La future loi pour l'émancipation économique des femmes sera portée par Bruno Le Maire et Marlène Schiappa (ici lors de la ministérielle de préparation au G7 de Biarritz, en juillet 2019), qui ont lancé le 3 décembre une grande consultation publique sur le sujet.

La future loi pour l'émancipation économique des femmes sera portée par Bruno Le Maire et Marlène Schiappa (ici lors de la ministérielle de préparation au G7 de Biarritz, en juillet 2019), qui ont lancé le 3 décembre une grande consultation publique sur le sujet.

Ministère de l'Economie et des Finances

À peine le Grenelle des violences conjugales clôturé, le gouvernement ouvre un nouveau chantier sur l'égalité femmes-hommes, cette fois-ci dans le champ économique. La secrétaire d'Etat Marlène Schiappa et le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire lancent le 3 décembre une grande consultation publique en ligne sur le projet de loi pour l'émancipation économique des femmes qui doit être présenté en conseil des ministres au premier semestre 2020.

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Deux-tiers des Français considèrent que la situation actuelle est insuffisante selon une étude réalisée par l'institut Harris fin novembre et révélée à cette occasion. Principaux sujets de mécontentement : les inégalités en matière de salaires et d'accès aux postes à responsabilité dans les entreprises. Une énième loi pourra-t-elle améliorer l'égalité dans le monde professionnel ? Les deux ministres comptent bien faire bouger les lignes, notamment dans les comités de direction des entreprises. Explications.

L'Express : N'est-ce pas choquant qu'en 2019 la France ait besoin d'une loi pour l'émancipation économique des femmes ?

Marlène Schiappa : Ce qui serait plus choquant, c'est de ne rien faire. Le World Economic Forum a calculé que, si on ne fait rien, ou si on laisse les choses aller à leur rythme, l'égalité femmes-hommes dans l'entreprise sera atteinte en 2234 ! Ce n'est pas acceptable. Regardez les salaires : on constate encore un écart de 9 à 27% entre les femmes et les hommes ! C'est pourquoi, avec Muriel Pénicaud, nous avons mis en place un index visant à assurer une obligation en matière d'égalité salariale. Regardez la carrière des femmes : des facteurs structurels les empêchent de progresser, notamment les injonctions liées à la maternité, ce qui fait dire aux sociologues que l'arrivée d'un enfant représente un "momy penalty" et un "daddy bonus" : un même fait produit des effets contraires sur la trajectoire professionnelle selon que l'on est une femme ou un homme. Regardez la création d'entreprise : seulement 30% de femmes sont entrepreneuses, alors qu'elles ont autant d'idées et d'envie de se lancer que les hommes.

Bruno Le Maire : Des progrès ont été accomplis. La loi Coppé-Zimmermann a marqué une étape importante et a produit de bons résultats. Par ailleurs, La loi sur l'avenir professionnel crée les conditions d'une vraie transparence. Mais nous sommes encore loin du compte. C'est révoltant car l'égalité entre les femmes et les hommes est au coeur de la culture française. Elle doit aussi être au coeur de notre économie. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Avoir un enfant peut avoir un impact négatif sur la carrière professionnelle d'une femme, plus rarement sur celle d'un homme. Une femme et un homme peuvent détenir le même diplôme, les mêmes compétences, la même fonction et, en 2019, ils n'ont toujours pas le même salaire. Un dernier exemple. Prenez la liste des comités exécutifs du SBF 120 et regardez le résultat : les femmes représentent moins de 20% des membres. Il y a toujours de bonnes raisons pour expliquer leur absence : "Il n'y a pas de vivier", "c'est trop compliqué". Avec Marlène Schiappa, nous sommes déterminés à faire de ce principe d'égalité entre les femmes et les hommes une réalité dans la vie économique française. C'est avant tout une question de justice et de culture. Et cela sera aussi bénéfique à notre économie.

