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Monde

Les frustrations alimentent les révoltes de la planète

Il n’y a jamais eu autant de manifestations depuis les années 1960. Une vague causée par les inégalités et amplifiée par les réseaux sociaux.

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Hong-kong, Soudan, Liban, Bolivie, Espagne, France… Sans lien apparent, les révoltes récentes se répandent grâce aux réseaux sociaux, mais sont moins une révolution mondiale que la marque d’un nouveau statu quo.

Hong-kong, Soudan, Liban, Bolivie, Espagne, France… Sans lien apparent, les révoltes récentes se répandent grâce aux réseaux sociaux, mais sont moins une révolution mondiale que la marque d’un nouveau statu quo.

Il faut remonter à la fin des années 1960 pour trouver des mouvements de protestation d’une ampleur équivalente à ceux qui agitent aujourd’hui de nombreux pays. De nature spontanée, sans lien entre eux, ils sont nés de causes variées, depuis la taxe sur les conversations WhatsApp au Liban jusqu’à un projet de loi d’extradition à Hong-Kong. Si certains thèmes reviennent souvent - mécontentement économique, corruption, soupçons de fraude électorale -, il s’agit plus de coïncidences que de similitudes profondes.

Explication démographique

Soucieux de leur trouver une cohérence, les analystes avancent trois catégories d’explications : économiques, démographiques et conspirationnistes. L’aspect économique a joué un rôle important au Chili, où l’augmentation de 4 % du prix du ticket de métro a été la goutte d’eau dans une société de plus en plus inégalitaire. La gauche n’y voit qu’une nouvelle preuve du caractère dysfonctionnel du capitalisme. Comme le relève une revue socialisante australienne, « depuis plus de quatre décennies, les pays sont ravagés les uns après les autres par une politique néolibérale qui fait payer aux pauvres la crise croissante du système ». Il est vrai que même les partisans les plus acharnés des marchés libres considèrent la montée des inégalités comme une des racines de la colère.

L’explication démographique souligne que les jeunes sont souvent les plus prompts à manifester. Certains historiens font le parallèle avec les années 1960 où, comme aujourd’hui, « l’excédent de jeunes gens éduqués », suite à la généralisation de l’enseignement supérieur, fait qu’il y a plus de diplômés que d’emplois correspondants. Et pour ce qui est du conspirationnisme, on observe que nombre de gouvernements attribuent les désordres à d’obscures forces étrangères. Cuba et le Venezuela sont ainsi accusés d’attiser les mouvements latino-américains. Pourtant, aucune de ces théories n’explique l’ensemble des mouvements en cours.

Impuissance démocratique

Trois autres facteurs pourraient les compléter. Le premier, rarement évoqué, est que manifester dans la rue peut être plus excitant que la morne existence quotidienne. Et que quand tout le monde s’y met, la solidarité s’impose tout naturellement. Deuxième facteur, les smartphones facilitent considérablement l’organisation et la continuité des mouvements. Les messageries cryptées permettent aux activistes d’avoir un coup d’avance sur la police. Dernier facteur plus fondamental : les canaux politiques habituels apparaissent désormais stériles. Certains mouvements, comme en Algérie ou au Soudan, visent des régimes autocratiques où les élections ne sont qu’une farce.

Mais même des démocraties apparemment fonctionnelles sont touchées. Les gens se sentent aujourd’hui impuissants et ont le sentiment que leur vote ne compte pas. Une de ces raisons est l’inquiétude croissante suscitée par le changement climatique. Le mouvement de désobéissance civile Extinction Rebellion a rencontré un écho important dans plusieurs pays, du Royaume-Uni à l’Australie. Les émissions de gaz carbonique exigent à l’évidence des solutions au niveau global. Ce n’est pas un gouvernement, encore moins un bulletin de vote individuel, qui fera bouger les choses.

Frustration politique

Outre qu’ils facilitent les protestations, les médias sociaux contribuent sans doute à alimenter cette frustration politique. Ils génèrent des chambres d’écho qui à leur tour accroissent l’impression que les pouvoirs en place « ne nous écoutent pas ». L’affaiblissement du contrat qui constitue le cœur de la démocratie à l’occidentale - à savoir que les perdants, même s’ils sont majoritaires en voix, accepteront la gouvernance des vainqueurs jusqu’aux prochaines élections - pourrait être directement lié à ce phénomène. Les millions de manifestants n’acceptent pas la patience que cela implique. Aucune de ces tendances n’est prête à s’inverser. Aussi, à moins que la frustration ne finisse par faire baisser les bras aux manifestants, cette vague contestataire pourrait moins être le signe d’une révolution mondiale que la marque du nouveau statu quo.

Pékin ne peut pas reculer à Hong-kong
Face à la fronde des contestataires hong-kongais, et malgré la victoire écrasante des pro-démocraties aux élections locales, Xi Jinping n’entend céder sur rien. « Quiconque se livre au séparatisme dans une quelconque partie de la Chine sera réduit à l’état de poussière », faisait savoir le mois dernier le président chinois. Un avertissement à l’égard des « braves », surnom donné aux étudiants, transformés en combattants dans les rues de l’ex-colonnie britannique. Hors de question pour l’homme fort de Zhongnanhai (l’Elysée chinois) de laisser « ces criminels armés de cocktails Molotov », dixit la propagande, gagner du terrain. Trente ans après le massacre de Tiananmen, Xi donnera-t-il l’ordre à l’armée de « nettoyer » Hong-kong ? « La situation est désastreuse et Pékin pourrait être tenté de passer en force », redoute Jean-Pierre Cabestan, professeur de sciences politiques à l’Université baptiste de Hong-kong. Dans l’immédiat, je ne vois pas de sortie de crise ». Une chose est sûre : le président chinois joue gros. Ce « prince rouge » a toujours compté sur la seule légitimité du parti communiste pour asseoir son pouvoir. Pour lui, le PCC doit rester l’épicentre du système politique. Vue de Zhongnanhai, l’ouverture démocratique à Hong-kong n’est pas une option possible. « Le régime ne peut pas céder aux exigences des manifestants, car il prendrait le risque que d’autres crises similaires éclatent ailleurs dans le pays », considère un représentant - qui préfère garder l’anonymat - d’une ONG à Shenzhen. Pierre Tiessen

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