7 décembre 1936 • La disparition de l'archange Jean Mermoz
Jean Mermoz et René Couzinet, avec l’équipage de L’Arc-en-Ciel © coll. Musée de La Poste, Paris / La Poste, DR.

7 décembre 1936 • La disparition de l'archange Jean Mermoz

Le lundi 7 décembre 1936, lors d’une traversée aéropostale entre le Sénégal et l’Amérique du Sud, l’hydravion Latécoère 300 Croix du Sud se perd dans l’Atlantique. Avec l’appareil, un équipage disparaît, équipage mené par un pilote hors pair et un homme exceptionnel, Jean Mermoz.

Icône reconnue par l’histoire de France, Jean Mermoz reste un personnage hors du commun pour beaucoup d’historiens de l’aviation. Né le 9 décembre 1901 à Aubenton dans l’Ain, le petit Jean est élevé par sa mère – séparé de son père – et ses grands-parents, entre les Ardennes, l’Auvergne – terre de refuge lors du premier conflit mondial – puis Paris en 1918. Attiré par le dessin et la mécanique, Jean Mermoz fait ses études au lycée Voltaire, mais rate son baccalauréat scientifique. Son intérêt pour l’aviation apparaît à ce moment. Sans emploi, Jean décide en effet de s’engager dans l’armée en juin 1920, mais choisit l’aviation sur les conseils de Max Delty, un ancien blessé de guerre soigné par la mère de Jean, infirmière à l’hôpital parisien Laennec. Un engagement pour quatre ans qui déclenche sa vocation pour l’aérien : après des classes au Bourget, une pénible et humiliante formation d’élèves-pilotes à Istres, un brevet de pilote obtenu en février 1921 sur un biplan Caudron G3, le caporal Mermoz est affecté au 11e Régiment de Bombardement de Metz-Frescaty. Mais Jean veut déjà plus. Volontaire pour l’Armée du Levant, il vole alors sur l’un des meilleurs biplans de l’époque, le Breguet XIV, participe à des missions sanitaires durant plus de deux ans, échappe à la mort lors d’un atterrissage forcé dans son avion en feu, puis quitte le Levant en février 1923, avec le grade de sergent et des appréciations élogieuses. Le retour en France est un dur retour à la réalité. Affecté au Ier Régiment de Chasse de Thionville – où il se lie d’amitié avec un certain Henri Guillaumet –, Jean Mermoz rechigne à la discipline militaire et attend la fin de son engagement. Le 30 mars 1924, c’est chose faite, il quitte définitivement l’armée, avec 600 heures de vol, quelques centaines de Francs en poche et une envie tenace : continuer à voler.

 La France des années vingt, marquée par la Grande Guerre, bouleversée par la crise économique et la succession des gouvernements, n’est cependant pas prête à accueillir à bras ouverts ce grand gaillard blond athlétique et gagneur, un archange qui ne rêve que de piloter comme il l’écrit dans ses notes publiées après sa mort : « je ne me posais pas de questions. C’était un fait. Je ne concevais l’existence qu’aérienne ». Les compagnies aériennes lui ferment leurs portes, ses compétences limitées ne lui en ouvrent aucune. L’année 1924 est lugubre pour un Jean Mermoz sans le sou, contraint à « copier des adresses » pour manger petitement et survivre dans des chambres sinistres ou des asiles de nuit, tout en faisant croire à sa mère que la vie parisienne l’a adopté alors qu’il mène une existence de paria.

 Le 28 septembre 1924, une proposition d’embauche des Lignes Aériennes Latécoère ranime la flamme de Jean. Convoqué à Toulouse, affecté au nettoyage des moteurs avec les mécaniciens, il réussit tant bien que mal son exercice de pilotage devant Didier Daurat, directeur d’exploitation inflexible et recruteur de pilotes pour « La Ligne ». Ce dernier, conscient de la valeur de Jean, le prend comme pilote sur le tronçon Toulouse-Barcelone, puis bientôt jusqu’à Alicante et Malaga, le jeune homme connaissant bien le Breguet XIV, appareil courant chez Latécoère, et respectant les principes imposés : partir à l’heure et arriver à l’heure, le courrier devant passer à tout prix.

