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Face aux affaires de viols, la soif de vengeance des Indiens

Une partie de l’opinion célèbre la police pour avoir abattu quatre suspects arrêtés quelques jours plus tôt dans une affaire de viol retentissante

A Hyderabad, des personnes tiennent des bougies pour dénoncer le viol et le meurtre d'une vétérinaire de 27 ans, le 6 décembre 2019. — © Manjunath Kiran/AFP
A Hyderabad, des personnes tiennent des bougies pour dénoncer le viol et le meurtre d'une vétérinaire de 27 ans, le 6 décembre 2019. — © Manjunath Kiran/AFP

Justice a-t-elle été rendue? A l’annonce de l’épilogue d’une sordide affaire de viol, une partie de l’opinion indienne en est convaincue. Politiciens et citoyens ont ainsi été nombreux à applaudir à la mort des quatre suspects qui étaient inculpés pour le viol et le meurtre d’une vétérinaire âgée de 27 ans, dont le corps avait été retrouvé carbonisé la semaine dernière. L’affaire avait profondément choqué le pays et la police avait été vivement critiquée pour ne pas avoir réagi rapidement après la signalisation de la disparition de la victime, avant de réussir à arrêter quatre suspects, conducteurs de camion et nettoyeurs de profession.

Vendredi à l’aube, la police a abattu ces quatre hommes, âgés de 20 à 26 ans, qui étaient en détention préventive. Afin de participer à une reconstitution de la scène du crime, les suspects avaient été escortés par une dizaine de policiers sur les lieux des faits, près d’Hyderabad, capitale de l’Etat du Télangana. «Quand nous sommes arrivés, les accusés nous ont attaqués avec des pierres et sont parvenus à dérober nos pistolets», a raconté V. C. Sajjanar, haut responsable de la police locale. Des tirs croisés s’en seraient suivis, doublés d’une tentative de fuite des suspects. Ces derniers ont alors été tous abattus, leurs corps laissés aux regards des badauds durant une partie de la journée de vendredi.

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Pluie de louanges

Ce récit stupéfiant est à prendre avec prudence, dans un pays où les crimes extrajudiciaires perpétrés par les forces de police sont fréquents et permettent d’expédier des affaires encombrantes. Si les Indiens ne l’ignorent pas, beaucoup d’entre eux voient en cet incident une juste revanche pour la vétérinaire violée et assassinée. «Vive la police!» ont lancé près de 2000 personnes rassemblées sur les lieux de la fusillade, en jetant des pétales de fleurs aux policiers.

Sur les réseaux sociaux, c’était aussi une pluie de louanges. Les politiciens n’ont pas été en reste. «Je félicite la police d’Hyderabad, a déclaré Rajyavardhan Rathore, un député du parti nationaliste hindou au pouvoir en Inde. Le bien l’emportera toujours sur le mal dans notre pays.» La propre sœur de la vétérinaire assassinée s’est dite quant à elle satisfaite de la mort des quatre suspects. «Cet incident aura valeur d’exemple», a-t-elle ajouté. Baba Ramdev, l’un des gourous les plus populaires du pays, a même proposé que l’incident serve de modèle: «Toutes les forces de police devraient adopter cette méthode…» Un appel ouvert à des exécutions sommaires?

Pour des Indiens ulcérés par la récurrence des affaires de viols dans leur pays, la fin brutale des quatre suspects est perçue comme un moyen de court-circuiter les lenteurs du système judiciaire indien. Des lois plus strictes et des tribunaux spéciaux avaient pourtant été mis en place à la suite d’un autre viol retentissant, dans un bus de New Delhi, en décembre 2012. En dépit de cela, les tribunaux sont toujours débordés, les victimes sont rarement épaulées, et la violence sexuelle à l’égard des femmes perdure, avec 32 500 viols commis en 2017 selon les autorités. Jeudi encore, en Uttar Pradesh, la victime d’un autre viol horrible a été brûlée vive alors qu’elle se rendait au tribunal pour obtenir justice et est actuellement entre la vie et la mort.

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Soif collective de vengeance

Le calvaire enduré par la vétérinaire a cristallisé la colère des Indiens, qui sont descendus dans les rues la semaine dernière pour réclamer justice. La police a dû même disperser une foule qui tentait de pénétrer dans le commissariat où étaient détenus les quatre suspects. De nombreuses déclarations ont alimenté une hystérie collective de la vengeance. Au parlement indien, la députée Jaya Bachchan a estimé que les coupables devaient être «lynchés en public».

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«Est-ce la justice que vous souhaitiez, Mme Bachchan?» s’est indigné le magazine d’information Outlook en pointant la mort des quatre suspects. D’autres voix dénoncent ainsi la célébration de ce qui pourrait être un crime extrajudiciaire. Amnesty International a notamment réclamé une enquête indépendante pour établir la lumière sur les faits. «Ces crimes créent la diversion au sein de l’opinion et permettent à la police et à l’Etat de ne pas avoir à rendre des comptes, estime l’avocate Poonam Kaushik, du groupe de femmes Pragatisheel Mahila Sangathan. Les femmes veulent la sécurité et la justice. Pas de meurtres perpétrés en uniforme et en notre nom!»