, à peine audibles.

    L'une serait celle de Grégory Wiart, un homme confondu par son ADN en 2012 grâce aux progrès scientifiques, mais décédé entre-temps. La seconde, d'après l'accusation, appartiendrait donc à Willy Bardon, son meilleur ami de l'époque, un homme à la « sexualité débordante » selon ses propres mots, mais qu'aucun élément matériel ne relie à la scène de crime. Il crie depuis toujours son innocence.

    « Vite », « hein », « ça va aller », « non, faut mettre avec du… », « dis-moi ce qu'il faut faire », « passe-moi les clés »… Au fil des ans, pas moins de quatorze expertises ont été diligentées pour tenter de distinguer les quelques bribes prononcées par ces hommes, les bourreaux d'Élodie. Moins de quatre secondes sur les vingt-six de l'enregistrement, « nettoyé » avec diverses techniques, sont exploitables. Quatorze analyses, et autant de retranscriptions différentes… En fin de journée, même la présidente s'y essaie, suivie de Willy Bardon. « J'entends éteins tes lumières et coupe la batterie », lâche l'accusé, impassible lors de toutes les écoutes. « Si vous écoutez plusieurs fois, vous n'entendrez pas la même chose à la dixième écoute, ni même à la trentième… », met en garde un expert de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN).

    Pas de consensus non plus sur les paroles prononcées par Élodie : « au secours », « ils m'ont… » ou encore « ils m'assassinent », selon les versions. « On a plusieurs voix d'hommes, au moins deux. Mais on ne peut pas jurer qu'il n'y en ait pas un troisième », précise aussi un expert du laboratoire de police technique et scientifique, ajoutant encore à la confusion et appelant à la prudence. Car si les mots prononcés manquent, les éléments pour les attribuer de façon certaine à Willy Bardon font également défaut. Certes, plusieurs de ses proches, parfois en larmes, l'ont reconnu sur la bande-son lors de leur garde à vue. D'autres encore l'ont identifié avec succès lors d'un test à l'aveugle, avec des probabilités frôlant les 100 %, selon un rapport sur lequel s'appuie l'accusation. Mais son rédacteur, aujourd'hui décédé, apparaît décrié par la communauté scientifique.

    « Les expertises réalisées à l'oreille ne relèvent pas du domaine de la science », tacle ainsi un universitaire cité par la défense, avant de mettre en cause les diplômes et la bonne foi de cet homme, acousticien de formation et expert autoproclamé, pourtant régulièrement sollicité par la justice. « Dans des expertises qu'il m'a été donné de lire, il a écrit des éléments pour tromper le lecteur, et pas par méconnaissance. Il utilise un verbiage pour donner une impression scientifique. J'ai lu une vingtaine de ses travaux, il n'y a rien à en tirer », assène-t-il encore, avant de conclure : « dans de telles conditions d'écoute, la fiabilité est proche de zéro ».

    « Est-ce très scientifique de dire cela alors que vous n'avez pas écouté cet enregistrement ? » bondit Me Didier Seban, avocat de la famille Kulik, visiblement contrarié. « On sait reconnaître la voix d'un proche, d'un homme politique, d'un comédien. Qui ne reconnaîtrait pas Depardieu ? » « La capacité à reconnaître des voix est limitée », insiste l'expert. Reste enfin le contexte dans lequel les proches de Willy Bardon ont été amenés à l'identifier, une garde à vue qui pourrait avoir biaisé leur réponse… Seront-ils aussi convaincus à la barre qu'ils l'ont été à l'époque ? Réponse vendredi.