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Patrick Pelloux : "Il faut entretenir la mémoire de Charb"
"Un jour, un chauffeur de taxi, probablement salafiste et pro-Frères Musulmans, le reconnut dans le quartier de Belleville et s’arrêta pour le dénoncer à la foule. Il avait eu très peur et était parti en courant."

Patrick Pelloux : "Il faut entretenir la mémoire de Charb"

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Après "On ne meurt qu'une fois, et c'est pour si longtemps !", l’urgentiste le plus connu de France poursuit son récit des derniers jours des grands hommes dans "Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux". A travers ces 21 chroniques, on croise Mahomet, François Ier, Marie-Antoinette, Verlaine, Van Gogh, Napoléon ou encore Charb...

Marianne : Charb aux côtés de François 1er et Napoléon, ça l’aurait fait marrer non ?
Patrick Pelloux :
Oui (rires) ! J’ai commencé ce bouquin dès 2013 mais j’ai arrêté en 2015 après les attentats. J’ai repris il y a deux ans et demi et j’ai sélectionné le casting au fil de mes envies et de mes recherches. Claude Debussy, par exemple, n’était pas prévu. J’étais en résidence d’écriture à la Villa Médicis et j’ai découvert que la bibliothèque conservait son carnet intime.

Charb, c’était un grand homme ?
En tous cas, c’est quelqu’un qui a apporté énormément à la presse et au dessin de presse. Ca peut paraître dérisoire mais ça peut rester. J’ai dit un texte lors de ses obsèques mais ce sont des mots qu’on est si malheureux d‘écrire… Dans le livre, je voulais raconter l’homme formidable qu’il était. Il ne faut pas qu’il reste seulement un type assassiné à Charlie Hebdo. Il faut entretenir sa mémoire car ses livres disparaissent peu à peu des librairies… Finalement, ce qui est marrant avec la postérité, c’est que le politique n’a aucune prise dessus.

On pense à la BD de Luz, Indélébiles sortie l’an dernier...
Comme lui, j’ai voulu raconter que Charlie, c’étaient d’abord des gars qui faisaient des blagues. La genèse de tout ça, ce sont des mecs qui se fendent la gueule et cassent les codes. Dans la lignée de Rabelais et Molière. La satire, le blasphème, la caricature, c’est typiquement français.

En parlant de blasphème, votre premier chapitre est sur Mahomet et le dernier sur Charb…
(Rires) J’ai trouvé ça rigolo. Je pense que quelques islamistes vont réagir. Mais tout le monde se retrouve dans la mort. Chez Robert Laffont, le texte sur Mahomet a été lu et relu. On s’est engueulés, on s’est écharpés et il a fallu refaire des paragraphes. En septembre dernier, j’ai tout envoyé chier en disant que le livre ne se ferait pas. Finalement, les dirigeants ont été super intelligents et ont accepté ce chapitre. Pour éviter des polémiques, on a conclu avec « évoquer sa mort n'est pas blasphématoire. Que l'on soit croyant ou non, Mahomet fait partie de l'histoire de l'humanité et, comme toute religion, l'islam peut et doit être abordé aussi par des athées. » A côté de ça, quand j’écris que Hitler est le seul dirigeant européen à s’être recueilli sur la tombe de Napoléon, ça passe tout seul !

Vous racontez aussi que Charb avait eu maille à partir avec un taxi islamiste…
C’était après l’incendie criminel ayant visé les locaux de Charlie en 2011. Charb ne voulait pas emmerder sa protection. Souvent, il les renvoyait chez eux et sortait. Un jour, un chauffeur de taxi, probablement salafiste et pro-Frères Musulmans, le reconnut dans le quartier de Belleville et s’arrêta pour le dénoncer à la foule. Il avait eu très peur et était parti en courant.

Lui qui aimait se fondre dans les manifs qu’il contestait, il serait allé à la marche contre l’islamophobie ?
Il aurait détesté ça. Pour lui cette idée d’islamophobie faisait le jeu des racistes. Mais il serait peut-être allé voir. Il adorait se grimer pour faire ce genre de choses.

Et la présence de Mélenchon dans cette manif ?
Je pense que ce qui le séduisait beaucoup chez Mélenchon (qui a parlé lors de ses obsèques, ndlr), c’était justement la défense de la laïcité. Alors quand, d’un coup, on le voit aller à une manifestation avec le CCIF qui a dit que la laïcité était liberticide… J’ai l’impression qu’on a perdu un peu Mélenchon.

Ca devient quoi « Je suis Charlie » cinq ans après ?
Il ne faut pas baisser la garde sur la laïcité qui est attaquée de toute part. Le droit à la caricature, à l’humour et l’ironie est toujours largement malmené. On ne peut plus faire du deuxième, troisième ou du quatrième degré, tout est pris au premier. Et la bataille contre l’islam radical n’est pas finie. On l’a vu avec le récent attentat à la préfecture de police. Il faut combattre la montée de cet islam qui se veut politique. On ne peut pas se dire que l’évolution de la France, ce soit une mainmise de la religion qui écrase toutes les consciences.

Vous ferez quoi le 7 janvier 2020 ?
J’irai à la commémoration puis je boirai du champagne avec des amis.

Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux. Sortie le 28/11. Patrick Pelloux. Robert Laffont. 336 pages. 20 €.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne