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Pluie de louanges
Ce récit stupéfiant est à prendre avec prudence, dans un pays où les crimes extrajudiciaires perpétrés par les forces de police sont fréquents et permettent d’expédier des affaires encombrantes. Si les Indiens ne l’ignorent pas, beaucoup d’entre eux voient en cet incident une juste revanche pour la vétérinaire violée et assassinée. «Vive la police!» ont lancé près de 2000 personnes rassemblées sur les lieux de la fusillade, en jetant des pétales de fleurs aux policiers.
Sur les réseaux sociaux, c’était aussi une pluie de louanges. Les politiciens n’ont pas été en reste. «Je félicite la police d’Hyderabad, a déclaré Rajyavardhan Rathore, un député du parti nationaliste hindou au pouvoir en Inde. Le bien l’emportera toujours sur le mal dans notre pays.» La propre sœur de la vétérinaire assassinée s’est dite quant à elle satisfaite de la mort des quatre suspects. «Cet incident aura valeur d’exemple», a-t-elle ajouté. Baba Ramdev, l’un des gourous les plus populaires du pays, a même proposé que l’incident serve de modèle: «Toutes les forces de police devraient adopter cette méthode…» Un appel ouvert à des exécutions sommaires?
Pour des Indiens ulcérés par la récurrence des affaires de viols dans leur pays, la fin brutale des quatre suspects est perçue comme un moyen de court-circuiter les lenteurs du système judiciaire indien. Des lois plus strictes et des tribunaux spéciaux avaient pourtant été mis en place à la suite d’un autre viol retentissant, dans un bus de New Delhi, en décembre 2012. En dépit de cela, les tribunaux sont toujours débordés, les victimes sont rarement épaulées, et la violence sexuelle à l’égard des femmes perdure, avec 32 500 viols commis en 2017 selon les autorités. Jeudi encore, en Uttar Pradesh, la victime d’un autre viol horrible a été brûlée vive alors qu’elle se rendait au tribunal pour obtenir justice et est actuellement entre la vie et la mort.
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Soif collective de vengeance
Le calvaire enduré par la vétérinaire a cristallisé la colère des Indiens, qui sont descendus dans les rues la semaine dernière pour réclamer justice. La police a dû même disperser une foule qui tentait de pénétrer dans le commissariat où étaient détenus les quatre suspects. De nombreuses déclarations ont alimenté une hystérie collective de la vengeance. Au parlement indien, la députée Jaya Bachchan a estimé que les coupables devaient être «lynchés en public».
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«Est-ce la justice que vous souhaitiez, Mme Bachchan?» s’est indigné le magazine d’information Outlook en pointant la mort des quatre suspects. D’autres voix dénoncent ainsi la célébration de ce qui pourrait être un crime extrajudiciaire. Amnesty International a notamment réclamé une enquête indépendante pour établir la lumière sur les faits. «Ces crimes créent la diversion au sein de l’opinion et permettent à la police et à l’Etat de ne pas avoir à rendre des comptes, estime l’avocate Poonam Kaushik, du groupe de femmes Pragatisheel Mahila Sangathan. Les femmes veulent la sécurité et la justice. Pas de meurtres perpétrés en uniforme et en notre nom!»