Cela signifie-t-il que votre intention est de faire une loi d'action et non de principes ? Une loi avec des objectifs précis pour faire bouger les lignes, comme la loi Coppé-Zimmermann l'a fait sur les conseils d'administration ?

M.S. : Nous avons commencé à travailler sur cette loi il y a plusieurs mois déjà, lors de la préparation du G7 à Biarritz. Le conseil consultatif pour l'égalité femmes-hommes a remis un rapport avec 79 recommandations issues des meilleures législations du monde et Emmanuel Macron a proposé à tous les chefs d'Etat de travailler sur des lois qui fassent progresser la situation des femmes dans le monde. L'objectif est d'avoir un impact très concret.

B.L.M. : Ce sera une loi d'action. Les choses doivent changer. Un exemple, les comités exécutifs. J'en ai beaucoup discuté avec l'Afep et le Medef, ils ont des arguments parfaitement légitimes, ils nous expliquent que le comex n'est pas un organe juridique (donc pas soumis à la loi), qu'il est difficile de trouver des femmes qualifiées au sein de leur entreprise. Nous en tiendrons compte, mais nous pensons qu'il est possible d'apporter des réponses. Les comex doivent devenir plus paritaires. Pour cela, nous devons définir ensemble un calendrier et des objectifs.

>>> LIRE AUSSI : Le top 10 des comex les plus féminisés du SBF 120

Donc cela veut dire passer par des quotas ?

M.S. : Nous reconnaissons que le mot peut crisper certains... Parlons d'objectifs. Mais ne faisons pas de mauvais procès aux quotas : la loi Coppé-Zimmermann est l'une des plus efficaces en termes de résultats pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Elle a permis de faire passer la France du bas du classement européen à la tête de ce classement ! La preuve est faite : lorsque l'on cherche des femmes à faire évoluer dans l'entreprise, on en trouve. Certains considèrent que cela est vexant d'être nommées grâce à des quotas. En tant que femme, ce que j'estime vexant c'est de ne pas être nommée parce que je suis une femme ! S'il faut en passer par les quotas pour changer la culture, nous le ferons.

B.L.M. : Nous irons au bout des sujets. Nous avons mené beaucoup de consultations, avec les partenaires sociaux, les réseaux de femmes, les associations. Nous sommes conscients des obstacles. L'éducation est un premier moyen pour répondre au manque de femmes dans certains secteurs comme l'industrie et les nouvelles technologies. Comment faire pour inciter des jeunes filles à se tourner vers des métiers qui leur semblent fermés ? Comment faire pour briser les vieux clichés ? Nous ne pouvons pas accepter qu'il y ait aussi peu de femmes dans les formations d'ingénieurs. Il faut aller à la racine des problèmes.

M.S. : Le gouvernement a d'ailleurs confié une mission à Chiara Chorazza, directrice générale du Women's Forum, pour qu'elle fasse des propositions pour un meilleur accès des jeunes filles aux STEM et pour que ces filières soient plus attractives.

Un des reproches qui a pu être fait à la loi Coppé-Zimmermann, nonobstant son efficacité, c'est qu'elle s'adressait avant tout aux femmes dirigeantes. Quid de toutes les autres, moins privilégiées et moins audibles ?

B.L.M. : Nous n'agissons pas pour l'élite économique féminine. Toutes les femmes doivent être concernées. L'exemplarité compte, c'est vrai. Mais pour les questions de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle ainsi que pour les questions de carrière, toutes les femmes seront concernées.

M.S. : Il ne s'agit pas de faire réussir encore plus celles qui réussissent déjà seules. Quand on parle d'entrepreneuses, on ne parle pas forcément de femmes qui vont fonder des multinationales, on parle aussi de celles qui vont créer des activités, par exemple après leur maternité. Un sujet nous tient à coeur : soutenir les mères de famille qui doivent pouvoir retravailler après avoir élevé des enfants. Certaines s'arrêtent, par choix ou par obligation. Quand elles reviennent sur le marché de l'emploi, c'est extraordinairement difficile pour elles : ces femmes doivent pouvoir avoir un accès facilité aux formations, aux diplômes, en prenant en compte les compétences acquises.