En 1925, avec le prolongement de la Ligne aéropostale jusqu’à Dakar, Jean Mermoz se porte volontaire sur ce tronçon africain et y est affecté en mars 1926 comme pilote, car familier des zones désertiques. Deux mois plus tard, après avoir quitté Agadir au Maroc lors d’une liaison vers Cap Juby, une panne l’oblige à un atterrissage forcé dans le désert. Fait prisonnier par les Maures avec son interprète, il est libéré contre une rançon de 12.000 pesetas quelques jours plus tard, rançon payée par Pierre-Georges Latécoère ; d’autres pilotes connaîtront un sort plus terrible dans les mois suivants. Jusqu’en 1928, Jean Mermoz assure le service du courrier sur la ligne Casablanca-Dakar, systématiquement volontaire pour rechercher ses camarades tombés en panne dans le désert. Les transformations de l’entreprise aéropostale lui importent peu. En 1928, alors que Marcel Bouilloux-Lafont a succédé à Pierre-Georges Latécoère, c’est l’aventure sud-américaine qui a les faveurs du pilote, désormais un ancien sur « La Ligne ». En novembre 1928, il réussit avec son mécanicien Alexandre Collenot à passer la Cordillère des Andes entre Buenos Aires en Argentine et Santiago du Chili. Il réitère l’exploit dans le sens inverse trois jours plus tard. À Plusieurs reprises, dans des conditions rocambolesques, Jean Mermoz passera la Cordillère malgré le temps exécrable, des pannes de moteur ou des atterrissages improbables dans les massifs montagneux. La barrière est vaincue, le passage est trouvé et son ami Guillaumet assure désormais dès 1929 des liaisons hebdomadaires régulières entre l’Argentine et le Chili.

 Le 20 janvier 1930, Jean Mermoz quitte l’Amérique du Sud à bord du paquebot Lutetia, rappelé à Toulouse pour travailler sur une nouvelle mission : vaincre l’Atlantique sur un avion de l’Aéropostale, l’hydravion Laté 28-3 modifié. C’est la troisième vie aérienne de Jean Mermoz, après l’Afrique et l’Amérique du Sud ; ce sera la dernière. L’appareil fabriqué par Latécoère est sûr, le pilote est motivé : les 11 et 12 avril 1930, Jean Mermoz bat d’ailleurs le record du monde de distance hydravion en circuit fermé entre Marignane, le Cap d’Agde et Toulon – soit 4.308 km en 30h25 de vol. Un mois plus tard, le 12 mai, il décolle de Saint-Louis du Sénégal avec le Laté 28-3 baptisé Comte de La Vaulx et 130 kg de courrier, accompagné du navigateur Jean Dabry et du radiotélégraphiste Léopold Gimié. 21 heures après, il se pose en Amérique du Sud, réalisant la première traversée commerciale sans escale de l’Atlantique Sud, un événement qui a un grand retentissement dans les milieux politique et de l’aéronautique naissante, notamment au Brésil et au Chili. Mais la Compagnie Générale Aéropostale fondée par Marcel Bouilloux-Lafont va mal. Le dépôt de bilan entraîne la liquidation judiciaire en mars 1931, un coup terrible pour les pilotes qui défendent leur chef, Didier Daurat, victime d’intrigues. Jean Mermoz, quant à lui, soutient Daurat, mais consacre son temps à sa vie de pilote. Assurant le courrier sur le tronçon Toulouse-Casablanca, on le retrouve aussi présent les liaisons méditerranéennes de la ligne Marseille-Alger en 1932.

 C’est dans le courant de l’année 1932 que l’ingénieur René Couzinet lui propose son appareil, le trimoteur Couzinet 70 Arc-en-Ciel, pour une traversée de l’Atlantique. Après des essais, Jean Mermoz apprivoise l’avion et réalise une première traversée océanique le 16 janvier 1933 entre Saint-Louis du Sénégal et Natal au Brésil, qu’il atteint le soir même. Le convoyage de l’avion à Rio de Janeiro, puis à Buenos Aires, est exceptionnel, se terminant au milieu d’une foule en délire. En raison de conditions climatiques exécrables, le retour en Europe est plus compliqué, mais se fait au mois de mai 1933, avec une arrivée à Dakar sur deux moteurs ! Fervent défenseur de ce puissant avion multimoteur, et malgré huit traversées de l’Atlantique sud réalisées avec succès dans les mois qui suivent, Jean Mermoz se heurte à la direction d’Air France – récemment créée le 7 octobre 1933 -, aux critiques de certains politiques et aux défenseurs de l’hydravion. L’acharnement du pilote paie. Le 27 octobre 1934, une réception organisée au Bourget par le ministère de l’Air rend hommage à l’Arc-en-Ciel. La démonstration est faite des capacités du trimoteur ; Air France en commande même trois exemplaires. Quant à Jean Mermoz, encensé par les ministres et la presse, on le nomme au grade de sous-lieutenant ; un héros ne peut pas être un simple sous-officier…

