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Pourquoi la disparition massive des insectes est inquiétante

Un papillon de l'espèce vanessa braziliensis à Buenos Aires, en Argentine, en septembre 2019

Un papillon de l'espèce vanessa braziliensis à Buenos Aires, en Argentine, en septembre 2019 - Ronaldo Schemidt-AFP

Météo des neiges
Une nouvelle étude d'envergure confirme que les insectes sont de moins en moins nombreux et de moins en moins divers. Un déclin qui n'est pas sans conséquence.

Adieu trichoptères, hyménoptères et éphémères. Il n'y a pas que les ours polaires et les jaguars qui sont menacés de disparition. Les lépidoptères et les plécoptères le sont elles aussi. Et c'est tout aussi grave. Car les populations d'arthropodes - cette grande famille qui se compose d'un million et demi d'espèces de crustacés, papillons, araignées, scorpions, mille-pattes et autres insectes - sont en chute libre.

De moins en moins d'insectes

Selon une enquête allemande publiée fin octobre dans la revue Nature, les individus ont diminué de 78% dans les prairies et le nombre d'espèces a baissé de 36% dans les forêts en seulement une dizaine d'années. Un tiers des espèces a même disparu, assure l'université technique de Munich dans son communiqué. Dans le détail, les chercheurs ont étudié quelque 2700 espèces dans un peu moins de 300 prairies et sites forestiers de trois régions d'Allemagne pour parvenir à cette conclusion.

Pour Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS au Muséum d'histoire naturelle, la situation serait similaire en France bien qu'aucune étude de cette envergure n'ait encore été réalisée. "Ce sont les mêmes types de paysages qui subissent les mêmes pressions environnementales", indique-t-il à BFMTV.com. Alors que la France métropolitaine compte quelque 40.000 espèces d'insectes, la tendance serait aussi à une baisse de l'abondance et de leur diversité.

"Si les populations diminuent cela ne signifie pas pour autant qu'elles vont s'éteindre", ajoute cet écologue. "Mais il y a clairement un appauvrissement qui pose question."

40% des espèces menacées d'extinction

Ce n'est pas la première étude alarmante sur le sujet. De l'autre côté de l'Atlantique, des chercheurs américains ont récemment observé une baisse de 83% des coléoptères dans une forêt du New Hampshire, dans le nord-est des États-Unis, en quarante ans. Une précédente étude allemande pointait elle aussi la baisse considérable de 76% - et jusqu'à 82% au milieu de l'été - de la biomasse des insectes volants en un peu moins de trente ans. En clair, il y a moins d'espèces et moins d'individus.

En début d'année, un rapport publié dans Biological Conservation se basant sur un total de 73 études scientifiques a conclu que plus de 40% des espèces d'insectes sont menacées d'extinction. Selon le scientifique australien à l'origine de cette synthèse, la planète fait face "au plus massif épisode d'extinction" depuis la disparition des dinosaures. Il craint même que plus aucun insecte ne peuple la Terre d'ici cent ans.

Des disparitions en chaîne

Des disparitions qui ne sont pas sans conséquences. La première sur les espèces qui les consomment, comme les oiseaux, les amphibiens, les poissons ou les chauves-souris. Certaines études ont montré le lien direct entre la baisse des populations d'insectes et le déclin de certains vertébrés. Créant ainsi des disparitions en chaîne, pointe pour BFMTV.com Samuel Jolivet, directeur de l'Office pour les insectes et leur environnement.

"Les oiseaux qui dépendent de la nourriture en insectes, notamment pour nourrir leurs petits, disparaissent du fait d'une moindre disponibilité de cette ressource."

"Sans pollinisateurs, pas de fruits ou de légumes"

Autre répercussion cette fois sur la biodiversité végétale: avec la disparition des pollinisateurs - dont les abeilles, bourdons et papillons - les plantes qui en ont besoin pour se reproduire pourraient être impactées, affectant directement la survie humaine. Selon Greenpeace, 75 % de la production mondiale de nourriture dépend des insectes pollinisateurs. "Sans pollinisateurs, pas de fruits ou de légumes", poursuit Samuel Jolivet. "Et pas d'agriculture non plus."