Vous aviez évoqué il y a deux ans et demi une validation des acquis de l'expérience (VAE) pour les mères ayant élevé des enfants...

M.S. : Quand j'avais évoqué cette idée, certains avaient caricaturé le projet en disant "Marlène Schiappa veut donner un diplôme à toutes les femmes qui viennent d'accoucher". Cela n'a jamais été l'objet et cela montre à quel point les questions de maternité sont décrédibilisées dans le débat public. Nous allons en faire un sujet de politique publique : oui, gérer une famille, cela peut aussi être l'occasion de faire valider des acquis de l'expérience. Moi-même j'ai obtenu un diplôme de l'enseignement supérieur en VAE après avoir créé une entreprise en autodidacte. Je veux faciliter ce parcours aux autres mères.

B.L.M. : On peut très bien concilier reconnaissance d'un savoir-faire singulier acquis par la VAE et incitation à retourner plus rapidement au travail. Dans le cadre des consultations pour cette loi, nous posons la question de l'amélioration du congé parental et du congé paternité. Est-ce que la durée et la formule de rémunération du congé parental sont satisfaisantes, par exemple ? Plus une femme reste longtemps éloignée de son travail, plus elle aura du mal à le reprendre, et plus elle sera pénalisée pour son salaire et sa retraite.

L'allongement du congé paternité est donc aussi un chantier ouvert dans le cadre de cette future loi ?

B.L.M. : Le dispositif actuel peut être amélioré. Il crée une inégalité dès le départ : onze jours pour les hommes, seize semaines pour les femmes. On ne doit pas créer d'obligation, mais offrir des facultés nouvelles, en évitant les effets d'aubaine. Une condition doit être respectée : aucune mesure ne doit dégrader la situation de nos finances publiques. Mais nous pouvons trouver des solutions intelligentes pour permettre à un père d'être plus près de son enfant et pleinement impliqué dans la vie familiale. La consultation que nous lançons sur Make.org nous aidera à les trouver.

M.S : Le Premier ministre a confié une mission à l'IGAS sur ce sujet et plusieurs scénarios sont sur la table. Onze jours c'est très court, pour faire connaissance avec un nouveau-né, pour prendre conscience de son nouveau statut de père de famille et pour la répartition des tâches domestiques. D'après l'INED, entre 70 et 80% des tâches ménagères et éducatives sont assumées par les femmes quand il y a un homme et une femme dans le couple. La présence du père au domicile lui permettrait de prendre davantage sa part.

Qu'attendez-vous de la consultation publique lancée aujourd'hui ?

B.L.M. : Une forte participation ! Nous avons déjà organisé ce type de consultation pour la loi Pacte, cela nous a fait évoluer sur de nombreux sujets. Nous avions eu plus de 64 000 connexions. Nous en attendons beaucoup plus sur ce sujet de l'égalité femmes-hommes qui touche tous les Français. Plus ils seront nombreux à participer, meilleur le texte sera.

Quand souhaitez-vous présenter la loi en conseil des ministres ?

M.S. : Nous sommes attendus sur les questions d'égalité femmes-hommes autour du 8 mars. Ce sujet est la grande cause du quinquennat. Nous avons traité en priorité la question des violences sexistes et sexuelles, parce que c'est une condition sine qua non. L'égalité économique est aussi fondamentale et elle est liée : plus vous êtes autonome économiquement, plus vous pouvez assumer vos choix. Quand vous occupez des postes de direction, quand vous travaillez dans une organisation mixte, quand vous êtes mieux rémunérée, vous êtes moins vulnérable, vous avez une plus grande liberté d'action, une plus grande faculté à dire non ou à être indépendante.

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