Les associations le redoutaient. Les premiers indicateurs le laissaient augurer. Le baromètre annuel de Recherches et solidarités, que La Croix publie en exclusivité, le confirme sans équivoque : l’année 2018 marque une rupture par rapport à la tendance historique qui voyait les dons aux associations progresser année après année.

Basé sur l’étude de données exhaustives transmises par Bercy, le baromètre révèle une chute inédite des dons déclarés par les contribuables. Le recul reste modéré pour les dons ouvrant droit à une réduction d’impôt sur le revenu. Il est brutal pour ceux offrant une réduction d’impôt sur la fortune, l’ISF hier, l’IFI aujourd’hui.

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Bien sûr, les responsables associatifs savaient que la réforme de l’imposition sur la fortune allait leur coûter cher. En 2017, dernière année de l’ISF, les dons avaient culminé à près de 270 millions d’euros. Pour 2018, première année de l’IFI qui touche bien moins de contribuables, le secteur tablait sur une baisse d’environ 50 %. L’effondrement s’avère plus sévère que les prévisions les plus pessimistes : les associations n’ont finalement collecté que 112 millions d’euros.

Recul de l’engagement financier des plus aisés

Cette chutede 60 % des dons ISF s’accompagne d’une autre déception. En effet, beaucoup de trésoriers d’associations nourrissaient l’espoir que les contribuables sortant de l’ISF allaient continuer, voire renforcer leurs dons, en les reportant sur leur impôt sur le revenu. Cette espérance est battue en brèche par les chiffres.

L’étude permet en effet de mesurer que les dons des foyers les plus aisés n’ont nullement bondi dans les déclarations de revenu. Au contraire, dans les ménages déclarant plus de 78 000 € de revenu annuel, le don moyen s’effrite, passant de 1 271 € en 2017 à 1 217 € l’année dernière. « Ceux qui ont beaucoup gagné avec la disparition de l’ISF, n’ont pas profité de ce surcroît de pouvoir d’achat pour donner davantage », s’étonne Jacques Malet, président du réseau d’experts Recherche et solidarité.

Ce constat suscite évidemment une déception mêlée d’amertume pour le monde associatif. « Les experts et le gouvernement assurent qu’il est trop tôt pour dire où est allé l’argent économisé par ceux qui payaient l’ISF. Nous, nous savons maintenant qu’il n’est pas allé dans la générosité », déplore Pierre Siquier, président de France générosités, l’organisme regroupant les grandes associations.

2018, année noire pour les dons aux associations

Ce recul de l’engagement financier des plus aisés n’est, hélas !, pas le seul signal d’alerte du baromètre. En effet, c’est l’ensemble des dons imputés à l’impôt sur le revenu (IR) qui régresse. La baisse demeure limitée (moins de 2 %) mais elle vient rompre une progression qui ne s’était jamais démentie depuis des décennies.

L’érosion du don à l’impôt sur le revenu représente une perte financière de 50 millions d’euros (sur un total de 2,5 milliards d’euros) pour les associations. À vrai dire, ce n’est pas vraiment une surprise tant les nuages s’étaient amoncelés en 2018, explique Jacques Malet. : « Entre la hausse de la CSG, le prélèvement à la source, la directive sur les données personnelles qui a compliqué la collecte, le mouvement des gilets jaunes, beaucoup pensaient que la baisse serait bien plus forte. Finalement, on a plutôt limité les dégâts. »

Des donateurs de plus de 60 ans

Ce recul inédit provient de la baisse du nombre de foyers donateurs, passé de plus de 5,2 millions en 2017 à tout juste 5 millions en 2018. Un affaissement qui prolonge et amplifie un mouvement amorcé voilà plusieurs années déjà. « Il y a une attrition du vivier des donateurs. Ceux qui continuent à donner ont tendance à se montrer un peu plus généreux, mais ils sont de moins en moins nombreux », détaille Jacques Malet.

Depuis 2013, le nombre de ménages déclarant au moins un don a ainsi baissé de 10 %. Soit une perte d’un demi-million de foyers donateurs. Pour le reste, le portrait-robot des plus généreux ne change guère. En 2018 aussi, ce sont encore et toujours les plus âgés et les ménages relativement aisés qui constituent les gros bataillons des donateurs et fournissent l’essentiel des ressources.

Ainsi, les plus de 60 ans représentent à eux seuls près de 55 % des donateurs et 60 % des montants collectés. C’est aussi dans cette tranche d’âge que la pratique du don est, de loin, la plus répandue, avec plus de 20 % de foyers déclarant des dons.

Pour autant, les plus jeunes ne sont pas forcément moins généreux. Certes, les moins de 30 ans sont bien moins souvent donateurs puisque seuls 3 % d’entre eux ont déclaré un don. Mais lorsqu’ils font le choix de donner, ils y consacrent une part importante de leurs ressources, soit 2,3 % de leur revenu. C’est plus que toutes les autres classes d’âge, à l’exception des plus de 70 ans.

« Jamais trop tard »

Évidemment, les ménages les plus aisés ont plus de facilités à donner. Ainsi, note Recherches et solidarités, « les foyers fiscaux dont le revenu annuel dépasse 78 000 € représentent 8 % des foyers imposables, 15,5 % des donateurs et 32,5 % des montants déclarés ». Pour autant, les plus modestes des ménages imposables n’ont pas déserté le terrain de la générosité. C’est même chez eux que le don moyen a le plus progressé par rapport à l’année précédente, pour atteindre 242 € en 2018.

Tout compte fait, le cumul des dons déclarés à l’IFI et à l’impôt sur le revenu atteint 2,7 milliards d’euros en 2018. Cette baisse globale de 6 % fait de 2018 une année noire pour les associations. Pour le reste, nul ne sait si ce premier recul restera comme un accident ou marquera au contraire le début d’une période de baisse durable des dons.

Pour 2019, les jeux ne sont pas faits, car le mois de décembre reste un moment décisif pour la collecte. Comme le rappelle avec insistance Pierre Siquier, « il n’est jamais trop tard pour donner ».