"Toutes ces espèces font partie de l'équilibre naturel de la vie sur Terre", ajoute-t-il. "On a beaucoup parlé de la disparition de certains animaux, comme le panda, et les insectes sont passés à l'as. On s'est longtemps concentré sur la protection de la nature extraordinaire. Mais à présent, c'est même la nature ordinaire qui est en danger. C'est là où cela devient catastrophique. C'est la nature derrière notre porte, dans notre jardin qui est impactée."

Repenser le modèle agricole

Parmi les responsables: l'agriculture intensive, l'utilisation des pesticides, l'urbanisation et la destruction des habitats naturels. Pour Samuel Jolivet, de l'Office pour les insectes et leur environnement, il est urgent de repenser et de changer radicalement de modèle agricole. "La permaculture et l'agriculture biologique sont des pistes mais encore trop minoritaires. Et encore pour cette dernière, on voit déjà ses travers lorsqu'elle s'industrialise."

Un retour à la nature s'impose, estime pour sa part Michel Renou, directeur de recherche en biologie des insectes à l'Inra. "Les grandes plaintes céréalières et la monoculture ont énormément modifié le paysage", dénonce-t-il pour BFMTV.com. Il pointe l'uniformisation des milieux.

"Certaines espèces, comme le bousier, contribuent à la dégradation et au recyclage de la matière. D'autres, qui vivent dans les litières des sols, contribuent à leur fertilisation. Une pelouse tondue ou un bord de route fauché ne remplacera pas un milieu naturel. Cela supprime toute une flore source de nourriture et donc toute une diversité d'insectes."

"Apprécier le vivant pour ce qu'il est"

C'est également le point de vue du chercheur Philippe Grandcolas qui remarque que la simplification et l'homogénéisation du paysage auront des conséquences à long terme. "Cela a plutôt tendance à profiter aux espèces généralistes. Mais même pour celles-ci, il n'est pas impossible qu'un changement particulier qui paraisse au premier abord minime n'affecte pas leur développement. On aura toujours des insectes, mais peut-être pas les espèces que l'on attendait."

Pour l'entomologiste François Lasserre, auteur de Les Insectes en bord de chemin, la première cause du déclin des populations d'insectes demeure l'occupation humaine de l'espace. "Un golf, c'est un désert de vie pour les insectes", regrette-t-il pour BFMTV.com. "Agriculteurs comme citoyens, on ne laisse pas la faune vivre. Pour les insectes qui ne trouvent plus leur plante hôte, il n'y a pas de plan B."

Également vice-président de l'Office pour les insectes et leur environnement, François Lasserre cite l'exemple du papillon azuré: "Il a besoin d'une plante précise pour pondre, cette dernière a besoin de conditions particulières pour pousser et ses chenilles ne se nourrissent que de fourmis spécifiques."

Stop au jardin à la française

Selon François Lasserre, il faut avant tout réapprendre à cohabiter avec les insectes.

"Nos jardins, les arbres, les haies, il faut laisser les endroits vivre naturellement et lutter contre cette tendance à vouloir tout tailler typique du jardin à la française."

Cet amoureux des insectes invite à changer de regard. "On a trop souvent une attitude belliqueuse vis-à-vis des insectes que l'on stigmatise et que l'on veut systématiquement tuer alors qu'il n'y a que quelques individus qui nous piquent ou nous embêtent." Il appelle à dépasser cette vision anthropocentriste du vivant.

"Le vivant n'a pas à justifier son existence par un rôle écologique, que d'ailleurs l'humain n'a pas. Il faut l'apprécier pour ce qu'il est."
Céline Hussonnois-Alaya