Pourquoi supprimer le régime spécial des cheminots va coûter cher à l’Etat
Selon un document confidentiel de la SNCF, plus vite est supprimé le régime spécial des cheminots et plus la note est salée pour les caisses de l’Etat.
Mettre fin au régime spécial des cheminots -un point prévu dans la réforme des retraites menée actuellement par le gouvernement- va coûter très cher aux finances publiques. Voilà ce qui ressort d'un rapport confidentiel commandé par la direction de la SNCF en mars 2017.
Peu avant la présidentielle 2017, Guillaume Pepy, alors patron du groupe ferroviaire, missionne une conseillère d'Etat pour expertiser le régime de retraite des cheminots créé en 1909. À deux mois du premier tour, Emmanuel Macron apparaît comme le challenger de la présidentielle. Et dans son programme, l'ancien ministre de l'Économie propose la création d'un régime de retraite universel. Autrement dit, la fin des régimes spéciaux et notamment celui des cheminots.
Dans ce contexte, « l'entreprise souhaite être en capacité de répondre aux éventuelles sollicitations des parties prenantes publiques, écrit Guillaume Pepy dans sa lettre de mission, afin de garantir la prise en compte de ses contraintes économiques et sociales. »
«Un surcoût lié à la perte de toute cotisation»
Le résultat est un document de 68 pages, remis en juillet 2017 à la direction de la SNCF, soit deux mois après l'entrée d'Emmanuel Macron à l'Elysée. Le rapport propose notamment différents scénarios d'extinction du régime spécial. Ceux-ci varient en fonction de la fin plus ou moins rapide de l'embauche au statut et donc de la baisse du nombre de cheminots qui cotisent au régime spécial. Mais tous ont un point commun : une « bosse de financement », à la charge de l'Etat, sur la période 2030-2075.
Concrètement, entre 2052 et 2059, l'Etat devra débourser environ 3,8 milliards d'euros par an contre 3,3 milliards actuellement pour équilibrer le régime. La subvention diminuera ensuite pour atteindre 1,5 milliard en 2075 et moins de 10 millions d'euros entre 2100 et 2110. A contrario, il apparaît que le scénario de référence, en cours avant l'extinction du statut au 1er janvier, prévoit pour l'Etat une facture de « seulement » 2,5 milliards vers 2030, qui se stabilise ensuite dans une fourchette de 1,5 à 2 milliards.
En d'autres termes, éteindre plus vite le régime spécial des cheminots coûterait plus cher à l'Etat à court terme. Presque une fois et demie de plus dans la période 2045-2070 que si la situation actuelle se poursuivait. « Toute extinction du régime créera un surcoût lié à la perte de toute cotisation », écrit celle qui est aussi inspectrice générale des affaires sociales.
Une transition de trente ans environ
En revanche, le scénario d'une extinction immédiate du régime spécial, sans même la clause grand-père, tel qu'imaginé pour le moment par le gouvernement, n'est pas étudié par l'autrice. Et pour cause, selon la conseillère d'Etat, une période de transition est obligatoirement nécessaire : « Compte tenu de l'attachement des agents au régime spécial, facteur d'identité, il est raisonnable d'opter pour une durée suffisante qui permet le recul et la sérénité de la communication. »
Elle propose une transition longue de trente ans environ. Pourquoi ? Celle-ci aurait l'avantage d'un « moindre impact financier sur le solde du régime spécial » et la « sérénité sociale », résume-t-elle.
« Mais attention, averti une source à la SNCF. Ce rapport reste une extrapolation. Lors de sa rédaction, comme aujourd'hui, la réforme gouvernementale des retraites n'était pas connue. Nous ignorons son impact sur le niveau des cotisations. Mais il donne déjà de bonnes indications. » Contacté, le Haut-Commissariat à la réforme des retraites n'était pas en mesure de commenter un document interne de la SNCF.
La retraite à 65 ans chez l'équivalent allemand de la SNCF
Au passage, le rapport glisse de nombreux chiffres. Ainsi, la pension moyenne mensuelle brute perçue par les retraités de la SNCF était de 2063 euros en 2016 (1887 euros pour la pension médiane). Quant à l'âge de départ à la retraite, il s'établissait en moyenne, en 2016, à 53,5 ans pour les conducteurs et à 57,6 ans pour les autres salariés de la SNCF. Depuis, les chiffres ont évolué. Ainsi, en 2018, les conducteurs sont partis en moyenne à 53,6 ans et les autres à 58,1 ans. Et la pension moyenne en 2018 était de 2112,4 euros brut par mois.
L'écart qui demeure avec le régime général (62 ans) ne se justifie plus, selon le rapport. Notamment au regard de ce qui existe Outre-Rhin. D'après le document, les conducteurs de la Deutsche Bahn, l'équivalent allemand de la SNCF, restent en activité jusqu'à 65 ans, voire au-delà.