L’euphorie est cependant de courte durée : les programmes d’hydravions multimoteurs lancés quelques années plus tôt ont pour résultat la construction et la mise en service d’un Laté 300 Croix du Sud et d’un Blériot 5190 Santos Dumont, deux appareils qui multiplient les traversées en 1934 et 1935, renforcés par le Farman 220 Centaure. Couzinet est marginalisé, les commandes annulées en février 1935. Abasourdi et impuissant face aux intrigues politico-financières, Jean Mermoz se rapproche de la ligue patriotique des Croix de feu. Par des conférences, des articles dans l’hebdomadaire Le Flambeau dirigé par le colonel de La Rocque, Jean Mermoz défend ses idées, ayant l’espoir de faire bouger les choses au sein de l’aviation commerciale qu’il considère malmenée par les politiques. Nommé à cette époque inspecteur général par Air France, Jean Mermoz continue néanmoins de piloter et s’essaye sans être convaincu à l’hydravion Laté 301 Ville de Buenos-Aires – appareil fragile qui disparaîtra corps et biens le 10 février 1936. Le rapport de Jean Mermoz mentionnant des anomalies sur un second Laté 301, le Ville de Santiago, influence cependant peu la direction d’Air France qui privilégie désormais l’hydravion pour ses traversées transatlantiques. Parallèlement, l’engagement politique de Jean Mermoz au sein du Parti Social Français créé par le colonel de La Rocque – après la dissolution des Croix de Feu – ne plaît pas, non seulement parce que Jean en devient un des trois vice-présidents, mais aussi en raison d’articles qui remettent en cause la politique aérienne de la France. L’Archange reste cependant ferme dans ses convictions, comme il le martèle dans un discours prononcé le 12 juillet 1936 : « Je n'ai jamais fait de politique et je n'aime pas cela. Seules les questions sociales me passionnent et m'intéressent. J'ai eu à en souffrir. D'autres en souffrent ».

C’est dans ce contexte chahuté que Jean Mermoz se prépare à Dakar le lundi 7 décembre 1936 pour la 147e traversée aérienne commerciale de l’Atlantique – la 24e à son actif depuis 1930 –, un vol de routine sur l’hydravion Laté 300 Croix du Sud. Avec le second pilote Alexandre Pichodou, le navigateur Henri Ezan, le radio Edgar Cruveilher et le mécanicien Jean Lavidalie, Jean Mermoz décolle à 4h00 du matin. Des soucis sur le moteur arrière droit le font revenir à Dakar après une heure de vol. Réparations de fortune faites faute de matériel, Jean Mermoz décide néanmoins de redécoller. À 7h00 du matin, le quadrimoteur reprend finalement l’air et met cap vers Natal. Après un dernier message radio que l’Histoire a retenu – « coupons moteur arrière droit » –, le Laté 300 Croix du Sud ne donne plus signe de vie et n’atteindra jamais sa destination. Aucune épave et aucun corps ne seront rendus par l’Océan. Jean Mermoz comptait 8.200 heures de vol et il allait avoir 35 ans deux jours plus tard.

Cet article a été publié dans L'Écho de la Timbrologie n°1912 (décembre 2016).



Dans l’histoire de l’aviation (entre autres) , le 7 Décembre est souvent associé à l’année 1941 et Pearl Harbor, mais celui-ci, 1936 est aussi une date historique (triste) avec le « départ » de Mermoz (et ses coéquipiers), un GRAND! Quel enthousiasme et quel courage que d’entreprendre des traversées lors desquelles le risque était rarement absent. Cette photo de 1933 à Rio, lui rend hommage ainsi qu’à ses mécanos, navigateurs, et aussi René Couzinet, créateur du Couzinet 70 Arc-en-ciel, qui les domine ici de ses lignes fantastiques. Admiration!!

Dorine Bourneton

Keynote Speaker sur le "dépassement de soi" - Référente handicap chez Louvre Banque Privée. Conseillère municipale à Boulogne-Billancourt.

4y

Mon héros ! Sa photo trône dans mon salon, son ame veille sur nous,

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